Selon un sondage Odoxa, publié le 25 juin, désormais moins de 50 % des Français, 42 % exactement, estiment que l’arrivée du RN à Matignon serait une mauvaise chose. Le front républicain a-t-il vécu ?
Dire que l’héritage du front républicain a disparu, c’est aller un peu vite. Ce sondage prouve la dédiabolisation et la normalisation du Rassemblement national dans les esprits et dans les idées. Mais le projet de faire front au RN n’a pas disparu. C’est autour de ça que s’est construit cette alliance surprenante de la gauche avec des partis qui partagent peu de choses. C’est étonnant de voir que cette mythologie du Front populaire, qui est une forme de front républicain, a pu faire oublier les divisions. Cela veut dire que ça fonctionne encore.
En 2002, Jacques Chirac l’emportait face à Jean-Marie Le Pen…
Selon un sondage Odoxa, publié le 25 juin, désormais moins de 50 % des Français, 42 % exactement, estiment que l’arrivée du RN à Matignon serait une mauvaise chose. Le front républicain a-t-il vécu ?
Dire que l’héritage du front républicain a disparu, c’est aller un peu vite. Ce sondage prouve la dédiabolisation et la normalisation du Rassemblement national dans les esprits et dans les idées. Mais le projet de faire front au RN n’a pas disparu. C’est autour de ça que s’est construit cette alliance surprenante de la gauche avec des partis qui partagent peu de choses. C’est étonnant de voir que cette mythologie du Front populaire, qui est une forme de front républicain, a pu faire oublier les divisions. Cela veut dire que ça fonctionne encore.
En 2002, Jacques Chirac l’emportait face à Jean-Marie Le Pen avec 82 % des voix. Et il faudra attendre quinze ans, et le second tour de 2017, pour retrouver le RN au second tour de la présidentielle… Que disent ces quinze ans ?
Plusieurs choses. 2002, c’est la confrontation inédite de la société française à un représentant de l’extrême droite au second tour de la présidentielle. C’est un électrochoc. Pour le Front national (FN), c’est à la fois la confirmation de sa montée en puissance et un coup d’arrêt car le front républicain a fonctionné. Arrive ensuite Nicolas Sarkozy. Comme ministre de l’Intérieur, puis comme président, il a réussi à attirer à lui un certain nombre d’électeurs du FN. Mais en même temps, il a contribué à le banaliser. Il a réussi à l’affaiblir mais, sur le long terme, il a acculturé ses idées dans notre société. Enfin, Marine Le Pen a pu s’appuyer sur cette acculturation pour dédiaboliser le RN et affaiblir le front républicain. Pour beaucoup de Français, le RN est désormais dans l’arc républicain.
« En 2022, Marine Le Pen est devenue une candidate normale de second tour »
L’historien Jean Garrigues.
Archives Public Sénat
Après 2017, il y a eu 2022 et de nouveau Marine Le Pen au second tour. Certes, elle a été battue mais aux législatives, elle est passée de 8 à 89 députés. Était-ce un tournant ?
2022 est un cap décisif, d’autant plus qu’au deuxième tour, elle n’est pas si loin de Macron. Là, elle devient une candidate normale de second tour. Et s’installe comme une force politique nationale.
À la lueur de la progression du RN, Emmanuel Macron a-t-il négligé l’histoire ? Cette dissolution intervient après une nouvelle percée de l’extrême droite aux européennes…
Avec cette dissolution, Macron a joué un quitte ou double. En dramatisant ces européennes, il a cru qu’il allait mettre les électeurs au pied du mur d’un événement historique : la possible arrivée du RN au pouvoir. En précipitant cette élection, il visait aussi à mettre en évidence l’impréparation matérielle et idéologique du RN. Le pari, c’était d’aller jusqu’au bout de la logique de l’appel au peuple. Ce n’est pas contraire aux principes de la Ve République. Mais par excès de confiance, excès d’hubris, il a sous-estimé la montée en puissance du RN. Il a cru que cette mythologie du barrage républicain serait suffisante. L’idée du front républicain a été annexée par le Nouveau Front populaire, mais dans l’arc républicain, il y a aussi toute la majorité présidentielle. L’erreur de Macron est d’avoir laissé le Nouveau Front populaire annexer cette marque.
« Même de Gaulle a beaucoup évolué sur certains sujets. C’est la real politique de ceux qui gouvernent »
Comment l’historien apprécie l’appellation Nouveau Front populaire (NFP), cette alliance qui va de Mélenchon à Hollande jusqu’à Poutou en passant par les communistes et les écologistes ?
C’est un mélange de marketing politique et une sorte d’escamotage de leurs divergences de fond. Le NPA est un parti révolutionnaire qui n’a rien à voir avec le Parti socialiste d’Olivier Faure et qui a toujours combattu le PS. Mais en 1936, dans le Front populaire, il y avait le Parti radical qui représentait à peu près ce que sont les macronistes aujourd’hui. L’axe politique du NFP est plus à gauche que celui du Front populaire. En outre, le Front populaire a mis deux ans à se construire en incluant les communistes. À l’inverse, le NFP est plus une alliance de circonstances.
Emmanuel Macron présente cette dissolution comme un « acte gaullien ». Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que cette dissolution se situe dans cet héritage du général de Gaulle d’en appeler au peuple en période de crise. Mais la question se pose de l’opportunité de le faire au lendemain des européennes. Les dissolutions de 1962 et 1968 par de Gaulle surviennent dans des crises majeures. Les européennes sont-elles une crise de régime ?
Quel bilan faire de ce macronisme qui surgit en 2017 en promettant d’enrayer la montée du RN et qui voit, ces derniers jours, Emmanuel Macron reprendre à son compte le terme « immigrationniste », vocable du RN, pour dénoncer le programme du Nouveau Front populaire ?
Quelque part, c’est assez gaullien. Cela rappelle le « Je vous ai compris » du général de Gaulle aux pieds noirs d’Algérie le 3 juin 1958 et qui, quatre ans plus tard, accorde l’indépendance, devenant de ce fait leur ennemi juré. Même de Gaulle a beaucoup évolué sur certains sujets. C’est la real politique de ceux qui gouvernent. Emmanuel Macron n’a pas réussi à faire rempart au Rassemblement national. La succession des crises – les gilets jaunes, le Covid, la guerre en Ukraine – a affaibli sa crédibilité et renforcé le sentiment de colère qui a été très bien canalisé par le RN. Mais d’autres raisons émergent et qui ne lui sont pas imputables. L’apparition du parti xénophobe Reconquête !, qui a permis à Marine Le Pen de se recentrer, et la conflictualité de LFI, qui a permis au RN de se respectabiliser.
Cette campagne des législatives est marquée par les accusations de racisme contre le RN et d’antisémitisme contre LFI. Sommes-nous de retour sous la IIIe République ? La France renoue avec ses vieux démons ?
Dans les années 1930, le racisme et l’antisémitisme étaient beaucoup plus décomplexés dans les débats qu’aujourd’hui. Quand Léon Blum arrive au pouvoir, il y a ce discours du député d’extrême droite, Xavier Vallat, qui dit : « Ce vieux pays gallo-romain va être gouverné pour la première fois par un juif. » Les articles de presse étaient ouvertement antisémites. En revanche, à la faveur de la crise à Gaza, c’est vrai qu’il y a une résurgence très forte de ces thématiques. C’est une sorte de retour en arrière.
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Publish date : 2024-06-27 13:53:53
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