« Le Nouveau Front populaire appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme. » Les propos du leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, au soir du deuxième tour ont aussitôt été contrés par de nombreuses voix à gauche.
Oui, le NFP est arrivé premier et son aspiration à gouverner est légitime, mais sauf à vouloir sortir du jeu démocratique et imiter certains de ses adversaires, sa majorité (très) relative va l’obliger à passer d’une manière ou d’une autre des alliances et négocier des compromis.
C’est ce qu’a par exemple exprimé la sénatrice PS Corinne Narassiguin : « Il faut de la solidarité au sein de la gauche, mais il faut des majorités de projet. » Et donc non pas « appliquer tout le programme » mais choisir « des propositions » qui répondent « aux attentes des Français ».
S’agissant d’écologie et du sujet prioritaire, l’urgence climatique, on aperçoit pourtant l’impasse qui consisterait à choisir les propositions que plébiscitent a priori les Français (les carottes telles que le renforcement des aides à la rénovation des logements) et à renoncer aux autres (les bâtons tels que l’obligation de les rénover).
Le « zéro émission nette » en 2050, objectif jusqu’ici endossé par la quasi-totalité de l’arc républicain, signifie une sortie des fossiles en un temps record, alors que le pétrole et le gaz représentent en France encore 60 % de la consommation d’énergie des ménages, collectivités et entreprises.
Les travaux du Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) institué par Emmanuel Macron ont montré, comme d’autres avant lui, qu’une telle révolution passe par un ensemble complexe et cohérent de mesures toutes aussi nécessaires les unes que les autres. Même s’il existe des variantes pour parvenir au même résultat, elles forment tout sauf un catalogue dans lequel il serait possible de piocher au gré des réticences des uns et des autres.
Réciproquement, si – hypothèse d’école – le front des gauches disposait d’une majorité absolue, serait-il vraiment en mesure de mettre en œuvre, comme écrit dans son programme, « un plan climat visant la neutralité carbone en 2050 » ? Le SGPE a déjà présenté il y a un an une feuille de route pour atteindre (et non « viser ») cet objectif. Cela n’en fait pas pour autant une décision.
Concerter pour de bon la transition
Mobilisation des routiers, pêcheurs et taxis en 2000 contre l’introduction d’une fiscalité écologique sur les carburants décidée par la gauche plurielle, bonnets rouges contre une taxe verte sur les poids lourds en 2013 sous un gouvernement de gauche, puis gilets jaunes en 2018 sous un exécutif à l’époque centriste…
L’histoire de la politique climatique en France est jonchée de cadavres de lois et mesures affichant une certaine ambition et portées par une majorité politique, mais aussitôt gelées face à un mouvement social. Car avoir une majorité au Parlement ne suffit pas à assurer la légitimité de mesures qui fatalement font des mécontents, dans toutes les strates de la société.
Le milliardaire influent privé de son jet, le bourgeois poussé à dépenser moins en séjours aux Etats-Unis et davantage en isolation de sa maison, le smicard ou l’agriculteur étranglés qui ne peuvent pas se permettre de payer leur énergie plus cher.
Pour sortir de ces échecs à répétition, avant même de penser programme, il faut penser méthode, comme y invitent les économistes Emmanuel Combet et Antonin Pottier dans leur ouvrage éclairé et éclairant, Un nouveau contrat écologique (PUF), paru récemment.
Sortir des fossiles et restaurer la biodiversité, c’est nécessairement détruire les bases du modèle économique et en changer. Donc fatalement remettre en cause l’allocation des richesses et leur distribution. Cela appelle une renégociation du contrat social, qui ne peut se réduire à l’acquiescement à un « contrat de législature » via un bulletin de vote, a fortiori déposé par une minorité d’électeurs.
Le NFP va devoir porter davantage d’attention à la concertation sociale, sinon l’histoire des bonnets rouges et des gilets jaunes a toutes les chances de se répéter
Le programme écologique du NFP souffre ainsi du peu d’attention portée à la nécessaire concertation sociale de la transformation qu’il veut engager. Bien sûr, ce programme a été rédigé dans l’urgence, il ne faut jamais le perdre de vue. Et, surtout, ce vice n’est bien entendu pas l’apanage de la gauche.
Toutefois, sans propositions pour avancer sur ce sujet essentiel de la construction au long cours d’un consensus à la hauteur des enjeux écologiques et à même de survivre aux alternances politiques, l’histoire des bonnets rouges et des gilets jaunes a toutes les chances de se répéter. Les mesures ambitieuses que le NFP pourrait (peut-être) faire passer demain seraient alors balayées après-demain.
Lever les ambiguïtés sur le mix énergétique
A côté de ce défaut principal et « principiel » du programme écologique du NFP, on peut identifier au moins trois domaines où ses propositions concrètes soulèvent des questions et appellent des clarifications.
Un premier sujet est celui du mix énergétique. Côté demande, le NFP fait l’impasse sur la question de la sobriété. S’agissant d’un programme électoral et considérant les désaccords internes aux composantes du NFP, le point peut s’entendre, mais sans remise en cause de certains comportements individuels et collectifs de consommation, il est impossible d’atteindre la neutralité carbone.
