Entretien avec Timothée Parrique, économiste à l’Université de Lund en Suède
Est-ce que le Nouveau Front Populaire est écologiquement lucide ?
Évacuons tout de suite un malentendu fréquent dans ce genre de débats d’économistes. L’écologie n’est pas juste un sujet parmi les autres, une thématique d’échauffement avant de parler croissance, dette publique, et pouvoir d’achat. On devrait plutôt considérer l’écologie comme la colonne vertébrale de tout programme économique. Car c’est simple : sans écologie, il n’y a pas d’économie.
De la même manière qu’un organe sain ne survit pas longtemps dans un corps mourant, il ne peut exister d’économie prospère dans une biosphère qui s’effondre. C’est un principe de réalité implacable : tout parti sans solution crédible à la crise écologique devrait de facto être considéré comme inéligible.
Voilà déjà de quoi disqualifier d’entrée de jeu le programme ouvertement antiécologique du RN et remettre sérieusement en question le parti présidentiel au vu de ses piètres performances en termes d’environnement.
Quant au NFP, sa stratégie écologique est solide. Selon une simulation de l’Institut Rousseau, les 30 milliards d’euros alloués pour le climat s’apparentent en volume et en répartition aux mesures déjà mises en place par les pays européens les plus écologiquement avancés. Rénovation énergétique des bâtiments, moratoire sur les grands projets autoroutiers et les méga-bassines, désinvestissement dans les énergies fossiles, modernisation du réseau ferroviaire et baisse du prix des billets, préservation des puits de carbone et de la biodiversité, tarification progressive de l’eau, subventions pour l’agroécologie, énergies bas-carbone, et application de la règle verte. C’est un plan cohérent et réaliste. On pourrait dire qu’il est bouclé écologiquement.
Le programme du Nouveau Front Populaire est-il décroissant ?
« Le programme du NFP est-il décroissant ? », se demande Alternatives Économiques. Ceux qui l’affirment le font essentiellement pour le discréditer, utilisant la décroissance comme une insulte. Mais la décroissance n’est pas un gros mot, c’est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.
Si l’on retrouve la plupart de ces éléments dans le programme du NFP (soutenabilité, démocratie, justice sociale, et qualité de vie), celui-ci ne prône pas de ralentissement macroéconomique, l’élément central d’une stratégie décroissante. Au contraire, le programme est basé sur « une relance forte de l’activité économique » et « un regain de consommation ». Il table sur le « retour de la croissance » et « un cycle positif de relance de l’activité ». Les mesures génèreraient 3 % de croissance en 2025 et 2026, selon Valérie Rabault, la vice-présidente de l’Assemblée nationale. Dans la simulation de l’Institut Rousseau, le PIB à l’horizon 2030 dans le scénario NFP est légèrement supérieur à celui du scénario de référence.
Le programme n’est pas à proprement parler décroissant mais il est assez proche des approches de la « post-croissance » (e.g., l’économie du bien-être, l’économie du donut, et la prospérité sans croissance). C’est sur ce point qu’il faut rester vigilant : si nous visons «une relance forte de l’activité économique », assurons-nous d’inclure dans « activité économique » la sphère de la reproduction sociale ainsi que celle de la nature. Ne relançons pas la machine dans son ensemble avec son lot d’activités inutiles, dégradantes, et polluantes.
Privilégions le retour du bien-être à la mystique de la croissance. « Un regain de consommation» pour ceux qui en ont vraiment besoin et des efforts de déconsommation pour ceux qui aujourd’hui monopolisent une grande partie de notre budget écologique.
Peut-on financer le programme du Nouveau Front Populaire ?
Selon l’analyse macroéconomique du programme, l’augmentation des dépenses publiques est de l’ordre de 150 milliards d’euros à l’horizon 2027, divisée en trois grandes catégories d’actions (90 Mds pour agir pour le pouvoir d’achat, 30 Mds supplémentaires pour la bifurcation écologique, et 30 Mds pour les services publics). C’est 22 % de plus que le budget public actuel. Pour comparer, la Nupes avait annoncé une augmentation de 18 % en 2022, et la hausse correspondant aux mesures de campagne de Joe Biden avoisinait les 27 %.
