FIGAROVOX/TRIBUNE – Si une nouvelle majorité émerge à l’Assemblée, les blocages rencontrés depuis 2022 persisteront, estime la docteure en droit, Marie-Christine Steckel-Assouère. Le Conseil constitutionnel et le président de la République demeureront alors les gardiens de nos institutions, explique-t-elle.
Marie-Christine Steckel-Assouère est docteure en droit et maître de conférences HDR en droit public. Elle a écrit Le Conseil constitutionnel et l’alternance (LGDJ, 2002).
Sous réserve d’une pratique autoritaire du pouvoir, illustrée par des violations sur la forme (procédures) et/ou sur le fond (libertés individuelles et collectives) des règles juridiques, l’éventuelle victoire du Rassemblement national ou du Nouveau Front populaire ne renversera pas la table !
Ni révolution, ni même alternative politique, l’alternance législative se manifeste par un changement de majorité politique à l’Assemblée nationale dont les conséquences seront encadrées même si elles peuvent être à géométrie variable. Si l’une de ces deux coalitions de partis politiques obtient seulement une majorité relative (inférieure ou égale à 288 députés sur les 577), elle se retrouvera confrontée aux mêmes difficultés à gouverner et à légiférer que la coalition de partis politiques Ensemble avant la dissolution puisqu’elle devra passer des accords de circonstance en fonction des réformes engagées.
Si elle obtient une majorité absolue soit 289 députés ou plus, le chef du parti politique qui obtient le plus de suffrages au sein de la coalition devrait être nommé premier ministre…par le président de la République. Une quatrième cohabitation débutera alors sous la Ve République. Pour autant, si Jordan Bardella semble déjà légitimé par ses troupes pour exercer cette fonction, le choix du chef du futur gouvernement cohabitationniste reste conflictuel au sein du Nouveau Front populaire.
Assurément, le droit est saisi par la politique et par l’économie mais la politique et l’économie sont aussi saisies par le droit. Par conséquent, sous réserve d’une pratique autoritaire du pouvoir, les conséquences des réformes seront limitées puisqu’elles doivent emprunter des véhicules juridiques (loi, loi organique, loi constitutionnelle, traité) pour entrer en vigueur.
Le vote bloqué sera susceptible de faire passer des dispositions conflictuelles avec d’autres mesures jugées plus consensuelles.
Marie-Christine Steckel-Assouère
Certes, une loi peut toujours défaire une loi et la constitution peut toujours être révisée. Pour autant, une majorité de votants est toujours nécessaire. Ainsi, une majorité qualifiée des trois cinquièmes – soit 60% – des députés et des sénateurs convoqués en Congrès est indispensable pour ratifier une révision de la constitution. Une majorité absolue – soit la moitié des voix plus un – est exigée pour modifier une loi organique relative aux sénateurs. C’est uniquement pour les autres lois organiques et les lois «ordinaires» qu’une majorité relative suffira pour faire passer des réformes.
En outre, si le dernier mot peut être donné à l’Assemblée nationale pour surmonter un éventuel veto du Sénat, la majorité absolue restera requise pour les lois organiques relatives aux sénateurs et dans tous les autres cas. Pour les lois ordinaires, une majorité – certes – relative devra être trouvée. C’est loin d’être gagné au regard des coalitions hétérogènes en lice aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet 2024.
S’agissant des autres techniques de rationalisation du parlementarisme, elles ont été encadrées en 2008. Ainsi, si l’usage du «49.3» demeure illimité en matière financière (loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale), il est dorénavant limité à un seul texte par session parlementaire pour les autres domaines. De plus, la fixation de l’ordre du jour est désormais équitablement partagée entre le gouvernement et le Parlement. Dans ce cadre plus ou moins étroit et en fonction du nombre de députés de la coalition qui sortira victorieuse des urnes, le vote bloqué sera susceptible de faire passer des dispositions conflictuelles avec d’autres mesures jugées plus consensuelles.
Par contre, il est possible que face à une incapacité à gouverner et à légiférer, le futur gouvernement cohabitationniste décide pour la première fois d’invoquer l’article 47 de la constitution. Avec cette disposition, il pourrait mettre en vigueur par voie d’ordonnances le projet de lois de finances, qui n’aurait pas été voté en première lecture par les deux assemblées dans le délai imparti de 70 jours. Sur le fondement de la continuité de l’État, il forcerait alors l’entrée en vigueur des mesures budgétaires au 1er janvier de l’exercice budgétaire concerné. Le Parlement serait alors dépossédé de sa fonction démocratique originelle : consentir à l’impôt au nom du peuple français.
S’écarter du droit de l’Union européenne, du droit européen ou plus largement du droit international entraînera des sanctions.
Marie-Christine Steckel-Assouère
Par ailleurs, notre Constitution du 4 octobre 1958 a instauré des contre-pouvoirs. Premièrement au sein du Parlement, le Sénat, chambre haute où les Républicains sont majoritaires, dispose d’un droit de veto absolu en matière de révision constitutionnelle et de loi organique relative aux sénateurs.
Deuxièmement au sein du pouvoir exécutif, le président de la République restera le gardien politique de notre Constitution. À ce titre, il peut exploiter sa faculté d’empêcher directement (veto sur les ministres concernés par son domaine réservé en matière de défense et de politique étrangère, veto contre les projets de lois, les ordonnances et les décrets pris en conseil des ministres, demande d’une nouvelle délibération d’une loi) et indirectement (saisine du Conseil constitutionnel pour contrôler les lois avant leur promulgation et les traités avant leur ratification, nouvelle dissolution mais seulement douze mois après la précédente).
Il dispose aussi d’une faculté de statuer (domaine réservé dont la détention de l’arme nucléaire, droit de message devant le Congrès, les pouvoirs exceptionnels en cas de circonstances exceptionnelles et un pouvoir de nomination notamment du président du Conseil constitutionnel).
Troisièmement, le Conseil constitutionnel restera le gardien juridique de notre Constitution. Il peut être saisi avant ou après l’entrée en vigueur d’une loi afin de censurer les atteintes aux droits et aux libertés gravés dans le marbre constitutionnel. Et il appartiendra toujours au juge administratif et au juge judiciaire de sanctionner les violations des lois et des traités. La Cour européenne des droits de l’Homme protégera également les droits, notamment la liberté d’expression.
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Par ailleurs, la France, comme les autres pays souverains, s’est engagée à respecter les traités qu’elle a ratifiés sous réserve de réciprocité. S’écarter du droit de l’Union européenne, du droit européen ou plus largement du droit international entraînera des sanctions de sorte que la portée de l’alternance législative sera limitée sur le plan politique, social et économique.
Des évolutions seront possibles si et seulement si elles s’avèrent politiquement consensuelles et juridiquement conformes à nos libertés individuelles et collectives et à nos droits civils, politiques, économiques et sociaux – sans distinction d’origine, de race ou de religion – et aux principes de notre Charte de l’environnement, garantis par nos normes constitutionnelles et conventionnelles.
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Publish date : 2024-06-21 16:09:14
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