Publié le 28 juin 2024
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Yves Guyot, dans son ouvrage La Tyrannie Socialiste, offre une critique acerbe du socialisme qu’il perçoit comme une menace pour l’économie de marché et la liberté individuelle. À l’heure où la gauche forme un Nouveau Front Populaire, il semble tout à fait opportun de citer les travaux d’un libéral qui a affronté les socialistes de son temps.
Le Socialisme, entre errance et incompréhension économique depuis le XIXe siècle
Dans La Tyrannie Socialiste, Yves Guyot dénonce la conception erronée des socialistes concernant la relation entre travail et capital.
Pour Guyot, ce sont les consommateurs qui, in fine, paient les salaires des ouvriers, et non le capital lui-même :
« C’est donc une grossière erreur de représenter l’employeur comme l’incarnation du capital […] L’employeur n’achète point de travail en raison de sa richesse, mais en raison de la puissance de ses débouchés. »
On retrouve ici, sous-jacente, la loi des débouchés de Jean-Baptiste Say.
Cette vision s’oppose nettement au programme du Nouveau Front Populaire de 2024, qui prône une intervention accrue de l’État pour réguler le marché du travail et protéger les travailleurs contre les abus perçus du capital. Guyot critiquait déjà l’excès de réglementation des socialistes de son temps, accusant ces mesures de nuire au prolétariat en décourageant l’entrepreneuriat :
« Par l’excès de réglementation, les socialistes œuvrent objectivement à la fin du prolétariat […] plus personne ne peut se permettre de subir le risque d’entreprendre et d’embaucher. »
Guyot considère que les « lois sociales » ont un effet désastreux sur le prolétariat en particulier. Il explique que ces mesures augmentent les coûts et les risques associés à l’entrepreneuriat et à l’embauche, ce qui décourage les individus et les entreprises d’investir et d’innover. Selon lui, en imposant des contraintes administratives et juridiques lourdes, les socialistes restreignent la liberté d’action des entrepreneurs, rendent plus difficile la création de nouveaux emplois, et nuisent à l’amélioration globale du niveau de vie : un triste constat lorsque le progrès est la pierre angulaire de ces théoriciens et adeptes.
En attaquant les petits patrons (car les grandes entreprises ont les moyens de résister à la déferlante de normes des socialistes), c’est le prolétariat d’hier qu’on attaque, celui qui a réussi à se constituer un capital : c’est la grande hypocrisie que Guyot relève.
« Les députés qui bouillonnent dans leur zèle démagogique au milieu des lois ouvrières se figurent-ils donc qu’elles conviennent à toute cette petite industrie, où on compte un patron pour deux ouvriers ? Si on fait la part de ceux qui en ont sept ou huit, on voit la quantité de ceux qui n’en ont qu’un. Est-ce que ces petits patrons ne représentent pas la démocratie, le prolétariat d’hier en voie de transformation, les gens qui, ayant l’initiative, préfèrent à la sécurité et la tranquillité du salaire, l’aléa de l’entreprise et de la clientèle ? Ce sont ces petits patrons que vous frappez avec les lois de la police, que vous inquiétez avec les inspecteurs, nouveaux fonctionnaires que vous créez et mettez en mouvement. »
Cette attaque est chose naturelle, puisque, pour les socialistes, la figure du patron est inutile. Il est un parasite qui grève le produit naturel de l’ouvrier, seul véritable créateur de richesse sur lequel se repose tous les parasites mercantiles.
Marx en donne un bon aperçu dans Le Capital, dans lequel il ne manque pas d’illustrer l’opinion selon laquelle toutes les professions qui servent d’intermédiaires entre les acheteurs et les vendeurs sont des classes parasites. Cette incompréhension manifeste de choses aussi essentielles que la prise de risque, l’incertitude économique, le passage du temps, la dispersion des connaissances, le coût d’opportunité, auront poussé Marx à classer les services productifs des entrepreneurs dans la catégorie des pertes sèches et chose cocasse, pour ne point user d’un autre terme, à considérer les juifs comme la classe parasite du capitalisme par excellence (ceux-ci ayant été longtemps été des marchands itinérants et des financiers).[1]
Le protectionnisme, énième contradiction socialiste
Le protectionnisme est un autre point de divergence majeur entre Guyot et les propositions contemporaines du Nouveau Front Populaire (mais également de tout bon parti contemporain). Guyot considère le protectionnisme comme une forme de favoritisme économique nuisible, qualifiant le protectionnisme de « socialisme pour les riches », car il avantage les industriels (précisons d’ailleurs, seulement certains) au détriment des consommateurs et des travailleurs :
« Le protectionnisme est un socialisme pour les riches, qui donne du café à moudre aux socialistes qui n’ont que la guerre sociale à la bouche. »
En parallèle, le Nouveau Front Populaire défend l’idée d’une protection économique par le biais de politiques commerciales plus fermes pour soutenir les industries nationales et préserver les emplois locaux. Cette approche est diamétralement opposée à celle de Guyot, qui prône une économie de marché libre de toute intervention excessive de l’État.
Il est intéressant de noter que ce point de programme est même rejeté par la plupart des économistes de gauche, tel que Krugman, le libre-échange n’ayant plus grand-chose à prouver en termes d’élévation du niveau de vie des masses, bien qu’il soit vilipendé de toutes parts.
