Depuis le début de la campagne pour les élections législatives anticipées, les fausses informations se propagent sur les réseaux sociaux et les plateaux de télévision. Certaines d’entre elles concernent tout particulièrement la période de la Seconde Guerre mondiale et les racines des formations politiques du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire.
À moins de deux semaines des élections législatives anticipées, la campagne fait rage. Comme avant chaque scrutin, chaque camp essaie de décrédibiliser l’autre. Mais à l’approche de ce vote, les critiques ont pris des accents très historiques. Alors qu’à gauche, certains rappellent le passé collaborationniste des fondateurs du Front national (FN), devenu le Rassemblement national (RN), à l’extrême droite, d’autres tentent d’écorner l’image du Nouveau Front populaire, héritier de la coalition qui avait pris le pouvoir en 1936.
France 24 vous propose de décrypter le vrai du faux de ces informations lancées par certains candidats et les partisans de chaque camp sur les plateaux et les réseaux sociaux.
Le RN est l’héritier d’un parti fondé par des Waffen-SS : VRAI
Après la victoire du Rassemblement national aux européennes et l’éventualité d’un nouveau succès lors des élections législatives anticipées, la gauche n’a pas caché son inquiétude concernant la normalisation de ce parti. Depuis les résultats, beaucoup ont rappelé les origines de ce parti d’extrême droite. Interrogée sur l’antenne de LCI le 11 juin, la députée de La France insoumise Sarah Legrain a ainsi déclaré : « Est-ce que je suis en train de dire que le Rassemblement national est un parti qui est l’héritier de Waffen-SS qui l’ont fondé et l’héritier de Vichy ? Oui, bien sûr ! »
Le Rassemblement national est le nouveau nom, depuis le 1er juin 2018, du Front national, un parti politique français d’extrême droite. Ce dernier a été créé en 1972. Comme le rappelle le site de France Info, ses statuts avaient alors été déposés par Jean-Marie Le Pen, qui avait été condamné dès la fin des années 1960 pour apologie de crime de guerre après avoir édité un disque de chants du IIIe Reich. Il était alors accompagné par Pierre Bousquet, un ancien Waffen-SS de la division Charlemagne, des soldats français qui ont porté l’uniforme allemand et qui ont pris part à la défense de Berlin en avril 1945. Léon Gaultier, un autre cofondateur du parti, a aussi fait partie de la Waffen-SS. François Brigneau, journaliste et ancien milicien pétainiste, a également été désigné vice-président du FN.
En 2023 déjà, la Première ministre Élisabeth Borne avait rappelé ce passé. Invitée sur Radio J, elle avait déclaré ne pas croire « à la normalisation » du Rassemblement national : « Je pense qu’il ne faut pas banaliser ses idées, ses idées sont toujours les mêmes. Alors maintenant, le Rassemblement national y met les formes, mais je continue à penser que c’est une idéologie dangereuse. » Et d’assurer que le parti de Marine Le Pen et Jordan Bardella était « héritier » de Philippe Pétain, chef du régime de Vichy qui collabora avec l’Allemagne nazie, en référence aux cofondateurs du Front national anciens Waffen-SS.
La France n’a jamais essayé l’extrême droite : FAUX
Sur les réseaux sociaux, les sympathisants du Rassemblement national s’opposent aux critiques concernant leur parti en avançant l’idée que l’extrême droite n’a jamais été au pouvoir en France et qu’il serait opportun de lui laisser une chance.
De nombreux historiens ont répondu à cette affirmation en rappelant que l’extrême droite a bien dirigé la France au cours de la période du régime de Vichy. L’émission « Le cours de l’Histoire » diffusée sur France culture a notamment consacré un épisode à cette question. L’historien Laurent Joly, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, y explique qu’avant de prendre le pouvoir en juillet 1940, Phillipe Pétain n’était pas classé à l’extrême droite, mais qu’il a été « poussé par des forces de l’extrême droite » pour devenir l’homme fort de la France à la suite de la débâcle de l’armée française.