Répétons une vérité macroéconomique que l’on devrait imprimer en lettres capitales sur tous les murs de Bercy : l’argent est déjà là. Il existe mais pas au bon endroit. En 2023, les actionnaires des 40 sociétés du CAC 40 ont touché près de 100 milliards d’euros de dividendes. Cinq familles seulement possèdent 18 % des actions du CAC40 et 96 % des dividendes sont attribués à 1 % de l’ensemble des foyers fiscaux. Chaque année Bernard Charlès, le patron de Dassault Systèmes perçoit 33 millions d’euros de rémunération, l’équivalent de plus de 2 000 années payées au Smic. La fortune de Bernard Arnault avoisine les 203 milliards d’euros et le patrimoine cumulé des 500 plus grandes fortunes françaises est estimé à 1 170 milliards d’euros.
Répétons-les tant ces chiffres sont vertigineux. Il suffirait de taxer le patrimoine de ces 500 personnes à hauteur de 12 % pour financer l’intégralité du programme du Nouveau Front Populaire. Même si Bernard Arnault payait le programme de sa poche, il lui resterait quand même 53 milliards d’euros. Il passerait du milliardaire le plus riche de France au deuxième milliardaire le plus riche de France.
Rééquilibrer les dépenses
Nous avons les moyens mais ils sont extrêmement mal distribués et parfois même gaspillés. Chaque année, nous jetons en moyenne 150 kg de nourriture par personne, l’équivalent de 16 milliards d’euros, et cela alors que plus de 7 millions de personnes souffrent de précarité alimentaire. En 2021, il y avait 1 million de personnes privées de logement alors que 3,1 millions de logements restent vacants.
Nous dépensons tous les ans 32 milliards d’euros de pub, en grande partie pour des choses que nous devrions arrêter de consommer (McDonald, Burger King, et KFC dépensent à eux seuls plus de deux fois plus que le budget communication cumulé des 367 ONG actives en France).
Nous taxons l’électricité des trains à hauteur de 20 % mais pas le kérosène des avions alors que le ferroviaire émet 20 à 50 fois moins que l’aérien. Nous incitons à construire alors que la construction nécessite 40 à 80 fois plus de matériaux et émet 10 fois plus de carbone que la rénovation.
Le tabagisme nous coûte 156 milliards par an, l’alcoolisme 102 milliards, la pollution sonore 147 milliards, la santé mentale 109 milliards, la pollution de l’air 101 milliards, la fraude fiscale entre 60 et 80 milliards, les accidents de la route 46 milliards, et l’obésité 10 milliards. Les canicules de 2015 et 2020 ont coûté entre 22 et 37 milliards d’euros par canicule. La liste pourrait continuer longtemps.
Au vu de ces ordres de grandeur, 150 milliards d’euros me paraît être une bien maigre facture pour une opportunité historique d’enfin mettre en place un modèle économique soutenable qui puisse satisfaire les besoins de tous. Ce n’est pas un coût ou une dépense, c’est un investissement.
Qui paiera plus d’impôts ? (Réponse : seulement les riches)
Le programme du NFP est financièrement équilibré. La stratégie de financement comprend une batterie de mesures, dont une taxe sur les superprofits (+ 15 Mds), le retour d’un ISF vert (+ 15 Mds), la suppression de certaines niches fiscales (+ 25 Mds), un barème plus progressif appliqué à l’impôt sur l’héritage (+ 17 Mds) et l’impôt sur le revenu (+ 5,5 Mds, ou même jusqu’à 15 Mds), la suppression de la flat tax (+ 2,7 Mds), un impôt sur les bénéfices des multinationales (+ 26 Mds), une politique d’égalité salariale entre les femmes et les hommes (+ 10 Mds), et le renforcement de la taxe sur les transactions financières (+ 3 Mds).
