Docteur en sciences politiques et auteur de « Penser le conservatisme à gauche » (Le Bord de l’eau), Amaury Giraud estime qu’il n’y a pas de bons choix dans ces élections législatives et accuse la gauche dominante d’être en grande partie responsable de la situation.
Au sortir du scrutin européen du 9 juin dernier, puis de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le président de la République et dans la perspective des élections législatives à venir, les passions politiques ont atteint un degré d’hyperbolisation dont on craint qu’il ne se traduise définitivement par une confrontation absolue et radicale entre trois pôles résolument fanatiques d’un triumvirat apocalyptique en maturation depuis 2017 : extrême droite, extrême centre et extrême gauche.
À LIRE AUSSI : Patriotes, critiques du progrès et défenseurs des limites : on vous présente les « conservateurs de gauche »
Dans cette configuration inédite, la gauche républicaine, laïque, démocratique et sociale est d’ores et déjà annihilée, défaite et effacée de l’enjeu historique auquel nous sommes confrontés collectivement du fait de sa capitulation devant les forces racialistes, identitaires, contre-universalistes et crypto-antisémites avec lesquelles son destin est désormais lié dans le si tragiquement mal nommé « Nouveau Front populaire ».
La gauche morale
Depuis les années 1980, cette « gauche de gouvernement » avait pourtant eu la détestable prétention constante de s’ériger en boussole morale omnisciente occupant un magistère axiologique infaillible depuis lequel bien des responsables – aussi bien médiatiques que politiques – de cet « Empire du Bien » autoproclamé s’octroyaient le privilège inique de distribuer les bons et les mauvais points de respectabilité, d’humanisme, d’irréprochabilité et de pureté vertueuse.
Cette véritable « gauche divine », selon la remarquable expression de Jean Baudrillard, dessinait depuis lors, toujours sur le fondement de son bon vouloir partisan à géométrie structurellement variable, les contours d’un périmètre d’acceptabilité et de légitimité républicaines dont celles et ceux qui avaient le malheur d’en être exclus étaient alors frappés d’opprobre public, d’anéantissement réputationnel, voire parfois même de mise à mort professionnelle et de démonisation complète.
Peu importe que cette gauche – arbitre des élégances et quasi-démiurge distinguant arbitrairement le bien du mal, le beau du laid et le dicible de l’indicible – ait fait élire un président anciennement vichyste et pétainiste, qu’elle ait célébré Cesare Battisti ou même encore qu’elle n’ait rien trouvé à redire au parcours militant et tortionnaire d’un Georges Boudarel. Elle était la bonté et l’espérance, la vérité et la bienveillance. Tout en dehors d’elle-même n’était qu’obscurantisme, hérésie et fascisme plus ou moins larvé.
À LIRE AUSSI : L’éternel retour de Jean Baudrillard
Au second tour de l’élection présidentielle de 2002, elle se plaisait à revendiquer voter pour Jacques Chirac mais seulement en glissant dans l’urne son bulletin au moyen d’une pince à linge tout en ne manquant pas de se boucher ostensiblement les narines. C’était la gauche de l’olfaction inquisitrice pour qui tout ce qui n’était pas son reflet exact et son propre visage ne pouvait être immanquablement que « nauséabond ». Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, elle se pensait dans l’Italie des années 1920 ou dans l’Espagne des années 1960.
Partout, elle multipliait les analogies et les parallèlismes relativistes infamants d’avec « les heures les plus sombres » contre quiconque s’opposait, même avec esprit de nuance, à ses obsessions sociétales et libérales-libertaires pendant que les catégories populaires se réfugiaient, à l’inverse, dans un vote d’impuissance et de désespoir qu’elle ne percevait inflexiblement que comme le signe d’une monstruosité xénophobe intrinsèque du peuple et jamais comme l’expression conséquentielle de sa propre trahison antisociale et de sa conversion au progressisme le plus élitaire, le plus minoritaire et le moins populophile possible.
À LIRE AUSSI : Terra Nova : il y a 10 ans, la note qui fracturait la gauche et pavait la voie à Macron
La « bête immonde », se nourrissant de cet abandon explicite dont la note de Terra Nova
de mai 2011 aura constitué l’apothéose clarificatrice, a pu ainsi occuper seule un espace discourologique qui donnait le sentiment, malheureusement de plus en plus partagé, d’une prise en compte monopolistique du réel (notons cependant que si cette extrême droite veut aujourd’hui faire croire au récit mythologique de sa mutation doctrinale achevée et dissimuler son effrayant passif sous le masque d’un lointain passé, rien ne pourra faire oublier, à titre d’exemple, qu’il y a peu de temps encore, en 2007, Alain Soral
occupait une place de choix dans le dispositif de campagne de Jean-Marie Le Pen dans une proximité assumée avec sa fille stationnant aujourd’hui, enjouée et sastisfaite, dans l’antichambre du pouvoir exécutif).
