FIGAROVOX/TRIBUNE – L’avocat Julien Nava passe en revue le programme du Nouveau Front Populaire en matière de justice. Celui-ci entend notamment réduire les peines de prison pour les délits mineurs, s’inquiète-t-il.
Julien Nava est avocat à la Cour.
Si l’opération par laquelle, la communauté judiciaire dans son ensemble a témoigné, à l’unisson, son émoi face à la percée d’un RN promettant la mise en œuvre d’un programme Justice désastreux ou permettant le relai d’appel aux meurtres contre des avocats, se révèle aujourd’hui comme une réussite ; gageons que les vigies bienfaisantes du droit resteront tout aussi attentives face à la probable mise en œuvre d’un programme Justice du Nouveau Front Populaire.
En effet, au cours de cette campagne éclair, le NFP a dévoilé un programme Justice visant à réformer en profondeur le système judiciaire français en y promettant, comme dans d’autres domaines, d’y favoriser «l’équité, la transparence et l’efficacité», abandonnant par là même, l’idée d’une VIe République préférant qu’un fiché S soit élu de la Ve.
Aucun élément au sein du programme ne détaille la façon dont le Conseil supérieur de la Magistrature deviendrait plus indépendant pour y éviter les conflits d’intérêts et garantir leur impartialité.
Julien Nava
Ceci, permettant manifestement au NFP de bénéficier d’un présupposé républicain très favorable, tandis que cinq mesures pourraient pourtant notamment retenir notre attention.
D’abord, l’augmentation des moyens alloués à l’aide juridictionnelle qui est l’aide financière que l’État accorde aux justiciables sans distinction dont les revenus sont insuffisants pour accéder au service public de la Justice.
Au-delà d’un objectif méritoire mais discutable, une telle mesure semble bien illustrer le slogan de 1968 : «Soyez réalistes, demandez l’impossible» : premièrement, elle nécessite un financement significatif, le programme ne précisant pas comment les fonds seront obtenus ni gérés ; deuxièmement, la simple observation du fonctionnement d’un tribunal permet d’établir que sans augmentation concomitante et significative du personnel judiciaire, cette mesure serait de nature à produire des effets contre-productifs pour le délai de traitement des dossiers. En réalité donc cette première mesure ruinerait les efforts de célérité amorcés jusque-là et très sollicités par les justiciables.
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Ensuite, pour garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire, le NFP a repris une antienne de François Hollande concernant la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature afin de le charger définitivement de la nomination et de la discipline des juges. Aucun élément au sein du programme ne détaille la façon dont ce conseil deviendrait plus indépendant pour y éviter les conflits d’intérêts et garantir leur impartialité. On peut alors se demander à quoi servirait une telle réforme des textes, devant organiser l’interaction des structures existantes sans créer une redondance bureaucratique qui est profondément préjudiciable aux droits du justiciable.
Plus crucial, le NFP envisage de réduire les peines de prison pour les délits mineurs, en privilégiant les travaux d’intérêt général, les amendes, et les peines de probation.
Le but de cette mesure est de «dégorger» les prisons françaises dont les conditions sont régulièrement jugées indignes par la CEDH. La logique est la même que pour le cannabis : il n’y a plus de trafic si le commerce est légal ; les conditions ne sont plus indignes, s’il n’y a plus de prison. Pour autant, la question de la réinsertion des délinquants se posera pleinement dans une atmosphère quasi schizophrénique où la prochaine mesure promet un meilleur accompagnement aux victimes tandis que les délinquants seraient dehors ?
Le NFP propose l’abrogation du contrat d’engagement républicain, jugé liberticide, dont l’objectif était pourtant de s’assurer que les associations sollicitant un agrément de l’État, respectaient bien les principes de la République !
Julien Nava
En effet, le programme prévoit la création de centres de soutien aux victimes dans chaque département, offrant un accompagnement psychologique, juridique, et financier. Cette mesure doit être saluée sans trop de réserves, par déférence au «statut» des victimes, mais il serait utile de savoir comment ces centres seront durablement financés tant on sait que l’accompagnement d’une victime ne peut voir ses résultats que sur le long terme. De tels éléments ne sont pas précisés au stade du programme.
Enfin, le NFP tient à s’attaquer frontalement aux discriminations systémiques qu’il dénonce dans le système judiciaire, en mettant en place. des formations obligatoires à l’égalité et à la diversité pour les acteurs judiciaires.
Un tel projet semble davantage relever de la déclaration d’intention que de la volonté de solutionner un problème existant. Une telle mesure, analogue à la journée «Défense et Citoyenneté» que connaissent tous les lycéens – et qui n’apprennent aux jeunes ni à se défendre ni à être citoyen – semble relever de la «farce» pour des professions dont l’obligation de formation est déjà omniprésente.
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Ainsi, «tout le programme du NFP, que le programme du NFP» qui devra être mis en œuvre semble promouvoir des mesures coûteuses et qui ne prennent pas spécifiquement en considération le particularisme du fonctionnement de notre Justice, Vertu muée en Administration.
En effet, loin de promouvoir de nouveaux droits ou libertés, ce programme ne s’intéresse que très lointainement à la question des libertés fondamentales en ne proposant ni de les renforcer ou de les protéger davantage (aucune proposition sur ce point malgré l’évolution désastreuse pointée ces sept dernières années).
Au contraire même, le NFP propose l’abrogation du contrat d’engagement républicain, jugé liberticide, dont l’objectif était pourtant de s’assurer que les associations sollicitant une subvention ou un agrément de l’État, respectaient bien les principes de la République !
Pour le reste, il faut observer que, dans les faits, les propositions visant à «défendre les libertés publiques» sont bien celles de la LFI ou du NPA pour qui le droit de manifester ne doit pas avoir de limites, ni moins le refus d’obtempérer ne doit rencontrer l’autorité légitime de la police.
«Dieu rit de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes»…
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Publish date : 2024-07-09 15:41:10
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