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Le faux progressisme de gauche
Enfin, Guyot exprime ses inquiétudes quant aux intentions réelles des socialistes, qu’il accuse de vouloir ramener la société à des formes archaïques de régulation et de contrôle, comme le montrent ses critiques sur les syndicats et leur pouvoir monopolistique :
« Ils souhaitent rétablir l’équivalent des jurandes, en pire, puisque les syndicats, vrais monopoles, sont des États privés dans l’État. »
Les théories de Guyot s’opposent à l’approche du Nouveau Front Populaire, qui voit dans les syndicats des alliés essentiels pour défendre les droits des travailleurs et renforcer la négociation collective.
S’il n’y a pas lieu de questionner la liberté d’association sous-jacente, il est de bon ton de contester un droit de cité au syndicalisme coercitif, qui reste finalement une politique de privilège à l’avantage de travailleurs protégés contre des travailleurs non protégés. Les travailleurs protégés ne pouvant voir leurs salaires augmenter que par la raréfaction artificielle de l’offre de travail, c’est-à-dire qu’en excluant les travailleurs non protégés, les syndicats ont eu pour politique d’exclure une partie des travailleurs du marché (tout d’abord les travailleurs et les immigrés, notamment par l’édification de salaire minimum).
Les pays où la doctrine socialiste triomphe finissent par ressembler à des ensembles antisociaux, des structures énormément hiérarchisées, puisque seul un nécessaire contrôle total masque le chaos économique qui réside derrière la pensée socialiste. Sous le terme de socialisme, nous dit Yves Guyot, on retrouve en résultante le vieux rêve féodal. On y paie le privilège du travailleur protégé, du manager soviétique, le droit de douane du grand industriel, au lieu de payer l’impôt à l’État comme un échange de services. La progression de l’interventionnisme nous emmène donc vers une conception arriérée de l’impôt, de l’impôt-échange à l’impôt féodal, l’impôt privilège.
Or, notre auteur le dit à maintes reprises, comme les libéraux et républicains de son temps :
l’impôt ne doit être payé qu’à l’État ;
il ne doit avoir d’autre objet que de fournir des services généraux de l’État ;
il ne doit jamais être un instrument de spoliation ni de confiscation ;
il doit être proportionnel ;
il doit être réel, établi sur la chose, et non personnel.
« En réalité, entre les prétentions des socialistes et leur caractère réel, il y a contradiction complète, à commencer par leur titre même ; car comme nous venons de le démontrer, ce sont des antisociaux. Ils se prétendent égalitaires, et ils emploient tous leurs efforts à constituer des inégalités. Ils réclament la liberté pour eux, mais dans le but d’opprimer les autres et eux-mêmes réciproquement. Ils se prétendent « avancés », et les procédés qu’ils proposent aboutissent à frapper d’arrêt de développement ceux à qui ils s’appliquent : et l’idéal qu’ils nous offrent c’est la régression vers des civilisations passées. »
Il est généralement reconnu que cette observation, valable pour la logique militaire, s’applique également à celle de tout corps de fonctionnaires, car la croissance de l’État conduit à favoriser la société militaire par rapport à la société commerciale, en substituant le principe de soumission au principe de contrat pour maintenir un ordre social et économique[2].
« Chaque Allemand, chaque Français, reçoit, en passant à l’armée, l’empreinte du type de l’organisation militaire, bien plus facile à comprendre que les conditions de la liberté. Par besoin d’ordre, d’obéissance, et la recherche du moindre effort, il le transporte dans sa conception de la vie économique. »
Conclusion
En conclusion, les écrits d’Yves Guyot mettent en lumière une vision libérale classique de l’économie et de la société, centrée sur la liberté individuelle, la responsabilité personnelle et une économie de marché peu réglementée.
En contraste, le programme du Nouveau Front Populaire de 2024 représente une volonté d’intervention étatique accrue pour corriger les inégalités perçues et protéger les droits des travailleurs, adoptant ainsi une approche plus interventionniste et régulatrice de l’économie et du marché du travail.
Si mes camarades lecteurs trouvent, en parcourant ce bref billet, qu’il y a une ressemblance de fond avec les autres partis en lice, qu’ils se rassurent : ce n’est pas qu’une simple impression. Dans un pays où les élites bénéficient du même logiciel de pensée, où une vaste majorité de celles-ci n’ont jamais été que des fonctionnaires à qui on a retiré tout bilan comptable ou logique économique des yeux, il ne faut guère s’étonner d’observer des différences marginales. N’est-ce pas finalement ce que sous-entendait notre auteur, lorsqu’il écrivait que chacun, Français, Allemand, se voyait inscrit le fonctionnement de l’Armée ?
Le Français pourra-t-il un jour voter pour un homme d’État, dont « Le devoir […] est de prévoir et d’empêcher que jamais la loi ne devienne un instrument d’oppression et de spoliation. » ? (Yves Guyot)
Gageons qu’un jour, nos contemporains auront le choix de la liberté. Et gageons que dans le cas contraire, ils sauront la prendre.
[1] cf Thomas Sowell, Knowledge and Decisions
[2] cf Herbert Spencer
Source link : https://www.contrepoints.org/2024/06/28/476471-la-tyrannie-collectiviste-et-le-nouveau-front-populaire
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Publish date : 2024-06-28 03:01:59
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