Le JDD. Comment les patrons de PME/TPE réagissent depuis l’annonce de la dissolution ?
François Asselin. L’inquiétude est de plus en plus grande. Nous les avons sondés entre les deux tours des législatives. Leur première préoccupation, c’est la menace qui pèse sur le niveau d’activité, en clair leur carnet de commandes. Mais viennent ensuite deux sujets qu’ils n’évoquaient pas jusqu’ici : la stabilité politique et la paix civile. Depuis le second tour des législatives et le score du Nouveau Front populaire, on est passé de l’inquiétude à la tétanie.
Ce niveau d’inquiétude a-t-il déjà des effets concrets sur la vie des entreprises ?
En matière économique, il existe une main invisible qui s’appelle la confiance. C’est elle qui amène à bouger, à prendre des risques. Et la confiance s’appuie sur la stabilité, la visibilité, la lisibilité. Nous avons perdu les trois. Les entrepreneurs, singulièrement les « petits » se sont mis en mode « pause ». Or, dans une entreprise, c’est comme à vélo : quand on arrête de pédaler on finit par tomber !
Depuis sept ans, Emmanuel Macron a assumé une politique « pro-entreprises ». Les acquis engrangés pendant cette période sont-ils menacés à court terme ?
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Imaginons qu’on ait un exécutif, en l’occurrence un Premier ministre de cohabitation, qui soit « anti-business ». Cela reviendra à se tirer une balle dans le pied. Le succès d’une économie repose avant tout sur la dynamique du secteur marchand et des entreprises privées. En France, notre modèle est constitué de 90 % de PME et de TPE, et elles sont mécaniquement beaucoup plus vulnérables à toutes mesures contraignantes dans un monde ultra-concurrentiel.
Par ailleurs, depuis sept ans, nous bénéficions de la stabilité fiscale. Pour la première fois, sur une si longue période, un gouvernement ne nous fait pas le coup d’« un pas en avant, deux pas en arrière ». Le message que je veux faire passer est simple : nous les dirigeants de PME/TPE nous ne sommes pas trop gourmands, on se satisfait de cette stabilité tout en sachant qu’on reste les plus ponctionnés en Europe.
Pour autant, la gauche trouve un écho parmi les Français dont certains estiment qu’on a beaucoup donné aux entreprises et peu pour leur pouvoir d’achat. Que répondez-vous ?
Le pouvoir d’achat des Français n’a pas dévissé, c’est même le contraire : l’évolution des salaires a rattrapé l’inflation. Et pour autant, le sentiment de perte du pouvoir d’achat reste très présent. De fait, aujourd’hui en France, quand on gagne 1 400 euros net par mois, dans une grande ville, le quotidien est très compliqué. Il faut souvent compter sur les aides sociales pour se maintenir à flot.
« Si on augmente les salaires, on est plombé par les charges »
Mais précisément, le problème n’est pas le niveau du Smic, qui est l’un des plus élevés d’Europe. C’est de se retrouver dix, vingt, trente ans après son entrée sur le marché du travail avec un salaire qui reste bloqué au niveau du Smic.
Vous semblez renvoyer les Français du bas de l’échelle dans un corner : d’un côté vous dénoncez un État trop dépensier en aides sociales, et de l’autre vous dites qu’on ne peut pas augmenter le Smic…
Je reste persuadé qu’il faut absolument s’accrocher à la France du travail plutôt qu’à la France des allocs. Or, aujourd’hui, dès qu’on augmente le salaire, il est plombé par la hausse des charges. Au niveau du Smic, une hausse de cent euros coûte près de cinq cents euros à l’employeur.
Nous sommes dans une espèce d’étau : d’un côté augmenter le salaire coûte très cher à l’employeur et de l’autre, notre système social s’autofinance sur les charges qui pèsent sur le travail. Il faut tout remettre à plat.
Si on augmente le Smic à 1 600 euros nets dès cet été, quelles conséquences immédiates pour les TPE et PME ?
Sur l’emploi, une augmentation d’1 % du Smic au-delà de l’inflation, c’est immédiatement 15 000 emplois détruits. Pourquoi ? Parce qu’on ne vit pas sur une île. Nous sommes en compétition avec tous les autres pays du monde. La compétitivité des TPE/PME serait immédiatement dégradée. Sachant que le Smic à 1 600 euros nets représente non pas une hausse de 1 %, mais de 14 %. Je vous laisse faire les comptes.
Le deuxième point concerne les entreprises qui vendent essentiellement de la main-d’œuvre : service à la personne, propreté, sécurité… Votre business repose sur la vente du « taux horaire ». Si vous n’avez aucune possibilité de répercuter ce taux horaire sur vos prix de vente, vous fermez la boutique parce que vous n’aurez pas assez de marge pour encaisser une telle explosion de vos coûts. 18 % des entrepreneurs annoncent qu’une hausse du Smic à 1 600 euros les conduira à déposer le bilan.
« Le principal levier pour s’en sortir et assurer la croissance, c’est le travail »
Un argument de la gauche consiste à dire que si on hausse le niveau du Smic, cela incitera les ménages à consommer davantage ce qui profitera aux entreprises. Est-ce pertinent ?
C’est la vieille antienne de la relance par la consommation. François Hollande, président de gauche, avait précisément changé de cap en basculant dans une politique de l’offre en 2012, parce que la France était au bord du gouffre. Si l’augmentation des salaires garantissait qu’on achète 100 % français, évidemment, ce serait le jackpot. Mais ça n’est pas le cas. Les consommateurs continueront d’acheter au moins cher et les entreprises chinoises se frotteront les mains.
Deuxièmement, nous entrerons immédiatement dans le cercle vicieux de la boucle augmentation de salaire / hausse de l’inflation. Les Français auront l’impression de s’enrichir d’un côté, mais s’appauvriront aussi rapidement de l’autre.
Autre mesure annoncée souhaitée par le Nouveau Front populaire : l’abrogation immédiate de la réforme des retraites. Quelles conséquences pour les entreprises ?
La situation financière de la France est si fragilisée – plus de 3 100 milliards d’euros de dettes –, que prendre une telle mesure qui coûtera plusieurs dizaines de milliards d’euros à terme, donnera un signal d’alerte à nos créanciers. Ils n’achèteront plus notre dette, les taux d’emprunt pour les entreprises françaises augmenteront et la situation économique du pays deviendra rapidement intenable.
Le retour de la gauche, soucieuse de l’amélioration des conditions de travail repose aussi sur un changement du rapport des Français au travail. Ne faut-il pas en tenir compte ?
Ce que je constate c’est que le principal levier pour s’en sortir et assurer la croissance, c’est le travail. En France, sur cent personnes en classe d’âge de travailler, vous en avez 68 qui sont en emploi. Contre 77 en Allemagne et 80 en Suisse. Nous devons sans attendre augmenter collectivement la quantité de travail. C’est cela le vrai sujet. Or il a été totalement absent de la campagne des législatives. Pire ! Quand vous regardez le programme du Nouveau Front populaire, on rame à contre-courant. En 1999, avec la mise en place des 35 heures, on a baissé notre capacité de production de 11,4 %. C’est la raison principale de notre appauvrissement.
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Publish date : 2024-07-15 06:02:07
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