La pression fiscale est principalement concentrée sur les plus riches. L’ISF ne concernerait que les ménages dont le patrimoine dépasse les 800 000 €, soit moins de 10 % des ménages. L’impôt sur le revenu à 14 tranches n’augmenterait les impôts que pour 8 % des contribuables, ceux qui gagnent plus de 4 000 € par mois. Actuellement, seuls 37 % des ménages héritent et les héritages inférieurs à 100 000 €, soit 87 % des héritages reçus, ne sont pas taxés. La flat tax ne réduit les impôts que pour ceux qui se situent dans les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (30 %, 41 % et 45 %), soit moins de 15 % de la population. L’exit tax ne concerne que ceux qui possèdent plus de 800 000 € de valeurs mobilières, soit moins de 5 % de la population.
Pourquoi taxer les plus riches ?
Il y a plusieurs raisons valides de vouloir mettre à contribution les plus riches en priorité. D’abord, c’est un levier crédible de financement. Lever de nouveaux impôts est une étape nécessaire pour pouvoir investir sans réduire les dépenses publiques. Côté RN, la stratégie de financement est bien plus farfelue : remise en cause des transferts à destination des immigrés, lutte contre la fraude sociale, baisse de la contribution au budget de l’Union européenne, etc. Une « aberration budgétaire », selon la lettre ouverte d’un collectif de 300 économistes.
Limiter les inégalités par le haut a aussi l’avantage de réduire le pouvoir de pollution de ceux qui ont aujourd’hui les plus grosses empreintes écologiques. Les 10 % des Français les plus riches sont responsables de 25 % des émissions totales, avec des empreintes individuelles en moyenne plus de douze fois supérieures à la cible des 2 tonnes par an. Troisième avantage : éradiquer la richesse extrême empêche la capture du pouvoir politique par les élites.
C’est un fait stylisé solide : les inégalités économiques nuisent à la santé physique, mentale, et environnementale, à l’espérance de vie, au succès scolaire, et au bien-être en général.
Quel impact sur le pouvoir d’achat ?
« Le programme du RN ponctionne les pauvres pour redistribuer aux plus riches », titre Alternatives Économiques. En partant du chiffrage des élections présidentielles de 2022, deux économistes projettent que, si le programme du RN venait à entrer en vigueur, les 10 % les plus riches (revenus nets mensuels > 3 489 €) bénéficieraient d’un gain moyen de 1 160 € par an et par foyer (+ 1,5 % de niveau de vie) tandis que les trois premiers déciles perdraient en moyenne 230 euros par an (- 1 % de niveau de vie).
C’est simple, si vous gagnez moins de 1 495 € net par mois, vous allez voir votre niveau de vie se dégrader si le RN arrive au pouvoir. Leurs mesures sont anti-économiques dans le sens le plus fondamental du terme : elles dégradent les conditions de vie des plus vulnérables pour améliorer celles de la minorité de la population qui est le plus à l’abri du besoin.
Exemple parfait : la proposition du RN d’exonérer les moins de 30 ans d’impôt sur le revenu. En trois mots : coûteuse, inégalitaire, et inconstitutionnelle. Sur ce point, Gabriel Attal a raison : « Pourquoi est-ce qu’un ouvrier de 31 ans paierait des impôts et un consultant ou un trader de 29 ans arrêterait de payer des impôts ? ». Cela n’a aucun sens. Pour mieux répartir le pouvoir d’achat, il faut donner davantage à ceux qui n’ont pas beaucoup. Pour faire court, dirait Denis Colombi, donner de l’argent aux pauvres.
Pouvoir de vente et pouvoir de vivre
Une autre façon d’augmenter le pouvoir d’achat est de limiter le pouvoir de vente en encadrant les prix. À quoi bon se battre pour des augmentation de salaires si celles-ci se retrouvent rongées par des dépenses incompressibles de loyers, de mobilité, de santé, de frais bancaires, d’énergie, et de denrées alimentaires ? Certains prix doivent être plafonnés pour éviter les marges excessives d’entreprises qui, profitant d’effets d’aubaine, abusent de leur pouvoir. Le loyer moyen est moitié moins cher à Vienne qu’à Paris, et cela car les prix de l’immobilier sont strictement encadrés en Autriche. L’investissement locatif est l’exemple parfait de ces stratégies « d’accumulation pour la dépossession » (David Harvey) où une minorité possédante s’accapare une ressources rare (24 % des ménages détiennent actuellement 68 % des logements en France), aux dépends de ceux qui n’ont pas d’autre option que de devenir leurs locataires.
