Les patrons sont polis. Ils applaudissent tous les représentants politiques. Après une petite hésitation, quand Eric Coquerel, LFI, et Boris Vallaud, PS, montent sur la scène de la salle Gaveau, à Paris, succédant à Edouard Philippe, Horizons. Sans s’attarder, quand arrive le duo Jordan Bardella, du RN, et Éric Ciotti, pour ce qui est la première sortie ensemble des deux hommes depuis l’annonce du ralliement du président des Républicains. Plus enthousiastes, quand Bruno Le Maire, Renaissance, qui les a beaucoup fréquentés, délivre des paroles douces à leurs oreilles. Jeudi 20 juin, de 8h30 à 13 heures, à l’initiative du Medef, quinze organisations patronales ont interrogé les représentants de cinq familles politiques (Horizons présente des candidats différents de ceux de Renaissance) sur leur programme économique. Quelques mesures promises par le RN ou par le Nouveau Front populaire concentrent les inquiétudes du monde patronal, pas vraiment rassuré par les réponses obtenues lors des auditions.
Un Smic à 1600 euros nets
Parmi les sujets qui paraissent «irresponsables», «incompatibles avec l’économie française», selon plusieurs participants interrogés à la sortie : l’augmentation du Smic à 1600 euros au lieu de 1400 aujourd’hui, proposée par le Nouveau Front populaire. Boris Vallaud parle de «relance salariale massive», parce que «la politique de l’offre ne doit pas viser seulement le capital, mais aussi le travail». Pour Eric Coquerel, «nous savons que 1600 euros cela va être un choc, mais si certaines entreprises ont tout intérêt à une politique qui favoriser le grand capital, une grande majorité a intérêt à ce que leurs salariés puissent consommer». Une tentative d’opposer petites et grandes entreprises, répétée à plusieurs reprises, qui n’a pas du tout plu au Medef. «La ficelle est un peu grosse», protestera Patrick Martin à la fin de la matinée.
Le Nouveau Front populaire promet de créer un fonds pour aider les petites entreprises qui auront du mal à encaisser ce choc, et de mettre en place des prêts à taux nuls. «Eux-mêmes savent que leur mesure va être mortifère, et mettent en place des fonds pour compenser», s’insurge Michel Picon, président de l’U2P. «Mais ce fonds, il faudra bien le financer, s’inquiète Jean-Christophe Repon, président de la Capeb, organisation des artisans du bâtiment. Et ça m’étonnerait beaucoup que les entreprises ne soient pas mises à contribution.» Interrogé sur l’indexation des salaires sur l’inflation, autre proposition du Nouveau Front populaire, Eric Coquerel semble modérer la mesure : «tant que l’inflation est à un certain niveau, les salaires doivent être indexés». Sous-entendu : si elle faiblit, plus besoin.
Revenir sur la réforme des retraites
Si le Nouveau Front populaire veut abroger la réforme des retraites, c’est Jordan Bardella qui sera le plus longuement soumis à la question sur le sujet. «Quelle est votre ligne politique ? 60 ans ? 62 ans ? 64, 67 ans ? Je suis perdu, votre programme semble contradictoire avec les réalités économiques et démographiques», interroge Xavier Horent, directeur général de Mobilans, représentant des entreprises de la mobilité. Serré sur un petit canapé à côté d’Eric Ciotti, le patron du RN affirme que sa priorité portera sur les carrières longues. À eux une retraite à 60 ans, s’ils ont commencé à travailler avant 20 ans et ont 40 annuités. La réforme se fera cet automne. «Au-delà [de 60 ans], il y aura une progressivité.»
Au moment de la campagne présidentielle, Marine Le Pen prévoyait un étalement de l’âge légal de 60 à 62 ans. Mais la France était moins endettée qu’aujourd’hui, souligne le patron du RN, préparant ses électeurs à l’idée que, peut-être, le retour à 62 ans ne se fera pas… Il souhaite attendre les résultats d’un audit financier de l’État, avant d’annoncer un nouvel âge légal. Un recul par rapport au programme précédent du RN, sans doute dû à l’accord avec Éric Ciotti, Les Républicains ayant plaidé, lors de la réforme des retraites, pour un âge légal à 65 ans. «Je n’ai pas compris la position de Jordan Bardella sur les retraites, et ce n’est pas rassurant», réagit Patrick Martin, président du Medef. Il s’alarme des «désaccords» à l’intérieur des deux blocs, qui maintiennent les programmes dans le flou. «Le programme du RN, ça reste n’importe quoi, abonde le directeur d’un cabinet d’avocat. Sur les retraites, on n’a rien compris : 62 ou 64 ans ?»
