Le JDD. L’électeur Français semble tenaillé d’un côté par l’affirmation agressive d’une identité islamiste (LFI) et de l’autre par un identitarisme culturel et enraciné (RN). En quoi cette vision peut-être un peu réductrice, est révélatrice d’un mal-être démocratique ?
Céline Pina. Je ne suis pas sûre que ce qui arrive à la France soit lié à cette tenaille identitaire que vous évoquez. On a, par exemple, longtemps parlé de « lepénisation » des esprits, laissant entendre que les Français se radicalisaient et que cela expliquait le vote d’extrême-droite. Mais ce n’est pas ce qui se passe. Élections après élections, et ce depuis Nicolas Sarkozy, les électeurs adressent toujours la même demande aux partis qui aspirent à les représenter. Ils veulent qu’on leur garantisse leur mode de vie, leurs mœurs, leur organisation politique et sociale ; bref qu’on leur permette de persévérer dans leur être et dans leur culture.
Cela passe par le fait de répondre à leurs inquiétudes pour leur sécurité physique et culturelle. Ils ne sont pas devenus maurrassiens pour autant. S’ils l’avaient été, ce serait Éric Zemmour qui aurait le vent en poupe et le RN aurait gardé des relents antisémites. Or le contraire s’est passé. Les Français aspirent à une République qui arrête de se laisser marcher sur les pieds et reprend en main son destin, mais ils restent attachés à sa devise, aux services publics et à l’État de droit. Ils réclament juste que celui-ci évolue pour faire face aux nouvelles menaces : migrations incontrôlées, retour des massacres de masse, guerre, crises énergétiques, économiques, politiques…
Et ils ne le réclament par idéologie, mais au nom des réalités qu’ils affrontent et que tout le monde constate sur le terrain. Ils craignent que l’immigration incontrôlée ne soit en train de construire sur leur sol, un autre modèle de société. Modèle qu’ils rejettent à juste titre car il n’est pas désirable et a fait le malheur des peuples et des pays qui l’ont adopté : la société islamique. Une société qui refuse l’égalité en droit entre les hommes à raison du sexe, de la religion ou de l’origine. Une société où les droits ne sont pas garantis, où la corruption est très importante, où les libertés sont bafouées et où l’arbitraire est fréquent. Une société où le pouvoir est théologique et la démocratie, absente ou en trompe-l’œil.
Or la présence massive sur notre sol d’individus appartenant à cette sphère arabo-musulmane comme l’absence de politique d’intégration et d’assimilation ont permis aux islamistes de cibler cette communauté et de la couper de la société française, présentée comme une société de mécréant. Adhérer aux principes et idéaux de la France devient alors une façon de trahir sa culture, sa religion, ses origines, sa mère… Ce travail séparatiste a fonctionné. Aujourd’hui parler d’assimilation est devenu tabou et la pression est maximale pour accepter les marqueurs de l’islamisme et du séparatisme : voile, hallal, antisémitisme sous couvert d’antisionisme…
C’est LFI qui donne aux revendications communautaro-religieuses des islamistes, une forme révolutionnaire et en fait une façon de mettre en accusation la France et de semer le chaos et la haine. Ce facteur-là est déjà inquiétant mais il se trouve que les derniers massacres de masse (Bataclan, Nice), les derniers assassinats politiques (Charlie, fonctionnaires de police, prêtres…) et les derniers attentats de proximité au couteau, ont en général pour auteur des islamistes ou des musulmans ayant une vision rigoriste de l’islam. Si ce constat génère une demande d’autorité auprès de la République, cela n’alimente pas la demande d’un changement de régime ou de révolution.
