Lors de la manifestation contre le Rassemblement national à Paris, le samedi 15 juin. SEVGI/SIPA
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Décryptage Smic à 1 600 euros net, salaires indexés sur l’inflation, augmentation des impôts… L’alliance à gauche parie sur une relance de l’économie en dopant la dépense publique.
« Un délire total », « l’assurance du déclassement », « un très grand danger », « ça coûte des centaines de milliards d’euros », « un risque de mise sous tutelle »… Les cadors de la macronie s’en donnent à cœur joie pour torpiller le Nouveau Front populaire sur son flanc économique.
Bricolé en quatre jours sur la base du précédent programme de la Nupes pour les législatives 2022, le « contrat de législature » présenté par l’alliance à gauche est un attelage pléthorique de mesures en quête d’un quasi impossible équilibre budgétaire. Ses partisans plaident pour un « programme de rupture » avec la politique de l’offre favorable aux entreprises menée depuis sept ans par Emmanuel Macron, et vantent une volonté de « relance keynésienne » qui stimulerait l’économie dans un moment de « creux » en augmentant la dépense publique.
Sauf que le contexte a évolué depuis 2022 : le déficit de l’Etat bat des records, l’inflation se stabilise après un pic, la productivité est en berne et nombre d’entreprises font face à des difficultés de recrutement. « Ce contexte ne doit pas nous influencer parce qu’il n’est que le résultat de la politique socio-économique de Macron, tranche Aurélie Trouvé, députée insoumise candidate à sa réélection et artisane de l’élaboration de ce programme. Notre ambition est claire : revoir le partage de la valeur en redirigeant les bénéfices des entreprises vers les salaires et les emplois, plutôt que vers les actionnaires et les très riches. »
Plus d’impôts
Concrètement, cela passe essentiellement par une remise à plat de la fiscalité. Si le Nouveau Front populaire met l’accent sur « l’urgence sociale », c’est bien d’impôts qu’il s’agit. Le big bang est prévu durant les 100 premiers jours, avec la bascule de cinq à quatorze tranches d’imposition, et une contribution sociale généralisée (CSG) devenue progressive. Pour une philosophie radicalement différente : tous les Français payeront des impôts, dès le premier euro de revenu (une personne seule doit aujourd’hui gagner plus de 723 euros net par mois pour se voir ponctionnée ; au total, seuls 44,7 % des Français payent des impôts). Mais ils verront leur prélèvement CSG varier en fonction de leurs revenus (contre un taux unique de 9,2 % aujourd’hui). Selon Anne-Laure Delatte, chercheuse en économie au CNRS, qui a aidé à chiffrer le programme :
« Le Nouveau Front populaire est le seul à assumer de lever de nouveaux impôts. Mais cela ne concernera pas tout le monde : on estime que ça fera baisser les impôts de 90 % de la population, en particulier des classes moyennes, et seuls les riches et les multinationales payeront plus. »
Difficile de définir « riche ». L’eurodéputée insoumise Manon Aubry a fixé sur France-Inter la barre à 4 000 euros de revenus, ceux en dessous, « c’est-à-dire 92 % des Français, paieront moins d’impôts ». D’après l’Insee, 90 % des Français touchent moins de 4 100 euros brut par mois (3 221 euros net) dans le secteur privé, et 3 520 euros brut mensuels (2 764 euros net) dans la fonction publique.
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Au global, le Nouveau Front populaire table sur des recettes d’impôts en hausse de 5 à 8 milliards d’euros par an. Auxquelles s’ajoute une augmentation des cotisations vieillesse (+1,25 % à cinq ans), et ce pour tous les Français. Concrètement, pour une personne payée 1 600 euros net, cela représentera, dans cinq ans, 43,85 euros prélevés en plus par mois ; et pour un salarié à 3 221 euros net, ce sera une ponction de 84,79 euros supplémentaires. Et la charge sera plus lourde pour les employeurs.