Plus généralement, attention à ne pas trop regarder le doigt (le pouvoir d’achat) qui montre la lune (le bien-être). « Je suis pour une augmentation du goût de la vie », nous dit une affiche du NFP. En pleine crise écologique, nous avons besoin de renouer avec la norme du suffisant, comme disait André Gorz. Dépasser la myopie monétaire : privilégier l’être à l’avoir, le pouvoir de vivre au pouvoir d’achat. C’est déjà possible pour une frange privilégiée qui peut se permettre de vivre plus sobrement.
Afin de pouvoir universaliser ces pratiques de sobriété heureuse, organisons la gratuité socialisée des biens essentiels comme l’éducation, l’eau, ou les transports en commun. Le politologue Paul Ariès parle de « gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage » : protéger le pouvoir de vivre de tous avec la gratuité de l’essentiel tout en évitant la surconsommation de quelques-uns avec des prix progressifs.
Doit-on s’attendre à une révolution ?
Le NFP serait-il un programme marxiste, comme l’affirme Bruno Le Maire ? En tant que spécialiste de la décroissance et du post-capitalisme, j’ai l’habitude des programmes révolutionnaires. Soyons clair : il y a beaucoup plus radical que le NFP. Il n’est ni vraiment marxiste ni véritablement révolutionnaire mais plutôt réformiste d’inspiration keynésienne.
La grande majorité de ses propositions développent des dispositifs déjà existants. Le Smic est « réhaussé », la taxe sur les transactions financières « renforcée ». On « accroît »la progressivité de l’impôt sur le revenu, on « réforme » l’impôt sur l’héritage. La force du programme du NFP, c’est d’allier une multitude de mesures réalistes qui ensemble forment une stratégie dont le tout est supérieur à la somme de ses parties. On pourrait le qualifier, en reprenant l’expression de Jean Jaurès, de « réformisme révolutionnaire » : une prise de pouvoir démocratique sur la base d’une stratégie de transition partant du cadre institutionnel existant.
Pas aussi révolutionnaire que les médias le laissent entendre
Le NFP ne parle pas d’abolition de la lucrativité d’entreprise, de monnaies alternatives, de droit à la paresse, de socialisation des banques, de Revenu de Transition Écologique, de seuil maximum de richesse, de salaire maximum et de revenu maximum acceptable, de dotation inconditionnelle d’autonomie et de salaire à vie, de sécurité sociale de l’alimentation, de garantie de l’emploi, de mutualisation des profits, etc. C’est un programme ambitieux certes, mais il serait exagéré de le considérer comme anti-systémique. Dany Lang résume bien la situation : « c’est un programme de rupture avec la politique de Macron, mais ce n’est pas un programme de rupture avec le capitalisme. »
N’oublions pas que le NFP est une alliance de partis plus ou moins radicaux. On y retrouve aussi bien le réalisme environnemental des Écologistes (le moratoire sur les grands projets autoroutiers et sur les méga-bassines, octroi d’un statut juridique au vivant, plafonnement des empreintes écologiques des États), l’exigence de justice sociale du Parti Socialiste/Place Publique (taxer les superprofits et les hauts patrimoines, plafonner les prix de l’énergie, rehausser l’impôt minimal des multinationales), la désobéissance anti-systémique de la France Insoumise (remise en cause du cadre budgétaire européen, des traités de libre-échange, et des règles d’austérité anti-services publics), la sensibilité aux réalités du travail du Parti Communiste Français (la retraite à 60 ans à taux plein, la semaine de travail à 32 heures, le recrutement de 500 000 fonctionnaires), la créativité post-capitaliste du Nouveau Parti Anticapitaliste (socialisation des secteurs clés, annulation des dettes publiques), etc.
