Ils étaient environ 900 patrons à s’être déplacés – dirigeants de PME, représentants patronaux, membres du gratin des affaires. Assez nombreux pour remplir la salle Gaveau, à Paris ce jeudi, pour un rendez-vous organisé au débotté seulement trois jours plus tôt, signe que la tension qui parcourt la société française depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale ne les a pas épargnés.
« Nous ne sommes pas là pour donner des bons et des mauvais points, nous sommes là pour évaluer la solidité de leurs programmes économiques », assurait en début de séance Patrick Martin, le président du Medef, avant l’audition des principales forces politiques en lice pour les législatives du 30 juin et 7 juillet prochains.
Et pourtant ! Il suffisait de sentir les changements d’atmosphère dans la salle, d’écouter les réactions murmurées dans les couloirs, pour comprendre les affres qui tourmentent le monde économique à l’approche de ce scrutin . En réalité, il y a bien eu une distribution de bons points, mais aussi de très mauvais points. Et puis pour un candidat, Jordan Bardella, ce ne fut ni l’un ni l’autre, et c’est bien là tout ce qu’il était venu chercher.
Réconfort pour le camp Macron
Pour les membres de la majorité présidentielle, ce passage devant les organisations patronales devait avoir quelque chose de réconfortant. Trois salves d’applaudissements en moins de cinq minutes, ce genre d’accueil chaleureux n’était plus la norme pour Bruno Le Maire ces derniers mois. « Ne cédez pas aux sirènes du RN, on est peut-être moins glamour mais plus efficace », a lancé le ministre des Finances, ajoutant : « Je suis moins TikTok et plus réalité des décisions. »
Le locataire de Bercy était venu avec quelques présents sous les bras. Alors qu’il ne cesse d’insister sur la nécessité de redresser des comptes publics, il a promis à nouveau la suppression de la CVAE d’ici à 2027, alors même que le gouvernement cherchait plutôt à s’en passer quelques semaines plus tôt pour faire des économies . Avant lui, Edouard Philippe avait vanté « la politique menée depuis 2017, probablement la plus pro business qu’on ait vue depuis longtemps », réaffirmant l’idée lancée par Gabriel Attal d’une « règle d’or » instituant un niveau maximal de prélèvements obligatoires.
« Nous serons favorables aux programmes libéraux, assurant la compétitivité de la France et pro-européen », a expliqué Patrick Martin, le président du Medef à l’issue de l’audition. Un verdict qui ne semble pas montrer d’opposition majeure à l’offre politique du camp macroniste. Et peut-être même de LR, Bruno Retailleau ayant lui aussi reçu un bon accueil. « C’est normal, c’est la famille », s’amusait un membre d’une organisation patronale.
Boris Vallaud à rebrousse-poil
La température affichait quelques degrés de moins pour le passage du duo incarnant le Nouveau Front populaire, Boris Vallaud (PS) et Eric Coquerel (LFI). Les dissensions sur le chiffrage du programme économique , sur le nucléaire ou l’Europe ont été soigneusement mis de côté. Si bien que c’est la convergence de vues sur la philosophie économique qui est ressortie. « Notre projet part des besoins », a expliqué Boris Vallaud, reprenant une terminologie popularisée par les Insoumis.
Les deux alliés avaient presque inversé leurs rôles supposés. Eric Coquerel arborait – fait rare – une cravate pour l’occasion, répétant à deux reprises qu’il avait été dirigeant de PME – une agence de communication. Boris Vallaud, lui, n’a pas cherché à faire de manières. Interpellant la salle : « Avons-nous suffisamment fait, avez-vous suffisamment fait pour notre pays ? Posez-vous cette question en patriote ardent ! »
Quelques patrons s’échangent alors des regards interrogatifs. Ils deviendront plus inquiets quand le même Boris Vallaud les interpellera en lançant : « Levez la main, les milliardaires dans la salle ? » Le Nouveau Front populaire promet de taxer les riches et les multinationales. « Mais la fiscalité des PME ne bougera pas », avance Boris Vallaud. Avant qu’Eric Coquerel ne fustige « ceux qui regardent les cours de la Bourse, parfois déconnectés de la vie réelle ». Avec à la clé quelques huées et sifflets, les seuls de la journée.
Les ratés de Jordan Bardella
Le silence est revenu quand Jordan Bardella est ensuite monté sur scène. Le leader du Rassemblement national sait qu’il a beaucoup à perdre. Le matin même, Patrick Martin a descendu son programme en flammes dans « Le Figaro ». « Cela fait toujours plaisir d’être qualifié le matin de danger par celui qui vous invite à dialoguer une heure plus tard », a ironisé le dirigeant du parti d’extrême droite, qui sait qu’il lui faut « rassurer les milieux économiques ».
Alors il déroule son nouveau discours, où il n’a plus que le mot « sérieux budgétaire » en bouche. Opérant même un énième revirement fiscal, en promettant cette fois la suppression de la CVAE et d’un autre impôt de production, la C3S. Les retraites ? Tout le monde se regarde, un peu dubitatif, quand il s’emberlificote sur le futur âge de départ.
« Vous avez compris ce qu’il voulait dire, vous ? » persifle un acteur de l’immobilier. Et pourtant, c’est comme si les patrons s’étaient résignés au fait qu’il ne fallait pas lui en demander plus. Dans les couloirs, un bon connaisseur des arcanes patronaux soupire : « Boris Vallaud aurait voulu faire la courte échelle au RN, il ne s’y serait pas pris autrement. Depuis plusieurs jours, certains pensent que LFI est un plus grand danger que le RN, et la prestation du jour ne va rien faire contre cela. » Plusieurs dirigeants se disent qu’un dialogue est impossible avec le Nouveau Front populaire.
Jordan Bardella, au contraire, avait pris soin d’amener avec lui Eric Ciotti, ce qui en a rassuré quelques-uns. « Le duo n’a pas été mauvais », reconnaît un dirigeant d’entreprise, pourtant peu suspect de complaisance à l’égard du RN.
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Publish date : 2024-06-20 17:08:17
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