Dans deux précédents articles, publiés la semaine dernière, nous avons montré qu’en matière de redistribution, les choix politiques du Rassemblement national (RN) et ceux du Nouveau Front populaire (NFP) étaient très différents. Là où le programme du RN, s’il était appliqué, augmenterait les inégalités de niveau de vie, celui du NFP les réduirait fortement.
Mais qu’est-ce que cela implique, concrètement, pour le quotidien d’un célibataire, d’une mère isolée ou d’un couple avec deux enfants ?
Les effets distributifs que nous avons calculés mesurent la variation mensuelle attendue du revenu disponible « ajusté », c’est-à-dire que l’on compare l’augmentation (ou la baisse) du revenu des individus après application des mesures de politiques publiques annoncées dans les programmes, une fois les impôts prélevés et les prestations sociales versées (c’est-à-dire la redistribution monétaire) mais aussi une fois l’utilisation des services publics comptabilisée (ou « redistribution élargie », incluant l’ensemble des transferts monétaires et les services publics). On parle alors de revenu disponible « ajusté » de la consommation de services publics.
Les analyses récentes des comptes nationaux distribués effectuées par l’Insee montrent que la réduction des inégalités en France est due pour moitié à l’existence des services publics, qui finalement comptent davantage que la redistribution purement monétaire. Par exemple, les dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale ou la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire sont des transferts en nature, dont les ménages français bénéficient au quotidien.
La question du niveau de vie
Ainsi, la réduction des écarts de niveau de vie, importante et rapide, que l’on observerait avec le programme du NFP est en grande partie attribuable au développement des services publics, et pas seulement à la redistribution monétaire. A l’inverse, le creusement des inégalités mesuré avec le programme du RN est attribuable à la réduction envisagée, dans le programme, de la redistribution monétaire sans que les services publics ne soient davantage développés.
Chaque ménage serait alors touché différemment, selon son niveau de vie. Mais à quoi correspond le niveau de vie d’un ménage ? Une famille nombreuse n’ayant pas les mêmes besoins qu’une personne seule, un même revenu disponible correspondra à des niveaux de vie différents pour des foyers de taille et de composition différentes.
Pour se situer sur l’échelle des niveaux de vie, on compare son revenu disponible à celui du reste de la population française. Les tableaux ci-dessous résument, pour différentes compositions familiales, l’échelle des niveaux de vie en France en 2021.
Prenons l’exemple d’un couple sans enfant, qui dispose d’un revenu disponible total de 2 800 euros par mois. Ce couple se situe, en 2021, dans le cinquième décile (D5) de niveau de vie, c’est-à-dire dans une position médiane : près de 40 % des Français sont plus pauvres qu’eux, et près de 50 % sont plus riches. Mais si ce couple avait deux enfants, avec le même revenu, il serait placé dans le troisième décile (D3) : environ 20 % des Français sont plus pauvres, et près de 70 % sont plus riches.
La composition du ménage
Le tableau permet également de connaître le gain moyen attendu, en niveau de vie (par unité de consommation) ou en revenu disponible ajusté (par ménage), des mesures économiques annoncées dans le programme du NFP ou dans celui du RN, selon le décile de niveau de vie et la composition du ménage.
Un parent isolé avec un enfant, par exemple, ayant un revenu disponible de 2 300 euros par mois (salaire + prestations sociales – impôts), se situe dans le décile médian (D5). Si le NFP applique son programme, le revenu disponible ajusté (salaire + prestations sociales – impôts + services publics) dans ce décile augmentera en moyenne de 208 euros par mois, dont 101 euros à travers l’accès à des services publics améliorés. Le programme du RN, en revanche, ne modifierait pas le revenu moyen du décile (-1 euro par mois). Dans certains cas cependant, les conséquences du programme du RN seraient bien plus brutales (enfant avec une mère étrangère, par exemple).
Autre exemple : un couple sans enfant gagnant plus de 5 230 euros appartient au décile le plus riche (D10). En moyenne, dans ce groupe, le revenu disponible ajusté diminuera de 978 euros par mois avec le programme du NFP, malgré l’amélioration des services publics dont la valorisation monétaire est estimée à 108 euros par mois.
Mais l’effet n’est pas homogène : les plus riches perdront plus, ceux juste au-dessus du seuil beaucoup moins. Avec le RN, au contraire, le revenu disponible ajusté des couples appartenant aux 10 % les plus riches augmentera de 101 euros en moyenne, grâce aux baisses d’impôt prévues dans le programme.
Cet exercice a des limites évidentes. Ces variations étant calculées en moyenne par décile de niveau de vie, elles ne tiennent pas compte de l’utilisation particulière des services publics qui peut varier selon l’âge, la profession ou le lieu de résidence du ménage (les retraités n’utilisent pas l’école, les trentenaires n’ont qu’une consommation relativement faible des soins de santé). La lecture est donc rapide et mériterait sans doute d’entrer davantage dans les détails.
Mais la comparaison par type de ménage permet de mettre un peu de chair aux calculs des économistes habituellement présentés en unités de consommation, sans que l’on sache combien d’unités il faut compter pour sa propre configuration familiale. Les ordres de grandeur fournis ici donnent une indication concrète de la manière dont chacun serait impacté par les programmes du RN ou du NFP selon la politique qui sera mise en œuvre dans un avenir proche en France.
Elvire Guillaud est maîtresse de conférences en économie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Mathilde Viennot est économiste, cofondatrice de l’Institut Avant-garde et chroniqueuse à Alternatives Economiques
Source link : https://www.alternatives-economiques.fr/gagner-perdre-programmes-nouveau-front-populaire/00111742
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Publish date : 2024-07-04 14:41:50
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