Qui dit alliance dit compromis, ce qui explique pourquoi toutes les mesures de chaque parti ne sont pas incluses dans le programme du NFP. Cela dit, le résultat final est quand même inédit de pluralisme et donc de puissance potentielle. Une Ferrari peut rouler à 100 km/h et à 300 km/h ; la Twingo, elle, restera quoi qu’il arrive cantonnée à 100 km/h. Les alliés du NFP ont ensemble la capacité de faire aujourd’hui ce qu’aucune autre formation politique n’est capable de faire.
Le Smic à 1 600 € va-t-il générer du chômage ?
Le NFP propose d’augmenter le salaire minimum de 200 euros pour l’amener à 1 600 € net, soit une hausse de 14 %. Que se passerait-il ? Les économistes Cédric Durand et Léo Malherbe remettent les pendules à l’heure : les annonces de désastre macroéconomique « sont en totale contradiction avec l’état des savoirs en sciences économiques et avec la pratique de la politique économique des dernières années chez nos voisins européens. »
Ce qui ressort des études empiriques, c’est que les effets d’une augmentation du salaire minimum sur l’emploi, qu’ils soient positifs ou négatifs, restent faibles à partir du moment où la hausse du salaire minimum ne s’approche pas trop du salaire médian – les économistes retiennent souvent le seuil des 81 %. Vu que le salaire privé médian net est actuellement de 2 091 €, le seuil maximum d’augmentation potentielle du Smic se situerait autour de 1 700 €, bien au-dessus de la proposition du NFP.
Niveau pratique, la hausse de 14 % reste plus faible que celle qu’a connu l’Allemagne (+ 22 % en 2022) et l’Espagne (+ 54 % depuis l’arrivée du socialiste Pedro Sanchez au pouvoir en 2018), deux pays où l’augmentation du Smic n’a eu aucun effet négatif sur l’emploi.
Et puis même s’il existait une relation mécanique entre la hausse du salaire minimum et le chômage, serait-ce vraiment une raison d’accepter que les 17 % de la population française payés au Smic ne puissent pas vivre décemment de leur travail ? La question de la revalorisation du Smic et des salaires en général n’est pas une question de mécanique économique.
C’est une question de partage de gâteau vieille comme le monde. Les économistes libéraux ont trop souvent tendance à agiter le chiffon rouge du chômage comme si nous étions condamnés par des lois naturelles à choisir entre lutte contre la précarité et maintien de l’emploi. C’est faux. Il est tout à fait possible de revaloriser les salaires tout en introduisant une batterie de mesures pour maintenir le plein-emploi (e.g., garantie de l’emploi, Territoires Zéros Chômeurs de Longue Durée et coopérative d’activité et d’emploi, emplois aidés, et partage du temps du travail).
Quand on veut gagner davantage, on nous dit qu’on ne travaillera pas assez (le débat sur le Smic). Mais quand on veut travailler moins, on nous dit qu’on ne gagnera pas assez (le débat sur les retraites). Ne nous laissons pas enfermer dans des pseudo-impasses de rhétorique économique. La question du Smic (et des retraites) est avant tout une affaire de choix politique.
Le NFP a choisi pour cheval de bataille la réduction des inégalités. Ses opposants sont dans leur droit d’opposer cet objectif mais il est malhonnête de s’appuyer sur des théories pseudo-scientifiques (e.g., le Smic destructeur d’emplois, la théorie du ruissellement) pour défendre un positionnement politique.
Le programme du Nouveau Front Populaire est-il compatible avec les règles européennes ?
La France est actuellement soumise à 47 procédures d’infraction enclenchées par la Commission européenne dans les domaines du climat, de l’environnement et de l’énergie. Qualité de l’air, qualité de l’eau, pollution sonore, éducation environnementale, étiquetage des déchets, performance énergétique des bâtiments. La France est le seul pays européen à ne pas avoir tenu ses engagements en matière d’énergies renouvelables, ce qui la condamne théoriquement à payer une amende qui pourrait s’élever à 500 millions d’euros. Nous ignorons le Green New Deal à grands coups de « pauses réglementaires » mais nous respectons religieusement le pacte de stabilité. Deux poids, deux mesures.
