Par Stéphane Sirot
Historien
Le programme de revendications immédiates du Rassemblement populaire, rendu public le 9 janvier 1936, est le fruit d’un compromis entre une dizaine d’organisations aux sensibilités hétérogènes, mais rassemblées par la commune inquiétude de la montée des ligues d’extrême droite en France et des totalitarismes fasciste et nazi en Europe.
Outre des partis politiques (PCF, PS-SFIO, Parti radical…), des associations de défense des droits de l’homme et antifascistes (Ligue des droits de l’homme, Comité de vigilance des intellectuels antifascistes…), il associe également la CGT et la CGTU, qui se réunifient en mars 1936 au congrès de Toulouse.
L’opposition à l’extrême droite est une constante du mouvement ouvrier
Dans la tradition du syndicalisme français, si son indépendance est une valeur cardinale, il n’est nullement question d’ignorer la nature et la forme du pouvoir, voulu le moins oppressif possible. À cet égard, l’opposition à l’extrême droite est une constante du mouvement ouvrier.
Décliné autour du fameux triptyque « Pain, paix, liberté », le programme de la future majorité de Front populaire est divisé en deux grandes parties touchant aux « revendications politiques » et aux « revendications économiques ».
Sans surprise au regard de l’intensité des tensions nationales, des périls internationaux et de la conjoncture économique dégradée, les préoccupations du moment prennent une place centrale parmi les mesures préconisées.
C’est vrai aussi dans leur versant social, qui contient une série de mesures entrant en résonance avec des revendications syndicales et ouvrières exprimées dans des luttes de la première moitié des années 1930. Au-delà, des demandes plus anciennes du monde du travail sont aussi relayées.
Dans le registre conjoncturel et en résonance avec les mobilisations sociales, ce programme réclame des initiatives pour lutter « contre le chômage et la crise industrielle », dont l’« institution d’un fonds national de chômage », à un moment où les protections en la matière sont ténues et relèvent de l’entraide ou de démarches d’élus locaux souvent communistes.
Les syndicats ont créé des comités de chômeurs et d’importantes manifestations, des « marches de la faim », se déroulent à partir de 1932-1933 en région parisienne et en province. Fin 1933 par exemple, la CGTU organise une marche de Lille à Paris qui, à son arrivée, rassemble plusieurs dizaines de milliers de chômeurs.
L’instauration d’un « régime de retraites suffisantes pour les vieux travailleurs »
Le registre des libertés syndicales n’est pas oublié : « Application et respect du droit syndical pour tous. » À une époque où le fait syndical n’est pas encore autorisé dans les entreprises, la chasse aux militants est fréquente. Plusieurs dizaines de grèves de l’entre-deux-guerres portent dans leurs revendications le refus du renvoi d’ouvriers et de syndicalistes considérés par leurs patrons comme des « meneurs ». Parmi les revendications touchant à la question de la représentation des travailleurs est principalement réclamée la reconnaissance des délégués ouvriers.
Par ailleurs, d’autres items du programme du Rassemblement populaire, tout en apparaissant pensés en priorité comme des antidotes à la crise et au chômage, rejoignent un corpus revendicatif structurel du champ syndical et du monde ouvrier.
Il en va ainsi de la « réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire », mais sans référence aux 40 heures, qui viendra dans le sillage de la vague de grèves du printemps 1936, à l’instar des deux semaines de congés payés, régulièrement évoquées par les conflits sociaux entre 1919 et 1935 et dans des congrès syndicaux depuis le début du XXe siècle.
Dans le registre du temps de la vie passée au travail, l’instauration d’un « régime de retraites suffisantes pour les vieux travailleurs », si elle figure dans le programme et s’est installée dans les préoccupations syndicales, n’apparaît pas encore comme un motif de mobilisation des travailleurs. Il n’en reste pas moins que tout ce qui associe le couple salaires-temps de travail rassemble traditionnellement l’écrasante majorité des griefs militants.
En somme, loin d’être un simple compromis entre états-majors, le programme du Rassemblement populaire apparaît également comme le fruit d’une interaction avec une dynamique revendicative. Au fond, un processus de double pression sur l’ordre dominant, à la fois politique et sociale, paraît s’engager. Dans l’histoire de notre pays, cette conjonction est l’ingrédient habituel de la plupart des moments de conquêtes sociales majeures.
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Publish date : 2024-06-30 16:16:11
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