Objectif pouvoir d’achat
Plus que les subtilités fiscales, l’accent est mis sur les augmentations (salaires indexés sur l’inflation, hausse du smic à 1 600 euros, de 10 % pour les fonctionnaires, des minimums de retraite, des indemnités de stage, etc.) et le blocage des prix (dans l’alimentation, l’énergie et les carburants). Objectif : doper le pouvoir d’achat. « Tout ça va coûter très très cher à l’Etat, critique Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès, cabinet d’orientation libérale. Le Nouveau Front populaire veut stimuler l’économie en augmentant les revenus, mais il oublie que, pour consommer, il faut aussi stimuler la production. Or, il ne propose que de nouvelles taxes sur les entreprises. Cela aura des effets pervers sur l’inflation, qui repartira à la hausse, sur le solde commercial de la France déjà haut [le pays importe plus qu’il n’exporte, à hauteur de 100 milliards d’euros l’an dernier, NDLR], et sur les embauches. »
Manifestation en soutien au Nouveau Front populaire, à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, le 17 juin. LUDOVIC MARIN / AFP
Certains craignent une spirale inflationniste : les entreprises répercutent les augmentations de salaires sur les prix, ce qui conduit les salariés à réclamer de nouvelles augmentations, etc. C’est pour casser cette spirale que le mécanisme a été stoppé en 1983 par un gouvernement socialiste, tandis que l’inflation dépassait les 10 %, dans le sillage de la politique keynésienne de François Mitterrand.
Pas de fatalisme toutefois : la Belgique dispose toujours de salaires indexés sur les prix et son inflation était moindre qu’en France en 2023 (mais était au-dessus en 2022 et elle est repartie à la hausse cette année).
Le choc du smic à 1 600 euros
Plus qu’anticiper un retour de « la rigueur », à Bercy, on agite surtout le spectre des faillites d’entreprises avec un smic passé à 1 600 euros – « Comment feront les petites entreprises qui n’ont pas la trésorerie ? » –, quand le ministre de l’Economie Bruno Le Maire promet déjà un « chômage de masse », ses services évaluant que 500 000 emplois pourraient être détruits. Marc Sanchez, du syndicat des TPE, enfonce le clou :
« Une telle mesure se traduirait par des vagues de licenciements. »
Tempérons le catastrophisme en notant que la moitié des PME françaises génèrent plus d’un million d’euros par an de valeur ajoutée. Celle-ci sert pour moitié à payer les salaires, quand 29 % sont empochés en bénéfices (une part en constante augmentation). Mieux, le dernier Observatoire des TPE note que près de trois quarts des dirigeants de petites entreprises sont « optimistes quant à leurs performances économiques » pour les années à venir, choyant leur trésorerie (pour 40 % d’entre eux). Dans ce contexte, rehausser les fiches de paye pourrait permettre de rééquilibrer la distribution des gains.
« L’impact sera mesuré sur les bilans des PME, assure l’économiste Clément Carbonnier. Les [entreprises] employeuses de bas salaires sont soit des sous-traitants qui pourraient assumer le surcoût de production (qui reste limité du fait que le travail à bas salaire est minoritaire parmi l’ensemble des coûts de production), soit des entreprises de services ou de commerce qui bénéficieraient de l’effet de relance de la demande générée par la hausse de pouvoir d’achat des bas salaires. »
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Il pointe, en revanche, un important coût pour les finances publiques. Si l’augmentation des salaires s’accompagne d’une augmentation des cotisations sociales encaissées (par exemple, un smic à 1 600 euros permettrait de faire rentrer 3 milliards d’euros en plus), cela ne suffira pas à compenser les allègements de cotisations octroyés pour les bas salaires. « Une telle mesure pèserait de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros sur les comptes publics », prévient Carbonnier. Addition à laquelle il faut ajouter l’augmentation des fonctionnaires, évaluée côté Bercy à 20 milliards d’euros par an.
Un scénario façon Liz Truss ?
