Les grandes manœuvres ont commencé à gauche. Arrivé contre toute attente en tête du second tour des élections législatives dimanche soir, le Nouveau front populaire, avec 182 sièges, ne dispose pas d’une majorité suffisamment claire pour pouvoir gouverner sans entrave. D’autant que le bloc de gauche est loin d’être uniforme, et l’alliance qui s’est constituée en quatre jours n’a pas complètement effacé les importantes tensions qui ont traversé les partis politiques ces derniers mois, notamment entre La France insoumise et le Parti socialiste.
Passé l’euphorie de la victoire, l’heure était aux délibérations ce lundi, dans les différents QG des formations, avant une réunion commune des principaux représentants du NFP, attendue en fin d’après-midi dans un « lieu neutre » tenu secret. L’objectif : esquisser les grands axes d’une méthode de gouvernement face à une assemblée qui n’a jamais été autant fracturée depuis 1958, et surtout, trouver une candidature à proposer à Emmanuel Macron pour Matignon. Dans la matinée, le président de la République a choisi de maintenir Gabriel Attal comme chef de gouvernement, au moins jusqu’à ce que la nouvelle assemblée se soit installée.
La gauche réclame le pouvoir
« Il n’est pas question que le maintien de Gabriel Attal à Matignon vienne effacer le vote de des Françaises et des Français. C’est un enjeu démocratique et un devoir pour le président de la République d’appeler au gouvernement le Nouveau Front populaire », a averti Manuel Bompard, le coordinateur de la France insoumise, devant un parterre de journalistes, en marge d’une réunion de travail au siège de son parti.
Quel Premier ministre ?
Les principaux responsables de gauche espèrent pouvoir proposer un candidat dans le courant de la semaine. « On ne peut pas faire croire aux gens que dans la situation politique inédite qui est la nôtre, on ne va pas sortir d’un claquement de doigts un Premier ministre et un gouvernement », a toutefois averti Marine Tondelier, la Secrétaire nationale des Écologistes – EELV, en marge d’une réunion de travail au siège de son parti. « Il n’y a pas de deadline […]. Mais il ne faut pas s’étaler dans le temps parce que l’on a beaucoup dit pendant la campagne qu’il y avait une urgence sociale et environnementale. »
Sur RTL, Mathilde Panot, la présidente sortante du groupe insoumis à l’Assemblée nationale, a estimé que la candidature de Jean-Luc Mélenchon « n’était absolument pas disqualifiée ». De quoi hérisser ses partenaires. « Personne n’est exclu, personne ne s’impose et cela me semble vraiment le plus raisonnable pour commencer sereinement toutes les discussions », a tenté de nuancer, quelques heures plus tard, la députée Aurélie Trouvé au micro de LCP.
« Le mieux serait de trouver un consensus. Si ce n’est pas le cas, on doit trouver un vrai fonctionnement démocratique au sein du NFP, ce qui n’était pas le cas avec la Nupes », pointe la sénatrice socialiste Corinne Narassiguin. « Et si cela doit passer par un vote, cela passera par un vote ». Il faut dire que le rapport de force à gauche a été largement bousculé par le scrutin de dimanche soir, et l’hégémonie de LFI est désormais concurrencée par la remontée du PS. Le parti fondé par Jean-Luc Mélenchon devrait obtenir entre 73 et 80 sièges, quand le parti à la rose double son nombre d’élus avec 60 à 64 députés.
Le poids des sociaux-démocrates
« Le rééquilibrage à gauche est très net », salue David Assouline, ancien sénateur de Paris, toujours membre du bureau national du PS et secrétaire de Refondation, un courant opposé à la ligne pro-Nupes qu’avait défendu en 2022 le Premier secrétaire Olivier Faure. Ce lundi matin, les sénateurs socialistes, pour la plupart très critiques à l’égard du rapprochement avec LFI, se sont présentés en nombre à la réunion hebdomadaire du bureau national, organisée pour l’occasion dans les locaux du QG de campagne de Raphaël Glucksmann, dans le 10e arrondissement de Paris.
