Si tout les oppose, le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national s’accordent au moins sur un point : leur virulence contre la réforme des retraites, adoptée en 2023, devenue un symbole politique de la présidence Macron. Les deux partis ont érigé son abrogation comme l’une de leurs priorités. Le 23 juillet, les députés de La France insoumise ont ainsi déposé une proposition de loi visant à abolir «le report de l’âge légal de départ à 64 ans ainsi que l’accélération de la hausse de la durée de cotisation à 172 trimestres ».
Deux jours plus tard, sur BFMTV-RMC, la candidate du NFP à Matignon Lucie Castets a précisé qu’ils pourraient d’abord revenir sur cette réforme par décret « pour décaler son entrée en vigueur ». « Cela permettra aux générations qui devaient être concernées de ne pas l’être », a-t-elle indiqué.
Une annonce qui laisse dubitatif Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse-Capitole. « Il n’est pas possible de modifier une loi par un décret, d’autant plus que celle-ci est déjà entrée en application, sauf si le premier ministre engage une procédure très complexe devant le Conseil constitutionnel… Ce n’est pas la voie que semble emprunter Lucie Castets, donc je ne comprends pas ce qu’elle a en tête », commente-t-il. Lucie Castets y voit, elle, une première étape, avant une abrogation définitive à l’Assemblée, soit par cette proposition de loi, soit par un projet de loi si Emmanuel Macron se décide à la nommer première ministre.
Une course déjà freinée
Entre-temps, le RN s’est empressé de faire savoir qu’il voterait en faveur du texte déposé par le NFP. « C’était dans notre programme, a rappelé le député Laurent Jacobelli. Ce projet passera grâce à nous. » Les 126 voix du RN permettraient en effet aux 193 députés NFP d’atteindre la majorité absolue nécessaire (289 sièges). Et si cette proposition n’a pas été examinée d’ici là, le RN compte profiter du fait d’avoir obtenu la première niche parlementaire, le 31 octobre prochain, pour placer son propre texte d’abrogation. Cette séance mensuelle permet en effet à un groupe minoritaire de décider de l’ordre du jour et d’y inscrire ses propositions de loi… Un moyen de prendre la gauche de vitesse.
La course entre ces forces politiques est déjà freinée par le flou entourant le calendrier parlementaire. L’Assemblée nationale a en effet suspendu ses travaux pour l’été, et sa date de reprise n’est pas encore connue. L’ordre du jour des textes à examiner n’a pas non plus été fixé par la Conférence des présidents de groupe. Cette proposition n’a donc aucune chance d’être débattue avant septembre.
Une bataille de pouvoir
Autre frein majeur : son examen au Palais-Bourbon risque de donner lieu à une bataille de pouvoir. Chaque camp pourrait utiliser les outils parlementaires jouant en sa faveur. Le 7 juin 2023, la présidente de l’Assemblée Yaël Braun-Pivet avait ainsi prononcé «l’irrecevabilité» des amendements d’abrogation déposés par la Nupes et par le groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Elle avait pour cela brandi l’article 40 de la Constitution, selon lequel « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
La situation est toutefois différente aujourd’hui, car le NFP a remporté la majorité des postes clés au bureau de l’Assemblée. Grâce à l’article 89 du règlement de l’Assemblée, celui-ci dispose d’un pouvoir pour apprécier la recevabilité d’une proposition de loi. Sans oublier que la commission des finances reste présidée par l’Insoumis Éric Coquerel. « Voilà pourquoi il était si important d’obtenir la majorité au bureau de l’Assemblée», s’est réjoui le député LFI Antoine Léaument sur X.
Enfin, si cette abrogation est validée par l’Assemblée nationale, il lui faudra encore passer devant le Sénat. Celui-ci est contrôlé par Les Républicains, favorables à la réforme des retraites. Cela présage donc de houleuses discussions et d’un compromis difficile à trouver. Emmanuel Macron, lui, a profité de son interview le 23 juillet sur France 2 et Radio France pour tacler : «L’urgence du pays n’est pas de détruire ce qu’on vient de faire, mais de bâtir et d’avancer.»
Source link : https://www.la-croix.com/economie/la-reforme-des-retraites-cible-politique-numero-un-20240728
Author :
Publish date : 2024-07-29 04:30:34
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.