Face à toutes ces dépenses, le Nouveau Front populaire rétorque recettes. Citons pêle-mêle : le retour de l’impôt sur la fortune (ISF) renforcé – 15 à 30 milliards d’euros espérés –, l’augmentation des droits de succession et l’instauration d’un héritage maximal – 10 à 15 milliards d’euros –, la fin de la flat tax (le taux de prélèvement unique de 30 %, qui s’applique à tous les revenus du capital et de l’épargne, contre des taux différenciés précédemment) – 10 milliards d’euros –, la création d’un impôt universel pour les multinationales pour lutter contre l’évasion fiscale – 12 à 40 milliards d’euros –, la taxation des superprofits – 15 milliards d’euros –, le retour de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – 15 milliards d’euros –, la suppression de certaines niches fiscales (dont les armateurs) – 10 à 20 milliards d’euros…
« On a 120 milliards d’euros de marge de manœuvre, ça nous laisse du champ pour répondre aux besoins réels des gens », assène l’insoumise Aurélie Trouvé.
Les économistes proches du Nouveau Front populaire ont plutôt chiffré les recettes à 90 milliards d’euros.
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Pas sûr que cela suffise. D’autant plus que sont évoqués quelques coûteux retours en arrière, en particulier sur les retraites. Le Nouveau Front Populaire martèle ainsi qu’il abrogera la dernière réforme des retraites, qui a reculé l’âge légal de départ à 64 ans. Si la loi tablait sur 13,5 milliards d’économies d’ici 2030, la Cour des Comptes a évalué l’épargne plutôt à 7 milliards à cette date. Revenir en arrière ferait donc peser cette somme sur les finances publiques. Voire, le déficit des retraites pourrait s’intensifier puisque l’alliance des gauches se donne comme « objectif de long terme » le retour d’une retraite à 60 ans. Si tel était le cas à l’horizon 2030, alors les régimes de retraites afficheraient un trou de l’ordre de 100 milliards d’euros, d’après le simulateur du Conseil d’Orientation des Retraites (contre 11 milliards de déficit actuellement anticipé).
La rigueur dans les deux semaines
De quoi faire bondir la macronie, qui a dégainé la calculette pour chiffrer l’addition à plus de 250 milliards d’euros. Une ardoise déjà évoquée lors des élections présidentielle et législatives de 2022, et qui avait conduit le think tank Terra Nova, proche de la gauche, à considérer le programme Nupes comme « un désastre économique », craignant une explosion des déficits publics et du chômage.
Sans aller jusque-là, Sylvain Bersinger d’Asterès anticipe plutôt un scénario façon Liz Truss au Royaume-Uni : en 2022, celle qui est alors Première ministre a dû revenir sur sa vaste baisse d’impôts après la mauvaise réaction des marchés financiers (la livre sterling a chuté à son plus bas historique et les taux d’emprunt ont bondi, menaçant la stabilité financière du pays et risquant la faillite des fonds de pension). « Notre situation économique est si instable aujourd’hui que le tournant de la rigueur ne mettra pas deux ans à être décidé [comme en 1981], mais deux semaines », tacle Bersinger.
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D’autant plus que cette campagne se déroule dans un contexte de record de déficit public (l’an dernier, il a atteint 5,5 % du PIB, soit 154 milliards d’euros). Et, ce mercredi 19 juin, la Commission européenne a entamé une procédure pour « déficit public excessif » contre la France. Pour repasser sous le cap des 3 % de déficit, Bruxelles impose de trouver 77 milliards d’euros. « C’est délicat, quel que soit le gouvernement en place, admet Anne-Laure Delatte. Même si 70 milliards d’euros de nouveaux impôts étaient levés, les utiliser pour faire résorber le déficit n’est probablement pas le bon choix. Il faut donc arbitrer : faire un peu de réduction de déficit et en même temps investir dans de nouvelles mesures. »
Par Bérénice Soucail et Boris Manenti
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Publish date : 2024-06-20 13:09:30
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