Alors qu’aucun bloc n’a obtenu la majorité absolue à l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire a avancé l’idée de faire passer une partie de leur programme par décret. Si la Constitution le permet, dans la pratique, ce mode de gouvernance ne pourra concerner que très peu de textes.
De l’avis de politologues, la situation politique actuelle en France est inédite. Le Nouveau Front populaire est désormais le bloc le plus fort à l’Assemblée nationale. Si ce lundi, le président de la République a maintenu « pour le moment » dans ses fonctions Gabriel Attal, qui avait remis sa démission, les leaders de la gauche revendiquent depuis dimanche soir Matignon. A l’heure où les tractations sont entamées, ils s’accordent sur le délai de transmettre le nom d’un Premier ministre « dans la semaine ».
Avec quelque 180 députés – 193 en incluant les élus divers gauche – la gauche est en tête mais sans majorité absolue. Dès dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a fait savoir que le Nouveau Front populaire pourrait gouverner par décret. Il n’y aura « aucune négociation », prévient le leader de La France insoumise. « Le NFP appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme. (…) Dès cet été, les mesures prévues par ce programme peuvent être prises par décret sans vote. »
« La Ve République est pensée pour permettre de continuer à gouverner en sachant qu’il n’y aura pas toujours de majorité » à l’Assemblée, explique Thibaud Mulier, constitutionnaliste et maître de conférence à l’université Paris Nanterre.Les décrets prévus par la Constitution
En 1958, Michel Debré, alors garde des Sceaux et artisan de la rédaction de la Constitution de la Ve République, avait en effet en tête cette situation. « Ah! si nous avions la possibilité de faire surgir demain une majorité nette et constante », déclarait-il devant le Conseil d’Etat. Car en réalité, depuis 1958, seule à trois reprises, un parti politique a eu la majorité absolue (1968, 1981 et 2017). « Tous les autres gouvernements étaient des gouvernements de coalition », détaille Dominique Rousseau, constitutionnaliste.
Alors il a fallu composer et prévoir une alternative à une majorité claire. Dans la Constitution, il faut lire les articles 34 et 37 ensemble. Le premier rassemble une liste limitative où la loi doit intervenir dans les politiques publiques. On y retrouve les droits civiques, la nationalité, le code pénal mais aussi les principes fondamentaux du droit du travail, de la sécurité sociale et les lois de financement. Le second prévoit que tout ce qui ne relève pas de la loi peut être adopté par décret autonome, à savoir un acte juridique qui relève du Premier ministre.
C’est déjà le premier préalable, le Nouveau Front populaire devra entrer à Matignon pour signer des décrets. Emmanuel Macron, dont la Constitution ne contraint en rien dans le choix du chef du gouvernement, pourrait parfaitement nommé un Premier ministre non issu de la gauche. Autre réalité si le NFP s’installait à Matignon, il existe deux catégories de décrets: ceux signés uniquement par le Premier ministre et ceux pris en concertation avec le président de la République. « Et la répartition se fait au cas par cas », prévient Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
« La marge de manoeuvre du Premier ministre existe mais elle est relativement faible », poursuit-il, précisant que, traditionnellement, le président de la République appose sa signature dans la grande majorité des décrets. »Des mesures symboliques »
Concrètement, la revalorisation du smic annoncée parmi les premières mesures du NFP peut se faire par décret. Le point d’indice pour les fonctionnaires aussi. « Il y a un certain nombre de choses qui peuvent être faites par décret mais à un moment il faudra une loi de finance rectificative », pour financer les mesures, prévient Thibaud Mulier. Pour le NFP qui n’a pas la majorité absolue, il faudrait alors passer, pour voter cette loi, par l’article 49.3 tant de fois décrié lorsque le gouvernement Borne puis Attal y a eu recours.
Concernant l’abrogation de la réforme des retraites qui impose le départ à la retraite à 64 ans, il faudra dans tous les cas passer par une loi. L’idée de passer par de nouveaux décrets d’application de la loi s’éloigne car ces derniers ont déjà été signés. « On peut prendre quelques mesures symboliques par décret, mais on ne peut pas faire de grandes réformes, rappelle Paul Cassia. « L’abrogation de la réforme des retraites est impossible sans supprimer la loi de 2023, donc il faut le vote d’une loi pour l’abroger. »
Là le sujet devient donc plus politique que constitutionnel. « Prenons une mesure, l’abrogation de la réforme des retraites. Moi je suis sûr que dans l’Assemblée aujourd’hui il y a une majorité pour l’abrogation de la réforme des retraites. On verra à ce moment là si chacun est comptable ou pas de ce qu’il a dit devant ses électeurs », relève Eric Coquerel, député réélu LFI-NFP de Seine-Saint-Denis. Autrement dit il faudrait qu’une partie de la droite, voire de l’extrême-droite, vote pour cette abrogation.
Au final, « ces décrets autonomes permettent au gouvernement d’agir même quand il n’y a pas de majorité claire », détaille Thibaud Mulier, mais qui consent que ces décrets ont un champ d’action limité. Déjà car dans la tradition de la Ve République, les gouvernements ont plus « tendance à passer par une loi que par un décret, car cela donne un surplus de légitimité » poursuit le constitutionnaliste. Des lois ont été votées dans des domaines qui relevaient du réglementaires. Aujourd’hui pour les modifier, il faudrait donc repasser par une loi. Et qui dit loi dit passage du texte devant l’Assemblée nationale.
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Publish date : 2024-07-09 03:58:00
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