Heureux les cinq téléspectateurs (probablement des inspecteurs généraux des affaires sociales) qui ont compris quelque chose à la très pénible séquence consacrée aux retraites dans le débat qui opposait, mardi 25 juin sur TF1, les trois principales forces politiques en présence dans cette campagne des élections législatives 2024. L’émission a en effet donné lieu à un imbroglio à la limite de l’indénouable entre le présentateur Gilles Bouleau et Jordan Bardella, quand s’est posée la question du sort d’un salarié qui commencerait sa carrière professionnelle à 24 ans. A quel âge partirait-il donc en retraite si le Rassemblement national était au pouvoir ? «66 ans», a répondu le président du RN, car il lui faudrait avoir cotisé 42 ans dans son programme. «66 ans ? Plus tard que dans la réforme actuelle ?» s’est étonné Gilles Bouleau, en ayant en tête l’âge légal de 64 ans.
En réalité, dans la réforme actuelle, ce même salarié partirait à taux plein à 67 ans, après avoir cotisé 43 ans. Sauf que Bardella, visiblement pas bien au fait du sujet non plus, s’est lancé dans une explication confuse sur le fait que «quand vous avez commencé à travailler plus tard, il est normal que vous soyez amené à travailler plus tard», ajoutant que «nous avons hérité d’une situation budgétaire très dure, qui va m’amener à faire des choix» privilégiant «les Français qui ont commencé à travailler tôt». Bonne chance pour comprendre.
Deux minutes, plus tard, c’était au tour de Manuel Bompard, le porte-voix du Nouveau Front populaire, de devoir démêler une confusion de Gilles Bouleau quand il a expliqué que dans sa réforme idéale à lui, un salarié ayant commencé à 24 ans partira à taux plein à 64 ans, et s’il le souhaite à 60 ans, mais avec une décote. Là aussi, Gilles Bouleau a cru que ça ne changeait rien par rapport à la réforme de 2023.
Peut-être est-il donc nécessaire de reprendre les programmes des uns et des autres. Avec les deux cas type évoqués sur TF1 : un salarié ayant commencé à 17 ans, un autre à 24 ans. On se place dans l’hypothèse où ces deux personnes entreraient aujourd’hui sur le marché du travail.
Et avant tout, un petit rappel de vocabulaire.
L’âge légal, c’est l’âge à partir duquel il est possible de liquider ses droits à la retraite. Il était de 62 ans jusqu’à la réforme de l’année dernière, qui va le faire passer à 64 ans pour les générations nées après 1968.
La durée de cotisation, ou durée d’assurance requise, c’est le nombre d’années d’activité nécessaires pour partir à taux plein (ou sans décote). Une réforme de 2014, portée par la ministre du Travail de l’époque, la socialiste Marisol Touraine, porte cette durée à 43 annuités pour les personnes nées à partir de 1973. La réforme de 2023 accélère cette réforme : les 43 annuités seront nécessaires pour les personnes nées à partir de 1965.
L’âge du taux plein, ou d’annulation de la décote : c’est l’âge à partir duquel on peut partir avec une retraite à taux plein même sans avoir toutes les annuités requises. Il a été fixé à 67 ans (contre 65 auparavant) par la réforme Woerth de 2010 et n’a pas bougé avec la réforme de 2023.
Chez Ensemble, un âge légal de 64 ans et 43 annuités
Commençons par la majorité sortante, puisqu’elle ne propose à ce stade pas de nouvelle réforme après avoir, l’année dernière, relevé de deux ans l’âge légal de départ en retraite, le faisant passer de 62 à 64 ans. Dans l’hypothèse où cette majorité se maintiendrait au pouvoir, rien ne changerait, donc…
Un salarié ayant commencé à 17 ans aurait le droit de prendre sa retraite à taux plein à 60 ans. Pas avant, même avec une décote. Si l’on a commencé à travailler à 17 ans, il faut avoir cumulé au moins cinq trimestres avant la fin de l’année où on a eu 18 ans pour s’ouvrir le dispositif carrière longue. Mais, même dans ce cadre, pour avoir le droit de partir à 60 ans, il faut également avoir validé 43 annuités.
Un salarié ayant commencé à 24 ans pourrait partir à 64 ans avec une décote, et au plus tard à 67 ans sans décote. Impossible pour ce salarié de liquider ses droits avant 64 ans. A 64 ans il partirait avec une décote, n’ayant accumulé que 40 annuités quand la loi en exige 43. Pour partir avec une retraite sans décote, il devrait attendre 67 ans, l’âge du taux plein, qui en l’occurrence correspondrait exactement à 43 années de cotisation.