Le dérapage des comptes publics
Comment financer toutes ces promesses ? C’est sur ce point que les patrons attendent le plus d’éclaircissements. Et d’abord du Nouveau Front populaire. «Nous sommes les seuls à qui on demande une précision à la virgule près sur le budget», grogne l’ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Eric Coquerel, qui promet la présentation, «dans deux jours», du bouclage financier du programme de la coalition de gauche. Coûtera-t-il 106 milliards d’euros comme l’a annoncé l’ancienne députée socialiste Valérie Rabault ? Bien davantage comme le laisse entendre LFI ? Ce qui est sûr, c’est que «le cadre fiscal ne change pas pour les entreprises», assure Boris Vallaud, conscient «d’être là pour rassurer». Pour la gauche, pas question de baisser les impôts de production, comme le promettent tous les autres porte-paroles, mais la majorité des hausses se concentreront sur la fiscalité du patrimoine.
L’accélération de la croissance et le report du retour sous les 3% de déficit doit faire le reste. «C’est le projet choisi par Joe Biden et les démocrates américains qui ont théorisé une sur-stimulation de l’économie», vante le socialiste. Dans les rangs des patrons, l’argument peine à peser. «Ce pari de la relance par la consommation n’a jamais marché», glisse Patrick Martin. «Ils comptent sur la croissance, mais on a l’impression qu’ils veulent la décroissance», réagit Laurent Munerot, le vice-président de l’U2P.
Jordan Bardella, monté à la tribune juste après le duo de la gauche, conditionne une grande partie de ses réponses encore une fois au résultat de l’audit qu’il veut mener dès l’été. «Cela amènera à faire des choix», jure la tête de liste du Rassemblement national, alors qu’un chef d’entreprise l’interroge sur le coût de son programme (estimé à 100 milliards d’euros par l’institut Montaigne en 2022), dont «il manque au bas mot 80 milliards d’euros de financement».
Des incertitudes sur les choix énergétiques
L’exercice face aux patrons a aussi fait ressortir des lignes de fractures de programmes bouclés en quelques jours. Quelle place pour le nucléaire, interroge une dirigeante ? «Le programme n’a pas changé, nous sommes pour en sortir, mais on ne touche pas au parc nucléaire actuel», jure Eric Coquerel, qui défend un report après l’élection présidentielle de 2027 de la décision de construire les nouveaux EPR. Quant Boris Vallaud plaide lui pour «la décarbonation avant la dénucléarisation». «Il n’est pas prévu d’arrêter le nouveau nucléaire. C’est maintenant qu’il faut recruter des compétences, se mobiliser», jure le socialiste.
Avant-dernier orateur pour le parti présidentiel, Bruno Le Maire s’en prend lui aux propositions du Rassemblement national, qui prévoit un virage tout nucléaire. «Marine Le Pen ne croit pas aux renouvelables. Or, nous aurons impérativement besoin des énergies renouvelables» avant l’arrivée des nouveaux EPR, rappelle Bruno Le Maire. Le RN promet aussi de réduire la facture de l’électricité en sortant du marché européen de l’électricité. L’équivalent d’un «Frexit», jure le locataire de Bercy, qui promet en revanche de rouvrir les négociations avec EDF sur les prix de l’électricité, «pas assez compétitifs pour l’industrie française».
L’objectif de la rencontre est-il atteint ? «Nous voulions amener les différentes forces politiques à se positionner face aux attentes des entreprises. On a un peu cheminé dans cette voie», estime le président du Medef, qui n’a pas changé d’avis ni sur le programme du Nouveau Front populaire, ni sur celui du Rassemblement national. «Mine de rien, les politiques ont eu des retours sur leurs programmes», veut croire le président des entrepreneurs chrétiens, Pierre Guillet, en espérant que «le principe de réalité va s’imposer à eux». Notamment sur l’immigration, sur lesquels les patrons ont aussi poussé le RN à la clarification, «le RN a un discours à tenir pour son parti. Mais je ne pense pas que du jour au lendemain, il s’attaquera à l’immigration de travail», estime Pierre Guillet, conscient que peu d’entreprises ne comptent aucun salarié étranger. À une dizaine de jours du premier tour, «il était urgent de remettre l’économie au cœur des débats, car la campagne est courte», conclut Xavier Horent.
Solène Davesne et Cécile Maillard
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Publish date : 2024-06-21 03:00:00
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