Inversement, certaines visions de la sobriété pourraient s’avérer contre-productives, comme le moratoire sur la fermeture des petites lignes de chemin de fer et leur réouverture dès que possible. A l’heure des autocars électriques, une analyse des situations au cas par cas est peut-être préférable aux positions de principe.
Le programme est également muet sur les sujets qui fâchent du côté de l’offre : l’avenir de la filière nucléaire (construire ou pas de nouveaux réacteurs) et le déploiement d’installations terrestres de production d’électricité renouvelable (éoliennes et parcs solaires).
Là encore, le fait est compréhensible, mais il va falloir rapidement clarifier le discours. Et commencer par assumer de dire la vérité : quoi que l’on décide sur le nucléaire et l’éolien marin, il est urgentissime, au regard des délais de construction de ces filières, et particulièrement la première, d’accélérer sur l’éolien terrestre et le grand photovoltaïque au sol. Et de garder le pied enfoncé.
Clarifier les ambitions sur la biodiversité
Sur le chapitre agricole, le NFP entend soutenir la filière du bio, mais ne formule aucun objectif chiffré. Plus que les 18 % de surface agricole que voulait atteindre en 2027 le gouvernement sortant (contre 10,4 % l’an dernier) ? De combien ? C’est pourtant un enjeu central pour la biodiversité.
De même « rétablir le plan Ecophyto » est une proposition floue : ce plan de diminution de l’usage des pesticides lancé par le Grenelle de l’environnement en 2007 n’a jamais été supprimé mais révisé à la baisse à deux reprises, en 2016 et 2024. Quel est du coup le niveau d’ambition du NFP sur les pesticides, au-delà de sa volonté d’interdire le glyphosate (un type d’herbicide) et les néonicotinoïdes (un type d’insecticide) ?
Par ailleurs, atteindre durant le mandat le très bon état écologique et chimique de tous les cours d’eau est un vœu pieux si l’on ne réduit pas également la pression des effluents d’élevages et des engrais azotés qui fertilisent aux deux tiers les cultures destinées à l’alimentation des animaux.
Lutter contre les importations de produits agricoles ne respectant pas les normes environnementales européennes ou empêchant de les renforcer est un combat que le NFP a raison de vouloir mener. Mais la préservation de l’eau et des écosystèmes passe aussi obligatoirement par la réduction de la consommation de protéines animales, dont le niveau actuel est un facteur très puissant de leur dégradation, sinon le principal. Une question, là aussi, laissée dans l’ombre, car socialement (et électoralement) difficile à aborder.
Ne pas être langue de bois sur les bâtons
Le programme du NFP, enfin, est imprécis sur le nerf de la guerre. Selon les travaux d’I4CE ou le rapport Mahfouz-Pisani, pour atteindre les objectifs climatiques de la France à l’horizon 2030, il faudrait que les ménages, les entreprises et les acteurs publics investissent chaque année environ 60 milliards d’euros supplémentaires dans des actifs permettant de sortir des fossiles (rénovation des logements et bâtiments, achat de véhicules électriques, infrastructures ferroviaires et de production d’énergie décarbonée…). Le NFP reprend-il à son compte cet ordre de grandeur ? Comment financer ? Avec quelle proportion d’argent public ?
Les propositions sur la table ne permettent pas de s’en faire une idée. Et si le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune complété par un volet climat et la suppression des niches fiscales polluantes sont des idées bienvenues, elles ne sont pas chiffrées.
Seule certitude : ce que l’on arrivera à lever en taxant les plus riches, le carburant aérien, le gazole des transporteurs et des agriculteurs ne suffira pas à combler le fossé du financement climat. Et ne parlons pas d’adaptation et de biodiversité.
Evasif sur les bâtons (taxes, obligations, interdictions), le programme du NFP laisse également à désirer sur les carottes. Pas sûr qu’il soit bien nécessaire de renforcer les aides à l’isolation complète des logements pour tous, donc y compris les ménages les plus riches.
Le blocage des prix de l’énergie est une très mauvaise idée. La mesure est horriblement coûteuse pour les finances publiques, antiécologique et antisociale
Surtout, le blocage des prix de l’énergie, autrement dit le bouclier tarifaire qu’avait institué le gouvernement précédent, est une très mauvaise idée. La mesure est horriblement coûteuse pour les finances publiques, antiécologique (on ne maîtrise pas la consommation d’énergie en la subventionnant) et antisociale (les plus riches consomment davantage d’énergie qui leur coûte moins cher en proportion de leurs revenus).
Mieux vaudrait donner de l’argent (et non des chèques énergie) aux ménages des premiers déciles pour leur permettre de supporter des hausses des tarifs de l’énergie. Idem pour les entreprises fragilisées.
Le programme écologique du Nouveau Front populaire pour les législatives a dû être bâti en toute hâte et en surmontant les divisions. A cette prouesse s’ajoute le fait que c’était aussi un programme de combat. Ses insuffisances ne sauraient lui être reprochées. En revanche, elles éclateront si le NFP ne s’attelle pas à le clarifier.
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Publish date : 2024-07-11 08:18:00
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