L’heure des comptes. Ce vendredi 21 juin, la gauche doit prouver qu’elle est crédible. Et le défi est de taille tant, depuis une semaine, le procès de l’incompétence économique supposée de la gauche est fait par macronistes et extrême droite, main dans la main. Le camp présidentiel s’en donne à cœur joie. À l’image du Premier ministre, Gabriel Attal, voit dans le contrat de législature du Nouveau Front populaire (NFP) un « projet irréaliste et dévastateur ». En quelques jours, socialistes, écologistes, insoumis et communistes ont donc sorti leurs calculettes pour faire taire les polémiques.
Attal, c’est un peu Madoff qui explique aux pauvres que Robin des bois va leur faire les poches.
I. Brossat
Retour à la maison de la Chimie, à quelques pas de l’Assemblée nationale. C’est dans ce lieu que, la semaine dernière, le Nouveau Front populaire a présenté devant la presse son programme commun, donnant naissance à une nouvelle alliance à gauche. La salle est cette fois un peu plus petite, moins de journalistes sont attendus. La séquence est un peu plus technique puisqu’il s’agit aujourd’hui de recettes, de dépenses, de dettes… En toile de fond, une question : comment la gauche compte-t-elle financer son ambitieux programme ?
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À midi, le cours magistral commence. Au pupitre, Ian Brossat, sénateur communiste de Paris, s’attaque d’emblée à Gabriel Attal « qui nous a gratifiés de ses leçons en tous domaines » : « Il s’est même aventuré en terrain social en expliquant qu’une victoire du Nouveau Front populaire serait une catastrophe sur le plan social. Au fond, c’est un peu Madoff qui explique aux pauvres que Robin des bois va leur faire les poches. » L’élu résume le bilan du « trio infernal », composé d’Emmanuel Macron, de Gabriel Attal et de Bruno Le Maire, à une dégradation « sans précédent » des finances publiques, à un échec de la politique de l’offre, et à une sérieuse détérioration du modèle social français.
Eva Sas, députée écologiste de Paris, prend ensuite la parole. Elle présente le projet de l’alliance des gauches comme « une rupture immédiate et claire avec la politique d’Emmanuel Macron contrairement aux programmes des autres formations politiques et, en particulier, à celui du Rassemblement national. » Elle souligne que les propositions de ce contrat de législature se placent en rupture avec le « désarmement fiscal » et repositionnent l’État comme un acteur de l’économie. A contrario total des sept années macronistes qui avaient fait de la baisse des impôts – et donc, du désarmement de la puissance publique en matière financière – un mantra. Elle fixe ainsi trois priorités : les services publics, la bifurcation écologique et, surtout, le pouvoir d’achat. Pour ce premier point, la gauche compte y consacrer 30 milliards d’euros jusqu’en 2027. Même montant pour le deuxième. Et 90 milliards pour le dernier.
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Au passage, la députée écolo s’attelle à répondre aux critiques quant à l’augmentation du Smic à 1 600 euros net, jugée irréaliste par le reste de la classe politique. « C’est nécessaire car on ne vit pas décemment avec 1 400 euros net par mois et c’est positif pour les entreprises pour deux raisons : cela va stimuler la consommation et donc le chiffre d’affaires de beaucoup d’entreprises et cela va faciliter le recrutement notamment dans des secteurs qui peinent à recruter faute de rémunérations suffisantes », assure Eva Sas. Toutefois, L’élue promet aux TPE et aux PME des aides, comme des avances à 0 % sur 1 ou 2 ans, des mesures d’accompagnement financiers dégressifs et temporaires pour les petites entreprises qui en ont besoin ou un fonds de solidarité pour le développement de ces entreprises pour la reprise à 0 % de leurs charges financières. L’objectif est clair : contredire le récit affirmant que la gauche serait l’ennemi numéro un des entreprises.
Il y a, dans notre pays, de l’argent oisif, de l’argent improductif.
A. Ouzille
Au tour d’Alexandre Ouizille, sénateur socialiste de l’Oise, négociateur du NFP et nouveau visage du PS. Lui promet « une rupture tranquille parce que cette rupture va mettre, dans le pays, un bon ordre social » et rentre dans le vif du sujet : l’équilibre budgétaire. Si la gauche est au gouvernement, elle abrogera la réforme des retraites et de l’assurance-chômage, rehaussera de 10 % du point d’indice, visera la gratuité de l’école publique (en prenant en charge la cantine, les fournitures ou les transports), augmentera le Smic et revalorisera les APL de 10 %.
Bifurcations écologiques et sociales
En clair, une politique de relance qui coûterait 25 milliards d’euros sur l’année 2024. « Mais nous les finançons avec des recettes qui sont assez simples à comprendre. Il y a, dans notre pays, de l’argent oisif, de l’argent improductif », dit-il. De ce fait, le Nouveau Front populaire promet de réinstaurer un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) intégrant une composante climatique qui serait bien plus efficace que le précédent, car il ne devrait pas exonérer les biens professionnels. Le Nouveau Front populaire évalue qu’il rapporterait 15 milliards d’euros. Une taxe sur les superprofits qui rapporterait la même somme est également prévue pour financer ces premières mesures.
