Charente et Charente-Maritime, reportage
Dans la fraîcheur retrouvée du début de soirée, après deux heures de réunion publique, les rires fusent dans la petite équipe de campagne de Carole Ballu. Il y a sa sœur, son « cher et tendre Pascalou », son fils de 25 ans, son suppléant et deux jeunes étudiants militants, qui tordent et retordent la sémantique à la recherche d’un bon slogan pour un hypothétique second tour : « “La ruralité à l’Assemblée”, c’est bien, mais c’est fade », glisse l’un d’eux. « “Votre voix à Paris”, à éviter. “Paris” est un repoussoir », suggère un autre. « Avec Tata Caro, ils vont se tenir à carreau », s’amuse la candidate du Nouveau Front populaire (NFP) aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet.
L’humeur est rieuse, mais l’exercice compliqué pour cette militante syndicale néophyte en politique. Il faut incarner un ancrage sans tomber dans les poncifs, proposer une rupture sans agiter les crispations locales, faire rimer social et écologie pour convaincre les urbains de Cognac (Charente), mâchés par la crise sociale, de revenir vers les urnes.
La candidate Carole Ballu tient une exploitation en polyculture élevage en Charente.
© Yohan Bonnet / Reporterre
Carole Ballu, quadragénaire énergique, tient avec son mari une exploitation en polyculture élevage : de la viande bovine bio « à l’herbe intégrale » et en vente directe, 2 000 arbres fruitiers et un pressoir à jus qui sert pour les fermes bio du coin et les particuliers, des petites céréales, des canards, des cochons et du pain, deux fois par semaine : « C’est un système paysan à l’ancienne, tout s’articule. » Même si économiquement, « c’est hyper difficile, tranche la candidate, comme pour tout le monde. L’agriculture est coincée dans un modèle complètement artificiel ».
Le revenu paysan ! Voilà le mantra qu’elle colporte aux quatre coins de sa circonscription et qu’elle aimerait « aller crier à l’Assemblée ». « Il faut forcer les industriels à rendre publiques leurs marges et interdire la vente de matières premières à perte », martèle-t-elle, convaincue que c’est en parlant de « justice sociale » que la gauche pourra rendre le discours écologique audible auprès du monde paysan : « C’est le fric qui fera faire un bon à l’écologie. » Dans le contexte de crise agricole, concède-t-elle, il est même devenu « impossible de parler d’environnement », d’autant plus dans un département concerné par le conflit autour des mégabassines, ces retenues d’eau dédiées à l’agriculture intensive.
Une affiche de campagne de Carole Ballu à proximité de la ferme bio.
© Yohan Bonnet / Reporterre
Carole Ballu a grandi dans le Vaucluse, loin du monde paysan. Après une première vie de graphiste à Marseille, elle s’est installée avec son mari en 2013 à Châtignac, dans le sud du département, à deux pas de la ferme de sa belle-famille. Sa plongée dans le monde rural a provoqué « un choc » et attisé son envie de révolte. « Quand tu es agriculteur, tu dois être mécano, couvreur, électricien, météorologue, ingénieur agronome… Les paysans ont une intelligence merveilleuse, mais ils ont l’habitude de se taire face à des gars de 24 ans sortis d’école de commerce, qui leur vendent un modèle mortifère. Ce mépris du monde agricole, je l’ai vécu. Il me fait péter les plombs. »
« Elle attise l’esprit de résistance qui manque cruellement, selon elle, dans le monde paysan »
Elle s’est donc immédiatement engagée dans le réseau bio et à la Confédération paysanne, dont elle est devenue porte-parole départementale (en pause pendant la campagne). C’est comme ça qu’elle a rencontré René Pilato, nouveau député La France insoumise (LFI) du Nord Charente, qui a pensé à elle pour endosser la candidature du Nouveau Front populaire dont a hérité LFI dans le cadre de l’accord électoral. Elle a ainsi accepté de franchir la barrière qui sépare l’engagement syndical du jeu électoral, avec la garantie que la campagne, quoi qu’il arrive, sera courte.
En campagne, cette femme pétillante à l’humour chambreur parle de ses galères d’agricultrice, des lucioles et des papillons qui ont disparu du jardin de ses parents à cause des pesticides, de l’école de ses enfants menacée de fermeture. Elle attise l’esprit de résistance qui manque cruellement, selon elle, dans le monde paysan.
« Vu à la télé »
Dans le département voisin de Charente-Maritime, Les Écologistes a investi un autre paysan bio, élu pour la première fois aux régionales de 2010 et figure reconnue ces derniers mois avec la crise agricole et la campagne des européennes. « Je pourrais me mettre un pin’s “Vu à la télé”, tellement je suis identifié », mesure Benoît Biteau après quelques jours de campagne.
