Je ne me reconnais pas dans ce Nouveau Front populaire.
Derrière certaines portes tout de même, une fin de non-recevoir ferme et définitive : « Vous fatiguez pas, j’irai voter RN ». Et, le plus souvent, des gens désintéressés qui ne comptent pas aller voter. « Ça m’intéresse pas », « ça changera rien ». Nadège Target, 50 ans, électrice socialiste depuis toujours, elle, se réjouit de cette union de la gauche. « C’est la division qui pose problème. Là, ça fait une force plus importante ». Dans l’encadrure de la porte de son appartement, Mauricette, 90 ans, discute volontiers de sa petite pension. « Quand j’ai payé mes charges, il ne me reste que 300 euros pour vivre ». Face aux propositions qu’égrène René Pilato, elle reste encore sceptique. « Y a beaucoup de mélange dans votre Front populaire. Faudrait pas qu’on soit déçu… François Hollande, par exemple, il m’avait déçue… »
Si, sur le papier, cette union s’est faite vite, avec un programme unique des 100 premiers jours sorti dès le vendredi 14 juin, dans les rangs de la gauche charentaise, tous les cadres et anciens députés ne sont pas pleinement convaincus.
« La présence de LFI écarte une partie des électeurs »
« Pour l’instant, il faut une unité, il y a une urgence démocratique, politique et sociale, après on discutera plus finement, assure Martine Pinville, ancienne députée et secrétaire d’État au commerce. Il y a des prises de paroles nationales chez LFI qui sont difficiles à entendre mais la majorité des LFI ne pensent pas ça », estime-t-elle. « Ce Front populaire, c’est l’avenir de la gauche, appuie Michel Gourinchas, l’ancien maire de Cognac. C’est une idée de François Ruffin et c’est ce que la gauche avait déjà fait dans les années 30 contre la montée du fascisme en Europe. » Il en convient : « Les choses ont été très dures entre le PS et LFI mais, là, contrairement à 2022, il n’y a pas eu de diktat de Mélenchon et de ses troupes ».
Jean-François Dauré, le maire PS de La Couronne, qui s’était présenté sur la première circonscription en 2022, soutient lui aussi les candidats de ce Front populaire mais du bout des lèvres : « C’est la seule alternative qui se présente à moi ». Mais, pour lui, « la présence de LFI dans ce nouveau Front populaire écarte une partie des électeurs. Beaucoup rejettent le spectacle qu’ils nous ont donné à voir à l’Assemblée avec des invectives, des cris. » Le programme même de ce Nouveau Front populaire ne le convainc pas. « Oui, il faut aller sonner à la porte des milliardaires, oui, il faut des mesures fortes pour le pouvoir d’achat mais, sur l’insécurité par exemple, il n’y a rien. On ne peut pas dire aux Français qu’on va désarmer les policiers. Et il faut reposer de manière claire l’antisémitisme, la laïcité comme des bases de notre démocratie. »
« Je ne peux pas me retrouver dans l’extrême gauche »
Jean-Claude Viollet, parlementaire socialiste historique de Charente, est encore plus tranché. « Je ne me reconnais pas dans ce Nouveau Front populaire, comme d’autres socialistes historiques tels que Bernard Cazenave, Jean-Yves Le Drian, Julien Dray. Je suis un Rocardien, je ne peux pas me retrouver dans l’extrême gauche. » Pour lui qui a siégé pendant 15 ans à l’Assemblée nationale (de 1997 à 2012), le comportement des LFI dans l’hémicycle, « toujours dans l’invective, qui multiplient les débordements, refusent le débat sur la loi immigration, ce n’est pas soutenable ». « Tant nous sépare sur l’Europe aussi, il n’y a pas de clarté sur les valeurs et on n’a pas le droit de mentir aux concitoyens en promettant de mettre par terre la réforme des retraites alors qu’on nous dit qu’elle ne sera même pas suffisante pour sauver notre modèle. »
Si la candidature de Carole Ballu passe mal (lire encadré), Virginie Lebraud, PS, coche davantage de cases sur la 3e. « Je la soutiens vivement et je suis heureux que Lambert se soit retiré, à un moment, ça en devient ridicule », tacle Michel Gourinchas. Quand Jean-François Dauré « compatit avec ceux pas retenus qui méritaient ». Martine Pinville, elle, n’oublie pas que « Caroline Colombier avait été élue à cause des divisions de la gauche. Ce qui n’était pas une fierté pour nous. Là, on a une candidate socialiste portée par une belle dynamique. C’est très bien que ce soit une femme d’ailleurs dans cette circonscription qui était, en 2022, fléchée pour une femme. Et avoir Patrick Berthaud, conseiller municipal à Maine-de-Boixe, membre historique du Parti communiste, comme suppléant, ça montre qu’il y a une vraie alliance avec le PCF ».
La candidate, elle, se dit « habituée à travailler avec plusieurs sensibilités. À la Région, je suis élue dans une majorité avec plusieurs composantes. Là, l’enjeu est clair, on ne veut pas du RN au pouvoir, ça mérite bien quelques concessions ».
La candidature de Carole Ballu passe mal
Sur la 2e circonscription, la candidature de Carole Ballu, agricultrice bio du Sud Charente, inconnu en politique jusqu’ici, semble encore mal digérée par beaucoup. « J’aurais aimé un candidat PS sur cette circonscription », réaffirme Michel Gourinchas, qui n’a pas voulu y aller lui-même. « Quand on se désengage, il faut savoir le faire jusqu’au bout ». « C’est regrettable qu’on n’ait pas un candidat PS d’expérience sur cette circonscription », partage Jean-François Dauré, fustigeant « les tambouilles des partis ». « Les décisions du national ne sont pas toujours lisibles », commente aussi Martine Pinville. « J’avoue ne pas connaître Carole Ballu, mais elle est au moins issue du territoire », tacle-t-elle, en référence aux parachutés du RN.
« On me connaîtra », assure Carole Ballu, 46 ans. « Je suis déjà connue dans plusieurs réseaux syndicaux, notamment celui du bio », assure l’ancienne présidente de la maison de l’agriculture biologique, qui assure que, « passé la déception des uns et des autres, on travaille très bien ensemble avec EELV, le PS, le PCF. On a fait une réunion à la ferme il y a une semaine, on a discuté de la ligne, ils m’ont donné leurs points de vigilance ».
Quentin Petit
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Publish date : 2024-06-23 14:11:00
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