Inviter à « refuser les contraintes austéritaires du pacte budgétaire », comme le fait le programme du NFP ne veut pas dire quitter l’Europe, revenir au Franc, et vivre en autarcie. C’est une proposition pour mettre à jour des règles devenues inadaptées. Les critères de Maastricht ne sont pas gravés dans la roche ; pendant la pandémie, la Commission européenne les avait d’ailleurs suspendus. Le pacte de stabilité date de 1992, bien avant l’essor des mesures de lutte contre le changement climatique.
N’est-il pas raisonnable de proposer une actualisation de ces règles budgétaires au vu de la situation environnementale actuelle ? Pour éviter la catastrophe écologique, la discipline écologique sera bien plus importante que la discipline économique, surtout quand cette dernière fait obstacle à la première.
Est-ce que les économistes le trouvent crédible ?
Comme rappelé par Bon Pote, le programme du NFP se décompose en 150 mesures, détaillées en 24 pages avec 10 pages supplémentaires d’analyse macroéconomique. C’est de loin le programme le plus développé, comparé à celui de Renaissance (52 mesures détaillées en 7 pages) et du RN (8 mesures sans aucun chiffrage). Un programme crédible, c’est d’abord un programme clair, précis, et chiffré.
Si le parti du gouvernement peut se permettre l’approche du business as usual, ce n’est pas le cas du RN, un parti dont l’agenda est plus proche du fascicule que d’un véritable programme de campagne.
Je n’aime pas trop user des arguments d’autorité mais le soutien des économistes en dit long sur la crédibilité des programmes respectifs. Lucas Chancel, Anne-Laure Delatte et Elise Huilery considèrent le NFP comme « la seule alternative cohérente ». Pour Gaël Giraud et son équipe à l’Institut Rousseau, les mesures sont « pertinentes, réalistes et finançables ». « Ils ont assemblé en un temps record un programme détaillé […] qui s’efforce de mettre des recettes en face des dépenses », commente Esther Duflo, prix Nobel d’économie.
Financer l’augmentation des dépenses publiques par davantage de recettes fiscales, et non par la dette, est une preuve de « sérieux budgétaire », selon Eric Berr. Pour Thomas Piketty, le NFP est le seul programme « à dire comment la France va trouver des ressources pour investir dans l’avenir ». « Est-ce que les mesures sont crédibles ? », écrit Michaël Zemmour, « oui, [et] les pistes de financement aussi ». « Cela faisait longtemps qu’un programme aussi cohérent et aussi clairvoyant […] n’avait pas été proposé », écrit Dominique Méda.
La liste pourrait continuer longtemps mais gagnons du temps : cette semaine, environ 300 économistes ont signé une tribune en soutien du programme du NFP. « Nous sommes des économistes représentant différentes sensibilités et écoles de pensée, dont les travaux reposent sur des méthodes et des présupposés variés [et] nous pensons que les orientations proposées par le NFP répondent le mieux aux enjeux du moment et aux défis de notre époque ».
Aucun économiste n’a pris la défense du programme du Rassemblement National
Des économistes réputés comme Olivier Blanchard, Jean Tirole, Philippe Aghion, ou Jean Pisani Ferry critiquent le programme du NFP, bien sûr, et c’est normal, mais comme le rappelle l’économiste Thomas Porcher, aucun économiste sérieux, qu’il soit mainstream ou hétérodoxe, n’a publiquement pris la défense du RN. « Il n’y a pas d’économistes au RN », explique un article d’analyse sur les penseurs du programme.
Ce silence parle de lui-même. « Le programme du Rassemblement national tient sur un post-it et change tous les jours » (Michaël Zemmour) ; il est « fuyant, changeant et peu précis » (Elvire Guillaud) ; « intenable d’un point de vue budgétaire » (Fondation Jean-Jaurès) ; « une menace pour l’économie sociale et solidaire » (Timothée Duverger) ; un « naufrage économique annoncé » (Les Économistes Atterrés). La rédaction d’Alternatives Économiques s’est mobilisée quotidiennement pendant les élections contre le programme du RN qu’elle considère comme « mauvais sur l’économie et dangereux sur le reste ». « Un projet autoritaire, raciste, xénophobe et insensé du point de vue écologique », écrivent les 300 économistes.