En déplacement ce mardi 25 juin chez un producteur laitier bio frappé par une triple crise — le Covid qui a impacté ses ventes de yaourts, les déboires de l’agriculture bio et la sécheresse de 2022 —, le candidat enfonce le même clou du revenu des paysans. Trois lettres reviennent dans son discours : PSE. Pour paiements pour services environnementaux, un nouveau modèle d’aide financière expérimentée à petite échelle : « Il faut rémunérer les agriculteurs, parce qu’ils prennent soin du climat et de la biodiversité. Tant qu’on restera dans une logique libérale de marché, leurs revenus dépendront des cours mondiaux et de la bourse de Chicago », tempête Benoît Biteau.
Benoît Biteau visitant la Motte Aubert, tiers lieu rural, et la ferme attenante, le 25 juin 2024.
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Dans sa circonscription, pas de vignes, mais des céréales, des mégabassines et le marais Poitevin, où il a exercé comme scientifique et directeur adjoint du parc naturel avant de reprendre la ferme familiale en 2007, à Sablonceaux, un peu plus au sud en Charente-Maritime. « Nous avons une agriculture très intensive et un cluster de cancers pédiatriques [dus aux pesticides] sur la circonscription », insiste ce militant au discours écolo parfaitement affuté.
Mais au détour de cette drôle de campagne, « les gens veulent m’entendre sur les sujets sociaux », concède-t-il. Durant la crise agricole, « les écologistes étaient identifiés comme la cause de tous les maux, alors qu’on représente une forme d’agriculture qui peut réconcilier la biodiversité et le monde agricole ».
Benoît Biteau : « Ce qui manque, c’est du courage politique et quelqu’un qui peut tordre le bras de la FNSEA ! »
© Yohan Bonnet / Reporterre
Biteau le tribun monte la voix lorsqu’on le lance sur les mégabassines, son combat de vingt-cinq ans. « Les 400 millions d’euros d’argent public investis dans les 200 projets de bassines devraient servir à restaurer le grand cycle de l’eau. Ce qui manque, c’est du courage politique et quelqu’un qui peut tordre le bras de la FNSEA [le syndicat majoritaire] ! »
Il a toutes ses chances face à la sortante Renaissance, Anne-Laure Babault, élue en 2022 avec 1 700 voix d’avance face à l’Insoumis Nordine Raymond, tandis que le Rassemblement national (RN) a récolté 31 % des voix aux européennes dans cette circonscription (30 % pour les partis de gauche et 15 % pour Renaissance).
La mine radieuse, le teint rougi par le soleil, Félix Tuchais son directeur de campagne, pianote sur un téléphone et fignole un emploi du temps au cordeau. « On a été nombreux [chez les militants écologistes] à vouloir amplifier la question de la ruralité, il y a quelque chose que nous n’avons pas bien fait ces dernières années », glisse cet ingénieur agronome originaire de Montpellier, récemment encarté chez Les Écologistes et rodé à l’exercice des campagnes. L’enjeu était au cœur des Universités des ruralités écologistes, en octobre dernier.
Benoît Biteau se bat contre les mégabassines depuis vingt-cinq ans.
© Yohan Bonnet / Reporterre
Carole Ballu aussi, a dans son sillage deux jeunes militants qui s’affairent. Arsène et Olivier, respectivement socialiste et proche de François Ruffin, ont débarqué de Paris, sur cette terre où ils ont grandi, pour prêter main-forte à la candidate. Le leader de Picardie debout ! a identifié cette circonscription comme une de celles qui pourraient basculer. La députée Renaissance sortante, Sandra Marsaud, fragilisée par le contexte national, fera face à une extrême droite bien implantée (42 % aux européennes) mais divisée. Barthélemy Martin, attaché parlementaire LR et officiellement investi RN après l’accord électoral Ciotti-Bardella, doit composer avec une candidature LR dissidente et une « divers droite » issue du RN, Aurore de Clisson, qui vante son ancrage à Cognac.
De retour à la ferme de Carole Ballu, en fin de soirée, une plancha crépite et Pascal, son mari qui cache un air grognard sous une barbe fournie aux reflets grisonnants, retrace l’aventure familiale. Les premières années éreintantes, les couchers à 3 heures du matin, avec l’angoisse qu’un aléa les massacre, le cauchemar des factures à 5 000 euros du réparateur de tracteur, du versement de la PAC qui traîne. « Et la tuberculose [qui conduit des cheptels entiers à l’abattoir] ! Ne me lancez pas sur la tub’ ! »
Drôle de moment politique. La campagne débute à peine et est déjà presque terminée. Carole Ballu et sa « tribu » avaient pourtant beaucoup de choses à dire.
« Ça n’arrivera pas chez nous », pensions-nous.
Que les discours de l’extrême droite soient totalement banalisés dans le débat public.
Que les journalistes soient surveillés, écoutés, menacés.
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Et pourtant…
En France, l’extrême droite est aux portes du pouvoir.
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27 juin 2024 à 09h21
Durée de lecture : 8 minutes
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Source link : https://reporterre.net/Paysans-ils-visent-l-Assemblee-nationale-avec-le-Nouveau-Front-populaire
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Publish date : 2024-06-27 07:21:00
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