Les indignations n’auront pas résisté longtemps devant l’appât du gain. La gauche n’a pas son pareil pour adoucir ses inimitiés — « on s’engueulera plus tard » — et remiser ses convictions quand des postes sont à pourvoir. Elle aurait tort de s’en priver. La droite s’offusque contemplant une union qui se dérobe encore à elle. La gauche drape ses contingences électorales du manteau de la menace antifasciste. Rien de tel qu’un péril inexistant pour ressouder les ennemis d’hier… comme en 1936.
En reprenant la marque Front Populaire, la Nupes saison 2 voudrait s’inscrire dans les pas de Blum. Les caciques de la gauche qui se dit « républicaine » crient au blasphème oubliant que leurs prédécesseurs frayaient avec des communistes soumis à Moscou au temps du stalinisme dominant. Car si l’ex-trotskiste lambertiste Mélenchon tient sans doute plus de Jaurès que du chef du Front Populaire, l’alliance de circonstance du NPA sensible au Hamas, au PS est peut-être moins contre-nature qu’il n’y paraît.
On y retrouve d’ailleurs deux tendances historiques de la gauche : son élan naturel à revenir à sa souche radicale par effet de « sinistrisme » selon le mot de Thibaudet, et son cynisme électoral.
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La gauche ne s’est jamais remise de ses scissions du XIXe siècle au Congrès de Tours de 1920 qui a vu naître le parti communiste. Depuis, elle rêve de restaurer cette unité fantasmée autour du noyau révolutionnaire. Mais le Cartel des Gauches de 1924 se disloque vite et les forces « progressistes » se déchirent publiquement. Le communiste Treint veut « plumer la volaille socialiste » et les « sociaux-traîtres » convolent affectueusement avec les « bolchéviques ». Les convulsions du 6 février 1934 lui procurent l’occasion d’exorciser son complexe de division. Avec un art consommé de l’instrumentalisation, elle fait de l’exaspération de la foule parisienne une tentative de pronunciamiento pour s’ériger aussitôt en rempart de la démocratie.
Ce n’est cependant pas cette peur surjouée qui précipite le Front Populaire – L’Humanité vomit encore le « social-fascisme » de la SFIO selon qui « entre les communistes et nous, il ne peut rien y avoir de commun » – mais un ordre de Staline. On doit à Eugen Fried, envoyé du Komintern en France, le nom de cette nébuleuse dont les contours, imposés par le maître du Kremlin, doivent s’élargir jusqu’aux Croix-de-Feu ! Pour sauver leurs sièges, les radicaux s’allient, sans scrupule, à Léon Blum, encore adepte de la dictature du prolétariat. Dans ce climat bileux, la gauche veut briser les « 200 familles » qui tiendraient la Banque de France quand Thorez appelle déjà à « faire payer les riches ».
Le Nouveau Front Populaire est une version frelatée de son devancier
Les marqueurs, prégnants dans la mémoire de la gauche et au-delà, mériteraient un examen nuancé. Les congés payés sont un rattrapage, la semaine de 40 heures ne réduit pas le chômage et est délaissée dès 1938, les hausses salariales sont gommées par la politique inflationniste. La non-intervention de la France lors de la Guerre d’Espagne et les compromissions diplomatiques écornent la coalition qui ne tient pas deux ans. À défaut de promesse tenue, le pouvoir mobilise la « défense républicaine » face au péril autoritaire. En revanche, ni le pacte germano-soviétique, ni le vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain ne déchaînent de « front » de gauche. C’est ce mythe qui est mobilisé, sans droit d’inventaire, pour renouveler l’actuel « bloc » de gauche.
Le Nouveau Front Populaire est une version frelatée de son devancier. Car les réserves historiques levées, le Front Populaire originel portait une vision de la République et une idée de la Nation aux antipodes des discours déconstructeurs et racialistes des Insoumis, des Verts ou des propalestiniens de NPA. Leurs aînés vénéraient la politique coloniale républicaine initiée par Jules Ferry, le soldat inconnu ou le drapeau tricolore et portaient un discours familial et nataliste bien éloignés du programme Insoumis. Ils goûteraient peu à l’indigence verbale de leurs « héritiers », encore moins à la purge des investitures où les condamnations pour violence conjugale sont moins disqualifiantes que de discuter la position du « chef » est aussi inédit.
On ne devrait pas railler ces accords de circonstance, ils peuvent d’une redoutable efficacité électorale. Ce n’est ni le Programme Commun, ni la Gauche plurielle qui s’annonce mais une idéologie conflictuelle et liberticide portée par des Insoumis, plus résolus que jamais. La haine de classe et de la démocratie libérale, l’antijuridisme et la justice d’exception, la violence accoucheuse de l’Histoire, la détestation de la bourgeoise liberté d’expression, devraient émouvoir la droite. Mais, s’étant arrogée le monopole de l’antifascisme, la gauche ne se laisse pas intimider par l’indignation des autres, ravie de s’abandonner au frisson de la radicalité révolutionnaire.
Si quelques ambitions peuvent contrarier le discours de la méthode pour conquérir le pouvoir, l’horizon demeure le Grand Soir, y compris par le chaos. Ce n’est pas « une rupture totale avec Macron », c’est une rupture avec la France.
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Publish date : 2024-06-18 10:25:07
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