Par ailleurs… La majorité sortante s’engage à maintenir l’indexation de pensions de retraite sur l’inflation, comme le prévoit la loi, mais il lui est arrivé par le passé d’y déroger. Elle a par ailleurs concrétisé dans sa réforme de 2023 une promesse vieille de vingt ans : que la retraite minimale pour une personne ayant réalisé une carrière complète ne soit pas inférieure à 85 % du Smic net.
Au Nouveau Front populaire, un retour à 62 ans et 43 annuités, et peut-être plus tard 60 ans et 40 annuités
Le NFP veut agir en deux temps : d’abord, l’abrogation de la réforme de 2023, donc un retour à l’âge légal de 62 ans. Ensuite, un retour à l’âge légal de 60 ans, qui était en vigueur de 1981 à la réforme Woerth de 2010. Cette seconde hypothèse apparaît comme un lointain «objectif».
Un salarié ayant commencé à 17 ans aurait le droit de prendre sa retraite à taux plein à 60 ans. Pas avant, même avec une décote. Eh oui, comme chez Ensemble, car on reviendrait alors à la situation d’avant la dernière réforme : quand l’âge légal de départ était de 62 ans, tous les salariés ayant commencé avant 20 ans pouvaient partir à 60 ans. Aucun changement de ce côté donc si la réforme de 2023 est abrogée.
Un salarié ayant commencé à 24 ans pourrait partir à 62 ans avec une décote, et au plus tard à 67 ans sans décote. La réforme de 2023 abrogée, l’âge légal de départ reviendrait à 62 ans. Ainsi, un salarié entré dans la vie professionnelle à 24 ans pourrait liquider ses droits avec seulement 38 annuités, mais en subissant une sévère décote. Et puisque ni l’âge du taux plein, ni le nombre d’annuités nécessaires (43) pour atteindre ce taux plein n’ont été modifiés par la réforme, il devrait attendre 67 ans pour partir avec une pension complète.
Dans l’hypothèse d’un âge légal ramené à 60 ans et où 40 annuités seraient nécessaires pour atteindre le taux plein, ce salarié pourrait partir à 60 ans avec une décote, et devrait attendre 64 ans pour avoir le taux plein, comme l’a expliqué Manuel Bompard mardi soir.
Par ailleurs… Le NFP veut aller plus loin que la majorité sortante sur les petites pensions, en mettant la retraite minimale pour une carrière complète au niveau du Smic. Il veut par ailleurs réindexer les pensions sur les salaires, et non plus l’inflation. Ce qui, hors période inflationniste comme celle que l’on connaît, leur permettrait de progresser plus vite.
Au Rassemblement national, d’abord une abrogation de la réforme puis un plafond de 42 annuités
Les années, les mois, les jours passent et on a l’impression que le RN est toujours aussi peu capable de résumer en des termes simples «sa» réforme des retraites, qu’il promet de mettre en œuvre après avoir abrogé celle de 2023. Jordan Bardella a expliqué que cela dépendra des marges de manœuvre budgétaires dont il disposera s’il arrive au pouvoir. Si l’on s’en tient aux éléments présentés de manière disparate jusqu’à aujourd’hui, on comprend que…
Un salarié ayant commencé à 17 ans aurait le droit de prendre sa retraite à taux plein à 60 ans. Pas avant, même avec une décote. Oui, comme chez les deux autres, puisque le programme du RN consiste à permettre à un salarié ayant commencé avant 20 ans de partir à 60 ans après avoir accumulé 40 annuités pour un taux plein. Ce qui signifie qu’un salarié ayant commencé à 20 ans pile pourrait effectivement partir avec 40 annuités, mais qu’un autre ayant commencé à 17 ans devrait dans tous les cas attendre 43 ans avant de percevoir sa pension.
Un salarié ayant commencé à 24 ans pourrait partir à 62 ans avec une décote, et à 66 ans sans décote. Le RN prévoit d’abroger la réforme de 2023, donc de ramener l’âge légal de départ à 62 ans. Mais son projet de réforme consiste aussi à plafonner le nombre d’annuités nécessaires pour atteindre le taux plein à 42 ans. Ce qui ne peut être mis en œuvre qu’en revenant sur la réforme Touraine de 2014, qui a fixé à 43 le nombre de ces annuités. Sauf que le Rassemblement national n’a jamais explicitement affirmé qu’il allait revenir sur la réforme Touraine…
Par ailleurs… Le RN ne dit pas, en cas d’abrogation de la réforme de 2023, s’il abrogera aussi la pension minimale à 85 % du smic, mais Marine Le Pen promettait, durant sa campagne de 2022, de porter «les petites retraites à 1 000 euros», une somme inférieure à 85 % du smic net de l’époque, et qui représente 70 % du smic actuel. Elle promettait par ailleurs de «réindexer» les pensions sur l’inflation.
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Publish date : 2024-06-26 15:09:50
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