Ce chiffre renvoie à une étude datée de 2000 qui ne prend pas en compte les effets positifs de la hausse du pouvoir d’achat des smicards sur l’économie. Une étude de l’OFCE qui tient compte de ce paramètre conclut à un impact beaucoup plus marginal sur le marché du travail.
Augmenter le smic de 1 % entraînerait mécaniquement la disparition de pas moins de 15 000 emplois : c’est l’un des chiffres brandis, depuis quelques jours, par divers opposants au projet de réévaluation du salaire minimum à 1 600 euros porté par le Nouveau Front populaire. Plus généralement, la thèse selon laquelle augmenter le salaire minimum empêche la création d’emploi, voire contraint à l’interruption de contrats, est régulièrement avancée dans le débat public. CheckNews y avait, d’ailleurs, consacré un article en 2018, après une prise de position publique d’un cadre des Républicains.
En 🇫🇷, une augmentation de 1% du SMIC détruit 15.000 emplois, selon une étude publiée en 2000 par le journal de… Thomas Piketty.
À l’époque, le SMIC était à 767€.https://t.co/Cv3OTYxkbI
— Cobra effect (@Cobra_FX_) July 10, 2024
Comme nous l’expliquions alors, l’association «1 % d’augmentation» et 15 000 emplois apparaît bien dans des travaux d’économistes français. Mais qui remontent à 2000. Et cette étude n’est pas la seule à s’être penchée sur l’effet de hausses des salaires minimums sur l’emploi, et leurs résultats ne sont pas nécessairement convergents. La littérature académique est surabondante sur cette problématique appliquée aux Etats-Unis, avec une très forte hétérogénéité tant dans les méthodes d’analyse que les résultats (effets positifs, nuls, ou négatifs). Une synthèse de la littérature internationale réalisée en 2019 pour le gouvernement britannique concluait que «les études portant sur de larges groupes de travailleurs» suggéraient «un impact sur l’emploi proche de zéro».
La situation française apparaît étonnamment peu documentée. Et deux études interrogeant l’effet d’une même hausse du smic (1 %) sur l’emploi aboutissaient à… des conclusions très différentes.
Pas de prise en compte de l’effet de la mesure sur la consommation des smicards
La première de ces études est celle citée plus haut. Menée en 2000 par les économistes Francis Kramarz et Thomas Philippon, elle concluait qu’une augmentation du salaire minimum de 1 % en France aboutit, un an plus tard, à la destruction de 15 000 à 25 000 emplois. Pour aboutir à ce résultat, les auteurs ont comparé des périodes de fortes augmentations du smic (arrivée de Chirac au pouvoir en 1995) et des périodes où le coût du travail des bas salaires a été abaissé (importantes exonérations de cotisations sociales accordées par Juppé en 1996). Ainsi, ils évaluent l’effet du coût global du travail des travailleurs touchant les plus bas salaires sur l’emploi.
«Le smic concerne des postes de travail occupés par des salariés qui, pour beaucoup, ont très peu de réserve de productivité, analysait l’économiste Francis Kramarz. Donc dès que vous augmentez le salaire minimum, vous rendez moins productifs les plus fragiles, et ces gens-là perdent leur emploi». Notamment dans certains secteurs de l’industrie, où l’équilibre «est sur le fil du rasoir», expliquait Kramarz. A l’inverse, la filière hospitalière où les Epadh, où la question de la concurrence n’a pas la même importance, seraient moins sensibles à une hausse du salaire minimum.
Toutefois, cette étude publiée en 2000 ne prend pas en compte les répercussions, en termes d’emplois, d’une hausse de la consommation induite par un gonflement du pouvoir d’achat des smicards. «C’est très difficile à faire, notamment du fait de l’hétérogénéité des entreprises», expliquait Francis Kramarz.
Une étude de l’OFCE de 2012 met le pouvoir d’achat dans l’équation
Une seconde étude, datant de 2012, réalisée par Eric Heyer et Mathieu Plane, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), cherchait à appréhender l’ensemble des conséquences d’une hausse de 1 % du smic. Y compris cette question de l’effet du gonflement du pouvoir d’achat des bénéficiaires de la mesure. Selon les calculs de l’OFCE, la hausse du coût de la main-d’œuvre (et donc le surcoût pour l’employeur) entraînerait la destruction d’environ 26 000 emplois (soit un total proche de la fourchette haute de l’étude de Kramarz et Philippon). Toutefois, deux phénomènes viennent contrebalancer ces destructions.
L’OFCE estime en effet que 11 500 emplois sont créés du fait de la hausse du pouvoir d’achat des bénéficiaires de la hausse du smic. A ce chiffre s’ajoutent 11 400 emplois liés au fait que les cotisations patronales… sont moindres avec un smic plus élevé.
En effet, en France, les exonérations de cotisations patronales sont maximales au niveau du smic puis déclinent progressivement pour s’éteindre à 1,6 fois le salaire minimum. Or si le smic est augmenté, tout l’éventail des revenus de référence entre 1 et 1,6 smic, qui sert à calculer les exonérations de cotisations patronales, est lui aussi rehaussé. En cas de hausse du smic, la plupart des personnes qui étaient déjà payées au niveau du nouveau salaire minimum garderont leur salaire… mais leurs employeurs bénéficieront d’exonérations de cotisations importantes. Ainsi, le «coût» du travail de ces salariés baisse pour l’employeur.
Au final, à l’horizon d’un an, et en combinant ces trois effets (en partant donc du principe que les exonérations ne seront pas réformées dans la foulée), une hausse de 1 % du salaire minimum entraînerait la destruction de 2 100 emplois dans l’économie française. Un effet marginal sur le marché du travail (de l’ordre de 20 millions de personnes en emploi).
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Publish date : 2024-07-11 16:07:00
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