« On voudrait rappeler à nos camarades socialistes que le groupe PS au Sénat reste encore le deuxième groupe parlementaire à gauche, et qu’il souhaite peser », a lancé Patrick Kanner, le chef de file des sénateurs PS à son arrivée. Le message est limpide : il n’est pas question de laisser LFI imposer ses vues à la direction du PS. « La meilleure option pour un Premier ministre, c’est un nom consensuel, qui sera capable de créer les conditions de majorités de projets », développe cet ancien ministre de François Hollande. Prenant soin d’ajouter : « Et ce nom n’est pas celui de Jean-Luc Mélenchon ! ».
« Nous n’avons pas intérêt à jouer les idiots utiles du président de la République »
Corinne Narassiguin estime que « tout ne procédera pas d’un homme ou d’une femme à Matignon », car, « pour la première fois le gouvernement sera là pour exécuter un agenda décidé par le Parlement ». Encore faudra-t-il parvenir à naviguer au milieu de cette assemblée tripartite. Selon nos informations, un élu socialiste de premier plan aurait même soumis l’idée « de ne pas y aller », et de laisser Emmanuel Macron se débrouiller avec cette nouvelle configuration politique. « Nous n’avons pas intérêt à jouer les idiots utiles du président de la République et à nous décrédibiliser d’ici 2027 », développe une collaboratrice. Un choix qu’il serait toutefois difficile de justifier devant les électeurs.
Dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a estimé que le NFP pouvait mettre en application son programme « par décrets dès cet été ». Le retour d’un âge légal de départ à la retraite à 62 ans, au lieu de 64 ans, fait partie de ces mesures que la gauche entend faire passer par voie réglementaire. Le cas échéant, Olivier Faure n’a pas hésité à évoquer sur franceinfo un passage en force au Parlement. « Ce qui s’est fait par 49.3 peut se défaire par 49.3 », a-t-il menacé, en référence au bras de fer qui a opposé la gauche et la majorité sortante sur cette réforme. « Un partout, la balle au centre », ironise un élu socialiste.
Un tel scénario est loin de satisfaire le sénateur communiste Ian Brossat. « Nous avons besoin de reparlementariser la vie politique. Nous devons travailler dans un esprit de dialogue et d’apaisement, le pays en a besoin », plaide-t-il. À gauche de l’échiquier politique, les communistes apparaissent comme les grands perdants du scrutin de ce dimanche. Avec seulement 9 élus encartés, le groupe CRCE pourrait disparaître au Palais bourbon, où le seuil minimal requis pour former un groupe est de 15 députés. Ian Brossat ne doute pas que dans la semaine plusieurs rattachements, notamment du côté des élus ultramarins, ne permettent d’atteindre ce chiffre.
À l’intérieur du NFP néanmoins, l’hypothèse d’un groupe transpartisan autour du noyau communiste, qui rassemblerait les députés insoumis qui n’ont pas été réinvestis mais qui ont sauvé leurs sièges, ceux qui ont pris leurs distances avec LFI, comme François Ruffin et Clémentine Autain, ou encore des élus Génération. s, gagne du terrain. « C’est envisageable, mais les conditions restent à poser », balaye un élu.
Une nouvelle approche de la vie parlementaire
« Avec une majorité très faible, nous devons agir avec humilité, et se dire que l’on a beaucoup de choses à inventer sur le plan parlementaire », développe la socialiste Corinne Narassiguin.
« Le résultat des élections apparaît d’une parfaite banalité et la formation d’un gouvernement assez peu sorcier pour la plus grande partie des observateurs extérieurs », relève la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, coprésidente du Parti vert européen. Dans un document diffusé ce mardi après-midi, cette élue propose à ses camarades une feuille de route.
« Une méthodologie sera trouvée pour gérer les dossiers où les désaccords persisteront. On peut, par exemple, imaginer des majorités de projet sur différentes propositions de loi ou sur des projets de loi », écrit-elle. Mais cette approche n’est pas sans rappeler celle esquissée à partir de 2022 par Emmanuel Macron, et qui a placé à plusieurs reprises la majorité sortante sous la coupe des LR.
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Publish date : 2024-07-08 16:28:32
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