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Quant à Éric Coquerel, député insoumis de Seine-Saint-Denis, il voit plus loin. Dès 2025, le NFP promet de mettre en place une série de politiques de bifurcations écologiques et sociales visant à « partager les richesses pour faire en sorte que la grande migration du travail vers le capital reparte dans l’autre sens, c’est-à-dire vers les revenus du travail ». L’alliance des gauches souhaite prendre le virage des investissements pour embaucher des enseignants et des professionnels du soin et du médico-social, intensifier les rénovations thermiques, renforcer les filières françaises et européennes du renouvelable et introduire une garantie d’autonomie pour les jeunes situés sous le seuil de pauvreté.
Au total, la dépense publique pourrait atteindre 100 milliards d’euros à la fin de l’année 2025. Mais la gauche souhaite les compenser par des rentrées fiscales nouvelles : la suppression des niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes (qui pourrait rapporter 25 milliards d’euros), la mise en place d’un impôt sur les successions « dorées » qui cible les plus hauts patrimoines (17 milliards), l’instauration d’un barème de 14 tranches de l’impôt sur le revenu et la progressivité de la CSG (5,5 milliards), la suppression de la flat tax (2,7 milliards).
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Concernant la période dite des « transformations » durant les années 2026 et 2027, le montant des dépenses publiques supplémentaires totales à la fin de l’année 2027 s’élève à 150 milliards d’euros. La gauche envisage notamment de mettre en place un grand plan pour le rail et le fret, de dédier 1 % du PIB au budget dédié à la culture, de défendre une loi intégrale pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles avec un budget consacré de 2,6 milliards d’euros, de soutenir la filière bio et l’agroécologie.
Nouvelle réforme des retraites
Pour financer ces politiques, la gauche compte sur la « montée en puissance de notre politique en faveur de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes » (un apport évalué à 10 milliards d’euros). Tout en renforçant la taxe sur les transactions financières (3 milliards d’euros), et en appliquant un « impôt Zucman », du nom de l’économiste Gabriel Zucman, sur l’imposition des bénéfices des multinationales (26 milliards d’euros). Autant de recettes qui, selon eux, permettraient de financer leur programme. C’est un fait notable : ce chiffrage ne prévoit ni de creuser le déficit pour financer ces mesures, ni l’effet dit « multiplicateur » attendu de cette politique de relance. Autrement dit, il est donc a minima.
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La réforme des retraites n’est pas oubliée. Dans le document de chiffrage transmis à la presse, il est indiqué que le Nouveau Front populaire abrogera les décrets de la réforme des retraites et organisera durant la législature une « grande conférence avec les partenaires sociaux pour déterminer collectivement des conditions du retour de l’âge légal à 60 ans et du nombre d’annuités associées ». La nouvelle réforme des retraites serait financée par une « surcotisation sur les hauts salaires » et la mise à contribution des revenus « qui échappent à la cotisation comme les dividendes, les rachats d’action, l’intéressement ou la participation ».
Il y a des mesures de dépenses sociales qui peuvent sembler non crédibles mais qui peuvent changer la donne.
É. Laurent
Pour appuyer son propos, le NFP a demandé à trois économistes, tous favorables, de s’exprimer sur le financement du programme. Éloi Laurent, enseignant à Sciences Po et conseiller scientifique à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), salue « ce programme qui défend de manière la plus cohérente défend le contrat social français dans un monde déboussolé par les chocs ». Tout en mettant en garde la presse sur le terme de « crédibilité » : « Il y a des mesures de dépenses sociales qui peuvent sembler non crédibles mais qui peuvent changer la donne. Quand Léon Blum propose le programme du Front populaire en juin 1936, un économiste a écrit un ouvrage fondamental, La théorie générale. C’est John Maynard Keynes. Il montre qu’une dépense sociale faite au nom de la justice sociale peut devenir un investissement et peut être efficace économiquement. »
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Pour Éric Berr, maître de conférences à l’université de Bordeaux et coresponsable du département d’économie de l’Institut La Boétie, « ce programme, comparé à celui du RN ou à celui d’Emmanuel Macron, est porteur d’un choc de confiance » capable de « répondre à la fois à l’urgence sociale et à l’urgence écologique ». D’après Julia Cagé, professeure à Sciences Po et spécialiste de l’économie des médias et du financement de la démocratie, le programme du NFP introduit plus de justice fiscale et, par voie de conséquence, permet de financer « davantage d’éducation publique, de santé publique, de recherche publique ». Si les universitaires présents sont déjà convaincus, la gauche doit désormais mobiliser les électeurs. Et en peu de temps, ce n’est pas une mince affaire.
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Publish date : 2024-06-21 16:36:20
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