Beaucoup de partenaires à gauche prônent, si l’on peut dire, une forme de pragmatisme prévisionnel : se doter d’un gouvernement qui ne soit pas exposé à une censure immédiate, revoir le programme au regard du rapport de force à l’Assemblée pour le rendre plus tolérable aux macronistes, etc. — en somme : lâcher du lest.
Je voudrais y répondre.
La pulvérisation du Parti socialiste et de son électorat traditionnel après le mandat de François Hollande ont résulté, je crois, de ce que :
La frange la plus centriste a assumé le basculement à droite en rejoignant Emmanuel Macron.La frange de gauche a été dégoûtée du décalage entre la parole donnée et la politique menée.
Il s’est ensuivi une traversée du désert pour la gauche qui, de fait, s’est depuis reconstruite autour de la proposition d’une gauche de rupture poussée par Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise.
Renoncer à ce cap de rupture avant même d’avoir essayé nous ramènera au désert. Tous.
Et je dis bien : « tous » car nous l’avons fait ensemble, ce Front Populaire. Nous l’avons gagnée ensemble, cette élection. Si on ne se tient pas à la parole donnée, les électeurs et les électrices ne feront pas de quartier : ils mépriseront nos partis solidairement et d’un bloc, sans départager les responsabilités respectives.
Sur les murs du 19e arrondissement de Paris © LG
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« Mais il y a le mur de la réalité ! » répondrez-vous. « On va la prendre, cette motion de censure ! »
Eh bien tant pis. Ce sera la démocratie. On rongera notre frein. On est habitués maintenant. Mais au moins on aura essayé, en conformité avec la parole donnée. On tient bon sur une ligne loyale à celle défendue lors de la campagne. Notre victoire ayant été étroite (une demi-victoire seulement), on arrache ce qu’on peut de conquêtes, fidèles à nos promesses, fût-ce des petits bouts. Mais on se bat.
Et si le « ce qu’on peut » en question est peu de chose, voire rien du tout, alors à nouveau : on rongera notre frein, tant pis, on est habitués. Mais on se sera battus, on n’aura pas trahi, et les électeurs l’auront vu se dérouler sous leurs yeux !
On devrait arrêter d’essayer de penser trois coups d’avance et de sauter les étapes, et s’en tenir à un principe tout simple : dans une démocratie, on est responsable devant le peuple de ce qu’on a défendu et de ce qu’on a combattu. Et chacun prend ses responsabilités.
Si un gouvernement « trop de gauche » au goût de l’actuelle Assemblée se propose, fidèle à son programme, et qu’elle juge préférable de le censurer, eh bien soit ! Laissez les censeurs assumer la responsabilité d’avoir censuré la hausse des salaires et l’abrogation de la réforme des retraites !
Il est possible aussi qu’ils ne veuillent pas avoir à assumer cette responsabilité et qu’ils ne censurent pas. Dans ce cas-là : on gouverne. Et on gouverne dans la loyauté à la parole donnée ! Quant à la part nécessaire de compromis qu’implique la vie démocratique, elle se fera naturellement, par le cours ordinaire des institutions : le centre et la droite amenderont ce qu’ils amenderont, retoqueront ce qu’ils retoqueront. Le Président de la République refusera de signer ce qu’il refusera de signer. Ce sera pénible. Mais ce sera normal.
Et surtout : les responsabilités des uns et des autres seront au clair, et elles seront connues.
En revanche, si on transige et qu’on recule avant même d’avoir essayé, par cette espèce de pragmatisme prévisionnel dont je parlais plus haut : alors cela sera notre responsabilité. Elle aussi sera claire, et connue. Et très franchement : on ne s’en relèvera pas avant un bout de temps.
J’ai l’impression que ce que j’écris ici relève d’une éthique démocratique simple et enfantine, alors que les trois quarts d’entre nous sont occupés à planifier un jeu de billard à trois bandes.
Mais je voudrais insister sur ce point encore : si nous échouons, nous échouons tous en bloc. Ceux — quels qu’ils soient, s’ils existent — qui font le pari de faire capoter la négociation à gauche en croyant qu’ils pourront faire porter le chapeau à l’autre, LFI ou PS, font un pari de la mort. Cela ne fonctionnera pas ! Nous serons tous, ensemble, à la hauteur. Ou nous serons tous, ensemble, discrédités puis balayés.
Mes remerciements à Livia Garrigue pour avoir assuré la première mise en forme de cet article à partir d’un fil Twitter, car j’étais moi-même indisponible dans le cours de la journée pour rédiger.
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Publish date : 2024-07-16 19:07:30
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