DÉCRYPTAGE – Qui (ou quelle) que soit le futur premier ministre, une chose est certaine : il devra gouverner face à une Assemblée nationale plus éparpillée qu’elle ne l’était déjà. Et sera donc probablement tenté de gouverner… Sans elle. Mais comment ?
Les certitudes politiques se font rares mais l’une d’elles au moins s’impose au lendemain des élections législatives : le camp présidentiel a perdu la majorité (certes relative) dont il disposait jusqu’ici à l’Assemblée nationale. Seconde certitude : aucune des forces d’opposition n’est en mesure non plus de gouverner seule.
Pour le reste, on se perd en conjectures sur les possibles coalitions susceptibles d’emporter derrière elles une majorité de députés. Mais l’éclatement de l’Assemblée nationale peut d’ores et déjà faire craindre au futur gouvernement, quel qu’il soit, d’âpres batailles législatives, et plus encore que sous la législature précédente l’exécutif sera tenté de gouverner en partie sans l’Assemblée nationale. Ce que permet la Constitution française… dans certains cas.
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Le programme commun du Nouveau Front populaire prévoit ainsi, sitôt qu’un gouvernement de gauche serait nommé, d’adopter immédiatement plusieurs mesures d’urgence par décret : un blocage des prix de l’alimentation, de l’énergie et des carburants, une hausse du SMIC à 1600 € nets, ou encore l’abrogation de la réforme des retraites.
Mais peut-on vraiment gouverner par décrets, et à quelles conditions ?
La Constitution encadre le pouvoir réglementaire
Les décrets sont des décisions prises par l’exécutif au titre de son pouvoir réglementaire : les décrets simples sont signés seulement par le premier ministre, mais les plus importants d’entre eux sont délibérés en Conseil des ministres et donc contresignés par le président de la République, comme le veut l’article 13 de la Constitution. C’est encore la Constitution qui prévoit, à l’article 34, quelles sont les décisions qui nécessitent le vote d’une loi, et ne peuvent donc relever du seul pouvoir réglementaire.
Une première observation donc : en toute hypothèse, même un gouvernement emmené par le Nouveau Front populaire ne pourrait gouverner par décret sans la signature d’Emmanuel Macron.
De surcroît, la Constitution requiert des lois lorsqu’il s’agit de prendre des décisions en matière de droits civiques, de libertés, de droit pénal, ou encore de fiscalité… La liste est loin d’être exhaustive. Par exemple, le rétablissement de l’ISF ne pourrait donc pas être décidé par décret.
«On ne peut pas abroger une loi par décret»
«On ne peut pas non plus abroger une autre loi par un décret», tempère encore Philippe Blachèr, agrégé de droit public et professeur de droit constitutionnel. «Par exemple, quand Jean-Luc Mélenchon parle d’abroger par décret la réforme des retraites, c’est un slogan !»
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Il existe tout de même des astuces. En règle générale, la mise en œuvre d’une loi passe par des décrets d’application. «On peut ainsi différer dans le temps l’application de certains décrets par la loi. Ainsi la loi sur la réforme des retraites fixe l’âge de départ légal à 64 ans mais c’est un principe, dont la mise en œuvre relève du pouvoir réglementaire ; un gouvernement peut donc, par décret, ralentir les effets d’une réforme ou en modifier le contenu» reconnaît Philippe Blachèr.
En outre, le choix d’Élisabeth Borne d’avoir inscrit l’âge de départ à la retraite dans la loi, contraindrait sans doute l’exécutif à demander au Conseil constitutionnel son aval pour toute réforme ou abrogation, estime le constitutionnaliste Bruno Daugeron.
Plusieurs mesures importantes, parfois pérennes, ont été adoptées par le passé au moyen de décrets : l’abaissement de la vitesse de circulation par Édouard Philippe (les fameux 80 km/h…), ou encore la réforme des rythmes scolaires sous le quinquennat de François Hollande.
Mais alors, l’augmentation du SMIC ou le gel des prix pourraient-ils relever de décisions réglementaires, prises par décret ?
Un gouvernement ne peut geler les prix qu’à certaines conditions
La revalorisation du salaire minimum est en effet une décision que le gouvernement prend régulièrement par décret.
Pour le gel des prix… c’est autre chose : le principe fixé par le Code de commerce demeure la libre fixation des prix sur les marchés, et le pouvoir réglementaire ne peut y déroger que dans des conditions très encadrées : le premier ministre peut prendre «des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé» (article L. 410-2). Un tel décret ne peut rester de toute façon en vigueur que pendant six mois.
La situation actuelle d’inflation répond-elle aux critères fixés ? Le débat n’est pas tranché. En l’espèce, s’agissant du gel des prix, un autre professeur de droit public, Jean-Paul Markus, estime sur le site Les Surligneurs que l’inflation que connaît la France n’est pas une situation exceptionnelle, et qu’elle ne justifie donc pas un gel des prix comme ce fut le cas pour le carburant au moment de la première guerre du Golfe en 1990, par exemple.
Quoi qu’il en soit, lorsqu’un décret outrepasse le cadre prévu par la loi ou la Constitution, c’est au Conseil d’État que revient le pouvoir de l’annuler, s’il y a lieu.
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Publish date : 2024-07-08 16:30:59
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