Si le programme du NFP est crédible, c’est qu’il s’appuie sur des propositions sérieuses. « L’ISF vert » a été popularisé par l’économiste Jean Pisani-Ferry, ancien rédacteur du programme d’Emmanuel Macron en 2017. La « taxe Zucman » tire son nom des travaux de Gabriel Zucman, lauréat en 2018 du prix du meilleur jeune économiste pour ses travaux sur les inégalités. On trouve le concept d’héritage minimum dans les travaux de Thomas Piketty, une proposition d’ailleurs récemment reprise par le Conseil d’Analyse Économique.
La proposition d’une taxe sur les transactions financières plus ambitieuse, la taxation coordonnée des multinationales, et nombre d’autres idées émanent de la Commission Européenne. Toutes ces propositions ont été méticuleusement étudiées par des chercheurs, à la différence des mesures hors-sol que le RN improvise au fil de l’eau, au grand dam des économistes.
Le Nouveau Front Populaire va-t-il casser l’économie ?
C’est une petite musique que l’on connaît bien : attention, les marchés dévisseront, les entrepreneurs partiront, les usines fermeront, les banques refuseront de prêter, et la France sombrera dans un marasme économique à la Mad Max. Mais c’est faux. L’économie n’est pas un fragile château de cartes qui s’effondrerait aussitôt qu’on la réforme.
Cette vision d’une économie « ne pas toucher, peinture fraiche » est dépolitisante, presque antidémocratique. C’est une idéologie laisser-fairiste entretenue par deux catégories de personnes : ceux qui n’y connaissant rien en économie politique, et ceux qui ont des intérêts directs à maintenir le système actuel en place.
Les entreprises fossiles et les banques qui les financent sont devenues des experts dans l’art de miauler la fin du monde à la moindre tentative de régulation contraignante. Deux salles, deux ambiances car ces mêmes acteurs investissent des millions en force de lobby pour détricoter cette même économie qu’il faudrait, selon eux, laisser tranquille.
Pas besoin de doctorat en économie pour réaliser que c’est un discours biaisé : réformez l’économie quand ça nous arrange (suppression de certaines taxes, dérégulation financière, subventions aux entreprises, etc.) mais ne le faites pas quand cela nous contraint (règles environnementales, équité salariale, redistribution des richesses).
L’ultime danger, c’est l’inaction
En réalité, le programme du NFP n’a rien de dangereux, au contraire. Selon une analyse macroéconomique de l’Institut Rousseau, il réduirait les inégalités (baisse de l’indice de Gini de 3 points) et le chômage (+ 495 000 emplois en cinq ans et un taux de chômage en dessous de 4 % à l’horizon 2030), la dette publique (retour à 3 % en 2030, contre 6 % dans le scénario de référence), tout en maintenant une inflation autour de 2 %.
N’oublions pas l’essentiel : l’ultime danger, c’est l’inaction. Ne rien faire, c’est laisser en marche un monde d’avant socialement injuste et écologiquement mortifère, la violence lente d’un système qui s’écroule tout doucement sous le poids de ses contractions. Donc oui, c’est le moment de prendre des risques. C’est un paradoxe curieux des périodes d’élections.
Alors que nos entrepreneurs sont adulés pour leur capacité à révolutionner l’économie et sont incités à dépenser sans compter pour être les premiers à faire quelque chose, cette culture de l’innovation ne s’applique pas, il semblerait, à la politique.
Et si nous considérions le NFP comme une licorne politique ? Un projet de société inédit complètement en avance sur ses concurrents? Si l’on comparait les programmes selon les mêmes critères d’innovation avec laquelle nous jugeons nos start-up, on se rendrait compte que le NFP n’est pas dangereux : il est visionnaire.
Source link : https://bonpote.com/10-reponses-sur-le-programme-economique-du-nouveau-front-populaire/
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Publish date : 2024-07-01 07:30:10
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