L’émission rappelle ainsi que dès sa formation, le gouvernement vichyste s’appuie sur les idées de l’extrême droite et place la logique de collaboration et l’antisémitisme au cœur de sa politique. Dès le 3 octobre 1940, la loi portant sur le « statut des juifs » en France est promulguée par le régime de Vichy. Ce texte définissait juridiquement l’appartenance à une prétendue « race juive » et listait les professions interdites aux personnes concernées.
Mais pour Laurent Joly, le virage fasciste du régime s’opère réellement au début de l’année 1944, face à l’évolution de la guerre en faveur des Alliés. « En janvier 1944, là, c’est vraiment l’extrême droite qui prend le pouvoir. […] C’est ce qu’on appelle la fascisation du régime de Vichy », explique l’auteur de « L’État contre les juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite » (éd. Grasset), rappelant que des collaborationnistes notoires comme Philippe Henriot, Marcel Déat ou Joseph Darnand accèdent à de hautes fonctions gouvernementales avec pour mission de combattre la Résistance.
Le Front populaire a voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain : FAUX
À la suite de la victoire du RN aux élections européennes et de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, les principaux partis de gauche se sont alliés au sein d’un Nouveau Front populaire afin de faire barrage à l’extrême droite aux élections législatives anticipées. Des sympathisants du RN ont rapidement critiqué cette alliance en invoquant l’idée sur les réseaux sociaux que c’est le Front populaire, cette coalition qui avait permis à la gauche de prendre le pouvoir en 1936, qui aurait voté les pleins pouvoirs à Philippe Pétain en juillet 1940.
La genèse du Front populaire remonte à 1934. Les différents partis de gauche sont alors très divisés mais face à un rassemblement des ligues d’extrême droite le 6 février 1934, qui tourne à l’émeute, ils décident de s’unir contre ce « coup de force fasciste ». Cette coalition des socialistes, des communistes et des radicaux remporte les élections le 5 mai 1936, avec 386 sièges sur 608. Le Front populaire devenu majoritaire, Léon Blum prend la tête du gouvernement. À la liesse succède un mouvement de grève massif pour faire pression sur l’exécutif. Après des négociations, le 8 juin 1936, les accords de Matignon sont signés et de nombreux acquis sociaux remportés.
Mais le 21 juin 1937, un an et deux semaines après son investiture, Léon Blum rend son tablier. L’aventure du Front populaire prend fin en novembre 1938 avec la répression d’une vague de grèves en riposte aux décrets-lois pris par le gouvernement du radical Daladier, qui remettent en cause les conquêtes sociales. « Ce mouvement n’a perduré que quatre ans », résume à France Info Serge Wolikow, historien spécialiste du mouvement ouvrier et professeur à l’université de Bourgogne. Il estime ainsi que « lors du vote des pleins pouvoirs du 10 juillet 1940, le Front populaire n’existait déjà plus en tant que tel ».
Ce jour-là, l’Assemblée nationale a bien voté avec 569 votes pour et 80 contre une loi constitutionnelle donnant « tout pouvoir au gouvernement de la République » dirigé alors par Philippe Pétain. Mais les élus qui ont approuvé ce vote « ne représentaient plus le Front populaire » et ont voté « en leurs noms », souligne Serge Wolikow. Et parmi les 80 parlementaires ayant voté contre, « il y avait une majorité d’anciens du Front populaire », précise l’historien Jean Vigreux, spécialiste de cette coalition de gauche.
L’auteur du livre « Histoire du Front populaire. 1936, l’échappée belle » (éd. Tallandier) rappelle aussi que nombre d’anciens membres de la coalition de 1936 manquaient à l’appel le 10 juillet 1940 : « Certains sont mobilisés au front ou ont été déchus de leur mandat de député ou de sénateur en 1939 car communistes [Édouard Daladier a en effet interdit le PCF après la signature du pacte germano-soviétique, NDLR]. D’autres sont sur un bateau qui quitte la France. » Affirmer que le Front populaire a donné les pleins pouvoirs à Philippe Pétain n’est donc pas juste historiquement, insiste Serge Wolikow, qui estime que le but de cette allégation, souvent portée par l’extrême droite, est « d’abîmer la mémoire du Front populaire des années 1930 ».