Droitisation de la gauche
Bref, la gauche suprême était juge et partie, son appréciation omnipotente faisait loi et l’ordre moral qu’elle imposait régnait en maître. Et voilà qu’en moins d’une semaine, son double standard indignatif et son janussisme dénonciateur de toujours se sont révélés aux yeux de tous dans la clarté cruelle de son renoncement éthique dont son copinage LFIste de circonstance s’affirme comme la démonstration probante et l’allégorie paroxystique.
Car non seulement le mélenchonisme emprunte, depuis au moins le 10 novembre 2019 [jour de la manifestation contre l’islamophobie], la voie d’une compromission antirépublicaine vomissant constamment l’universalisme et prenant la forme, entre autres égarements démentiels, d’une mansuétude surréaliste à l’endroit de l’islamisme (jurisprudence Médine oblige), mais son interprétation notoirement euphémisante du pogrom du 7 octobre 2023 est venue parachever la nature fondamentalement indéfendable de ses abjections expressives.
À LIRE AUSSI : Médine aux Journées d’été d’EELV : le rappeur qui voulait « crucifier les laïcards » a-t-il changé de refrain ?
Il y a quelques jours encore, alors que les services de sécurité de l’État constatent en 2023 1 000 % d’augmentation des actes antisémites, le gourou insoumis s’est encore illustré dans l’exercice habituel de la dénégation fantasmatique et du délire conspirationniste, jouant le rôle – peu enviable – d’une sorte de Robert Faurisson de l’immédiateté : « Contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France » (les familles des victimes de l’école Ozar Hatorah de Toulouse ou de l’Hyper Casher de la Porte de Vincennes apprécieront certainement). Pourtant, voilà qu’une coalition de l’ignoble, mêlant le PS républicain aux adorateurs de Jean-Marc Rouillan
et de Georges Ibrahim Abdallah
(NPA – LFI), a surgi des tréfonds du désastre politique que nous expérimentons ces derniers temps.
Cette gauche pudibonde de l’imprécation et de la moraline, qui avait pratiqué ad nauseam ce que Slavoj Žižek
désigne génialement comme une « super-herméneutique du soupçon » identifiant du fascisme, du racisme et du patriarcat partout sauf au sein de ses propres structures, de ses propres publics et de ses propres positionnements, voit définitivement aujourd’hui s’effondrer sa présomption de moralité et perd, de facto, son pouvoir multi-décennal d’intimidation et de chantage (laissant le champ libre à un Éric Ciotti pour trahir de son côté, en un temps lui aussi record, le legs gaulliste dans une alliance conjoncturelle de même nature).
Déshonneur
Pourtant, il y a une décennie à peine, la Gauche populaire de Laurent Bouvet et Christophe Guilluy avait proposé une programmatique sociale, démocratique, laïque et patriote qui aurait pu permettre d’épargner à notre pays la tragédie qui s’annonce et d’enrayer la spirale infernale de succès électoraux dont jouit continuellement le Front national / Rassemblement national depuis au moins le début des années 2010.
Mais cette Gauche populaire, d’héritage chevènementiste, avait été immédiatement dénigrée, fascisée et satanisée par les tenants – de gauche – de la bonne conscience et du panurgisme conformiste fédérés, ensemble, dans leur insondable bêtise catégorisante et étiquettante (leur éternel modus operandi).
À LIRE AUSSI : La guerre des gauches est déclarée
Si lors de la dernière campagne des élections européennes, le nouveau champion social-démocrate Raphaël Glucksmann semblait avoir définitivement compris combien la sphère insoumise avait basculé dans l’immonde et qu’il a multiplié, à cette occasion, les envolées lyriques emphatiques sur le thème de la sauvegarde démocratique et de la lutte contre la brutalisation du débat public, voici que lui-même apporte, sans coup férir, sa caution intellectuelle à ce pacte électoral cynique et ignominieux incluant, notamment, un NPA considérant le 7 octobre comme un « acte de résistance ».
Glucksmann, qui se rêvait Soljenitsyne ou Sakharov, s’accommode vraisemblablement fort bien de cette entente – aussi inadmissible qu’injustifiable – avec les héritiers idéologiques du sectarisme robespierriste. N’est pas un héros et un martyr de la liberté qui veut.
À LIRE AUSSI : Orwell : derrière l’icône devenue consensuelle, une pensée politique originale et subversive
La dignité et l’honneur sont, à gauche, pour Jérôme Guedj
seul (dramatiquement seul même dorénavant). Dans ce condensé eschatologique de catastrophe générale en parturition et de pseudo – « antifascisme » mené de concert avec une cohorte enfiévrée de soralo-bouteldjiens
, ne reste plus que le vote blanc pour sauver ce qui peut l’être de notre éthique de conviction républicaine et de notre probité collective.
Désormais, la France a sombré dans l’abîme de ce « monde de la haine et des slogans » contre lequel nous mettait en garde George Orwell il y a près d’un siècle, lui qui savait si bien – peut-être mieux que quiconque encore – ce qu’il en coûte de se soumettre aux staliniens et à leur volonté de puissance épurative.
Source link : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/nouveau-front-populaire-la-gauche-republicaine-laique-democratique-et-sociale-est-defaite
Author :
Publish date : 2024-06-20 16:30:00
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.