Peut-on s’attendre à un retour du front républicain lors des élections législatives ?
Erwan Lestrohan, directeur conseil chez Odoxa : « Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que les Français ont très peu envie de se mobiliser pour faire barrage au Rassemblement national. Les différents indicateurs qu’on observe dans les enquêtes d’opinion nous laissent plutôt pessimistes sur la persistance du front républicain aux élections législatives anticipées.
En 2002, environ 70 % des électeurs de la gauche avaient été voter pour Jacques Chirac. Et on retrouvait la même tendance dans les sondages en 2017, autour de 70 % des sympathisants de la gauche avaient été voter pour Emmanuel Macron, pour faire barrage à Marine Le Pen. Finalement, la vraie détérioration du front républicain, on l’a observée en 2022 où uniquement la moitié des sympathisants de la gauche sont allés voter pour Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen. C’est là qu’on a commencé à observer une détérioration du front républicain. »
Bernard Sananès, président de l’institut de sondages Elabe : « Le front républicain n’a cessé de s’éroder. Il faut lier cela, bien sûr, à la normalisation du Rassemblement national qui était un de ses objectifs premiers. Pourquoi la normalisation ? Justement pour éviter qu’entre les deux tours, il y ait cette volonté de faire barrage au Rassemblement national. Dans ce que l’on mesure pour l’instant, on voit bien que, par exemple, un électeur du centre sur deux, s’il était confronté à une situation de duel entre le Rassemblement national et la gauche, dit qu’il s’abstiendrait. »
Dans le camp présidentiel, à droite, au RN, l’appel au barrage vise désormais l’alliance de gauche. Est-ce une tendance que l’on retrouve dans l’opinion ?
Erwan Lestrohan : « C’est une chose qui a été intéressante à mesurer dans notre baromètre politique cette semaine. Quand on a demandé aux Français s’ils allaient faire barrage au Nouveau Front populaire dans leur vote aux élections législatives, 47 % nous ont répondu par l’affirmative. Ils ont été plus nombreux à nous dire voter pour faire barrage au Nouveau Front populaire qu’à voter pour faire barrage à la majorité présidentielle, 44 %. Et finalement, la force pour laquelle le vote barrage est le moins élevé, c’est 41 %. Il y a tout de même 41 % des électeurs aux législatives qui voteront pour faire barrage au RN.
Mais la force politique pour laquelle les Français souhaiteront le plus participer pour faire barrage, c’est le Nouveau Front populaire. C’est intéressant parce que finalement, on voit que le Rassemblement national n’est plus le seul repoussoir dans l’électorat. On le voit aussi, par exemple, quand on mesure l’image des différents partis. Le RN s’est normalisé et notabilisé et ça se retrouve dans l’opinion et ça détériore logiquement le réflexe de front républicain et de barrage. Aujourd’hui, 38 % des Français ont une bonne opinion du Rassemblement national. Uniquement 22 % des Français ont une bonne opinion de La France insoumise. Donc il y a des nouveaux repoussoirs dans l’esprit des Français et le Rassemblement national en est un parmi d’autres, voire même, il l’est un peu moins que d’autres forces politiques. »
Bernard Sananès : « En tout cas, l’inquiétude face à la victoire potentielle du bloc du Rassemblement national ou du bloc Nouveau Front populaire est à peu près au même niveau. Dans notre dernier sondage de la semaine dernière, on voyait que 53 % des Français se disaient inquiets de la victoire du NFP, contre 50 % d’une victoire du Rassemblement national. Vous voyez, c’est à peu près le même niveau. Mais symboliquement, c’est intéressant de constater que le NFP inquiète légèrement plus que le RN. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que cet enjeu : de quoi j’ai le plus peur ? Qu’est-ce que je redoute le plus ? Ce sera un enjeu clé pour le second tour. Et ce sera notamment un enjeu clé dans la grande partie des circonscriptions, peut-être 200, 250 où le RN sera opposé au candidat du NFP.
À ce moment-là, les électeurs du centre, les électeurs de la droite modérée se trouveront confrontés à ce choix et ils arbitreront parfois en fonction de la personnalité des candidats, parfois simplement en se disant : «J’ai choisi au premier tour, mon candidat n’est plus présent au second. Qu’est-ce que je redoute le plus ? Qu’est-ce qui est l’hypothèse qui me fait le plus peur ? Et donc j’adapte mon vote en fonction de cela.» »
L’affaiblissement du « barrage républicain » couplé à une augmentation de la participation pourrait donc profiter au RN ?
Bernard Sananès : « Oui, incontestablement, cela peut profiter au RN. D’abord parce que l’argument du barrage a longtemps empêché le RN ou le Front national de gagner en duel. Quand il y avait des duels, c’était très dur, que ce soit dans des cantonales, que ce soit dans des législatives, pour lui de l’emporter. On a vu en 2022 que ça n’a plus été le cas. Le RN a obtenu 89 députés au second tour, alors que les projections lui en donnaient 40 ou 45 à l’issue du premier, parce que justement, ce barrage n’a pas eu lieu.
Deuxièmement, il y a un autre effet couplé à cela, qui est la hausse de la participation que nous attendons. Elle sera très vraisemblablement supérieure à 60 % des inscrits. Elle augmente mécaniquement le nombre de triangulaires. En augmentant le nombre de triangulaires, les trois blocs seraient présents dans ces triangulaires et le bloc qui, aujourd’hui, arriverait en tête dans une grande majorité des circonscriptions, c’est le bloc du RN. Donc finalement, la hausse de la participation pourrait profiter également au Rassemblement national dans l’attribution des sièges, avec cet effet des triangulaires. »
Erwan Lestrohan : « En cas de duel entre le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire, le Rassemblement national est avantagé par des reports de votes très défavorables des électeurs de la majorité présidentielle qui ne seraient que 25 % à voter pour faire barrage au Rassemblement national. Seulement un sur quatre. Donc finalement, cette détérioration du front républicain avantage le RN en augmentant ses chances de gagner dans un duel contre le Nouveau Front populaire. Et si on se situe dans une triangulaire, la dispersion des voix aide mécaniquement plus fortement le RN à remporter l’élection. »
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Publish date : 2024-06-28 10:32:32
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