Vous entendez et entendrez certainement dire que « le Front populaire a voté les pleins pouvoirs à Pétain » ? Voici une liste de ressources non exhaustive sur la question. N’hésitez pas à la compléter. (Spoiler : c’est faux) pic.twitter.com/tuSRFogr2H
— Nathalie Raoux (@RaouxNathalie) June 15, 2024
Léon Blum se retournerait-il dans sa tombe ?
Depuis l’annonce de la création du Nouveau Front populaire, la figure de Léon Blum est réapparue sur le devant de la scène. À gauche, ce grand nom du socialisme est invoqué pour rappeler les grandes heures de cette coalition. Mais du côté des institutions juives, certains dénoncent le nouveau rassemblement des gauches, y voyant une « honte » et un « accord infâme » avec La France insoumise (LFI), qu’elles accusent d’antisémitisme en raison de ses prises de position controversées après les attaques du Hamas le 7 octobre dernier en Israël.
Léon Blum était en effet issu d’une famille juive d’origine alsacienne et a été visé dès le début de sa carrière par des attaques antisémites. Lors de son investiture en 1936, le député Xavier Vallat, qui s’occupera par la suite des questions juives à Vichy, avait déclaré que « la France, vieux pays gallo-romain, allait être gouvernée, pour la première fois, par un juif ». Le frère de Léon Blum, René, a également été assassiné à Auschwitz en septembre 1942 parce qu’il était juif.
La Licra [Ligue contre le racisme et l’antisémitisme] a de son côté déploré un Parti socialiste « oublieux de sa propre histoire, de sa culture politique et de ses combats humanistes ». « Cela méritait bien un pied de nez à l’Histoire, au ‘Front populaire’, le vrai, et à son leader, le ‘juif Blum' », a-t-elle ajouté. Le président Emmanuel Macron a également déclaré que le chef de file du Front populaire devait « se retourner dans sa tombe » en pensant à cette « alliance électorale qui permettra de donner 300 circonscriptions à LFI, et donc à des gens qui ont assumé très clairement de ne pas condamner l’antisémitisme : ce n’est pas ça, le Front populaire, ça a un sens dans notre histoire, ça a un rôle, ça a une dignité ».
L’arrière petit-fils de Léon Blum, Antoine Malamoud, a toutefois répondu à ces critiques en publiant une tribune sur le site de Médiapart. Il a rappelé qu’en 1936, les divisions étaient déjà fortes au sein du Front populaire entre communistes, socialistes et radicaux, mais que pour son arrière-grand-père, il s’agissait avant tout d’une unité d’action « contre les menaces fascistes ». Pour Antoine Malamoud, le Nouveau Front populaire doit mettre « de côté les polémiques et les attaques personnelles même s’il y a des divergences sur les sujets de fond ». Il souligne en effet que les « déclarations imprudentes ou hasardeuses » de LFI doivent être critiquées et condamnées, mais selon lui, « c’est au cœur de la pensée de l’extrême droite que l’antisémitisme est structurellement présent. Il est au cœur de l’idéologie identitaire. »
Léon Blum se retrouve étrangement au cœur de l’actualité politique. Plutôt que de faire parler notre grand mort, nous vous proposons quelques ressources pour vous faire votre propre avis sur ce qu’il aurait pu penser du moment 🧵
— Léon Blum (@LeonBlum_amis) June 12, 2024
Source link : https://www.france24.com/fr/france/20240618-rn-front-populaire-quand-la-campagne-des-l%C3%A9gislatives-revisite-l-histoire
Author :
Publish date : 2024-06-18 16:08:57
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.