« Leur programme économique est crédible ! » selon Marie (le prénom a été modifié). La jeune femme de 25 ans, est chargée de contrôler la bonne gestion d’une grande banque française et soutient le Nouveau Front populaire (NFP). Dans le milieu de la banque-finance, voter à gauche n’est pas monnaie courante. Son parcours scolaire et professionnel (classe prépa, grande école, grande banque) la destinait plutôt à un vote centre-droit si on en croit la sociologie électorale.
Marie fait pourtant partie des 33 % de cadres et professions intellectuelles supérieures qui ont voté pour l’union des gauches réunissant le Parti socialiste (PS), Europe-Ecologie Les Verts (EELV), La France insoumise (LFI) et le Parti communiste français (PCF), lors du premier tour des élections législatives, selon les chiffres d’OpinonWay pour « Les Echos ».
Même si Marie se décrit comme pas très politisée – elle n’a d’ailleurs pas voté pour les élections européennes de 2019 – la professionnelle de l’inspection bancaire juge « pragmatiques » les mesures économiques proposées par le NFP. « La réforme fiscale par exemple ferait certes augmenter les impôts pour 8 à 10 % de la population, la frange la plus riche, mais soulagerait une majorité de Français. Il faut bien aller chercher l’argent où il est et le réinjecter. » Sur le papier, cette répartition lui paraît plus « juste » et l’éventuel « mécontentement » ne concernerait qu’une minorité.
Des mesures économiques « crédibles »
Augmenter le SMIC à 1.600 euros brut mensuels pour relancer par la demande lui paraît également « crédible ». Pourtant voter NFP n’est pas allé de soi, elle n’avait pas tellement d’affinités avec LFI qui veut « renverser » le capitalisme quand elle veut le réglementer. « Mais vu ce que propose le Rassemblement national (RN), notamment la taxation des transferts d’argent des immigrés ou l’audit des comptes publics qui en réalité était déjà en place, et vu ce qu’a fait la majorité, notamment avec la flat tax en 2017, il ne reste que cette option ! » justifie-t-elle.
Pour comprendre ce vote d’apparence antinomique, Camille Herlin-Giret, chargée de recherche en sociologie au CNRS, au sein du laboratoire SAGE à l’université de Strasbourg, avance deux facteurs clé : l’âge et le diplôme. De manière générale, la sociologue rappelle que les jeunes ont plutôt des valeurs de gauche. Pour preuve, dimanche 30 juin 2024, 38 % des votants âgés entre 18 et 34 ans sur dix ont voté pour l’union des gauches, contre 15 % pour « Ensemble » (majorité présidentielle) et 33 % pour le RN.
Cet « effet âge » est doublé selon l’experte par un « effet diplôme ». Parmi les étudiants, 51 % des moins de 35 ans ont voté pour le NFP, et une majorité (34 %) de bac + 3 et plus. Ces jeunes bien formés de la finance répondent à ces deux critères.
Parmi les facteurs d’adhésion, la sociologue estime que le NFP parle à ces jeunes-là aussi parce que la coalition a un soutien du monde universitaire. Ces jeunes ont eu des profs qui ont pu légitimer cette vision politique. Rien que sur le volet économique, le 25 juin, plus de 300 économistes ont signé une tribune ouverte intitulée « Nous, économistes, pensons que les orientations proposées par le Nouveau Front populaire répondent aux défis de notre époque », dont les médiatiques Thomas Piketty, Julia Cagé et Anne-Laure Delatte. Le programme est également soutenu par Esther Duflo distinguée en 2019 par le prix de la Banque de Suède en sciences économiques, équivalent du « prix Nobel d’économie ».
Le programme du NFP repose selon ces économistes sur…
« des mesures fiscales concentrées sur les très hauts revenus et les très hauts patrimoines […] sur une conditionnalité progressive des exonérations à la trajectoire de bifurcation des entreprises ainsi que sur le protectionnisme écologique, fiscal et social. L’exit tax qui rend redevables les individus délocalisant leur résidence principale afin d’échapper à l’impôt permet de contrer les effets d’évitements […] » – Extrait de la déclaration.
Des jeunes financiers écolos
Autre argument : l’écologie et le financement de la transition écologique voulue par le NFP. Maxime, 30 ans, gestionnaire de patrimoine spécialisé dans les actifs financiers pour les particuliers estime d’ailleurs que le programme du NFP est « trop doux » et « ne va pas assez loin » sur ces questions qu’il juge urgentes. Cet écolo « plus EELV que LFI » n’a pas sauté au plafond lors de l’annonce de l’union des gauches mais « le combat est trop important » pour y renoncer à cause de « trois têtes brûlées LFIstes ».
La transition écologique est une des causes qui mobilise le plus les jeunes actifs. Plus d’un sur deux déclare que « l’impact environnemental » est « la transformation la plus attendue », selon une étude menée par l’Edhec NewGen Talent Centre, en avril 2023 auprès de plus de 7.000 jeunes diplômés de grandes écoles. Pour Maxime, il faut « utiliser la fiscalité comme un outil d’égalité et de transition écologique » avec par exemple la mise en place d’une taxe sur les secteurs carbonés. Il milite aussi pour renforcer les critères de RSE dans le financement des entreprises.
« Anomalie » dans la matrice
Maxime est représentatif de ces financiers sensibles à l’écologie mais aussi aux inégalités sociales qu’il constate. A partir de 24 ans, le jeune homme issu de la classe moyenne a d’un coup été découvert les grosses fortunes qu’il devait gérer. « que l’écart entre le revenu de leurs parents et ce qui leur est promis peut devenir flagrant, les inégalités au regard des écarts de salaires, des profits potentiels via une optimisation fiscale par exemple, leur sautent aux yeux », hypothèse Camille Herlin-Giret qui s’est spécialisée dans la sociologie des élites et les mécanismes d’impôts.
Attention, les jeunes financiers seraient minoritaires à voter NFP, du moins selon l’hypothèse à chaud de la sociologue et le vécu des financiers interviewés, que ce soit dans les open spaces des grandes banques ou sur les bancs des filières d’études qui y mènent, peu politisées, contrairement par exemple à celles de droit, de sciences sociales ou encore de science politique. Le réflexe majoritaire est plutôt celui du « mimétisme », selon Maxime dans la banque depuis une petite dizaine d’années. « » Ce qui selon lui participation à la reproduction du système.
C’est aussi le discours qu’a beaucoup entendu Pierre (le prénom a été modifié), 33 ans, expert fiscalité dans le secteur public en tant qu’inspecteur des finances. Lui se décrit comme « Mélenchoniste depuis 2012 » et il a l’impression que c’est « de plus en plus difficile d’en parler » avec ses collègues, pointant une radicalisation générale des positions. De son côté, Maxime, qui ne se définit pas comme prosélyte sur ses engagements, parle toutefois « d’omerta » sur les sujets d’écologie et d’égalité. Le jeune homme se sent comme une « anomalie ».
Par-delà l’économique
Alors que répondent-ils aux détracteurs du NFP, au premier rang desquels le risque d’exil des plus riches, celui de la perte de compétitivité de l’économie française ou encore de destruction d’emplois dus au coût du travail en hausse ? Marie, à l’inspection générale d’une grande banque balaie le premier d’un revers de main : « Les riches qui veulent fuir l’impôt sont déjà partis, et ceux qui le feraient sont très peu nombreux ou ils ne peuvent pas partir avec toutes leurs activités ! »
Elle ajoute : « L’enjeu principal du programme NFP tel qu’il est aujourd’hui, c’est-à-dire concocté en trois jours, est de redonner du pouvoir d’achat à court terme, par la suite des mesures plus structurelles devront en effet permettre d’éviter de dégrader la compétitivité et l’emploi. »
Pierre, lui, trouve « assez malhonnête » l’argument d’une compétitivité en berne « puisque notre balance commerciale est déjà mauvaise, et fonctionne surtout grâce à quelques secteurs très dynamiques dont l’intérêt est peu lié à des questions de coût du travail, comme le luxe ou l’aéronautique ». Il embraye sur la destruction d’emploi : « Posé comme cela, j’ai l’impression de regarder une problématique complexe par une petite fenêtre… Je ne dis pas que ça posera zéro problème mais il me semble que l’Etat providence en sortira grandi, ce qui a à terme de nombreuses externalités positives pour la création d’emploi. »
Quoi qu’il en soit, même s’ils avaient été en désaccord sur les mesures économiques, Maxime, Pierre, Marie et les autres que l’on a pu interviewer, déclarent qu’ils auraient rallié le « front républicain » et fait barrage. « La peur de tomber dans un régime autoritaire » pour l’un ou la volonté de « défendre les droits LGBTQIA + » ou encore l’angoisse « d’un discours raciste banalisé » pour les autres auraient suffi.
Source link : https://start.lesechos.fr/societe/engagement-societal/cest-un-programme-economique-credible-ces-jeunes-travaillent-dans-la-finance-et-votent-nfp-2105977
Author :
Publish date : 2024-07-05 05:00:21
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.