Au contraire, les Français rêvent de de Gaulle, pas de Staline ou de Mussolini. Ils rêvent d’un temps où la France était souveraine, avait des ambitions et des projets et où la Nation représentait le commun. Ils pensent que si la démocratie est en crise, c’est parce que les élites la trahissent et ne jouent pas leur rôle, liquidant la civilisation au nom de la mondialisation. La crise démocratique vient de là et de la constitution sur notre sol d’une contre-société, structurée par l’islam politique, qui voit dans la faiblesse des élites une façon de renforcer son pouvoir de nuisance
Derrière la remise en cause de l’universalisme, il y a le refus de la nature humaine
N’est-ce pas un piège tendu à l’universalisme, qui en ne tenant pas ses promesses d’émancipation ou de lutte contre les discriminations, s’est laissé enserrer dans ce cloaque au point de disparaître ?
L’universalisme a tenu ses promesses. Considérer que les êtres humains sont libres et égaux en droit est un objectif qui a permis que le mérite puisse concurrencer la naissance, que l’arbitraire soit éliminé, que se crée une classe moyenne éduquée et entreprenante, c’est aussi cela qui a mené à l’avènement des sociétés démocratiques et à l’ascension sociale des individus… C’est son recul qui marque au contraire le réveil des appartenances ethniques et des haines. L’universalisme a tenu ses promesses en matière de discrimination. Mais aujourd’hui la gauche, sous emprise islamiste, remet en cause l’universalisme au prétexte que la démocratie n’est pas parfaite. Le fait qu’il subsiste des imperfections signifierait que la démocratie est une manipulation et l’universalisme, un mensonge.
Or l’imperfection est humaine et il suffit de comparer la société démocratique française aux sociétés maghrébines, violentes et inégalitaires, à la société iranienne, aux sociétés du golfe pour constater que nos principes engendrent des réalités. Par exemple, l’égalité homme/femme n’est pas parfaite, il existe encore des différences salariales, mais la condition de la femme en France n’a rien à voir avec celle de nombre de femmes dans le monde. Ici la femme est libre de ses aspirations, de ses rêves, peut mener sa vie comme elle l’entend, elle est l’égale des hommes devant la loi… On pourrait aussi parler de la situation des homosexuels. L’affirmation de principes universels d’égalité a engendré des effets réels pour les femmes occidentales. Il suffit de voir la situation de celles qui ne vivent pas en occident pour s’en rendre compte.
Cette histoire de « promesses non tenues » est une vaste foutaise. Parce qu’au passage les théocraties sont devenues de petits paradis sur terre dans lesquels les principes divins sont réalisés dans leur totalité ? Visiblement ce n’est pas le cas. Derrière la remise en cause de l’universalisme parce qu’il ne réaliserait pas parfaitement ses promesses, il y a le refus de la nature humaine, des systèmes politiques, imparfaits et perfectibles en soi et une véritable manipulation. Manipulation qui vise à délégitimer des systèmes politiques qui ont pourtant créé des sociétés ouvertes et cela au nom d’idéologies violentes, obscurantistes et mortifères. La lutte contre les discriminations est ainsi devenue le cheval de Troie des islamistes. C’est souvent via les chaires ou les services chargés de veiller à la diversité et aux luttes contre les discriminations que l’islamisme et le wokisme étendent leur influence.
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Je ne nie pas que les discriminations existent. Chez nous comme ailleurs, mais plutôt moins chez nous qu’ailleurs. Et pourtant les promoteurs de sociétés violentes nous mettent en accusation, alors qu’eux n’ont pas à lutter contre les discriminations. Ils s’en moquent car ils assument parfaitement les inégalités. Ils ne se servent du discours sur les discriminations que pour déstabiliser la société qu’ils ont dans leur viseur.
La démocratie est un effort et une exigence car elle allie liberté et responsabilité
Est-ce que le tout identitaire n’étouffe pas peu à peu la conversation démocratique en rabattant le citoyen sur l’individu et l’individu sur sa naissance, son genre ou encore sa religion ?
Le problème est effectivement cette capacité à tout amalgamer quand il faudrait faire des distinctions. Une origine n’est pas un piquet auquel on est attaché, comme une chèvre. C’est un point de départ, une donnée, pas un aboutissement. D’ailleurs le plus curieux est que l’exacerbation de la question identitaire finit par l’immolation du sujet. Ainsi l’individu a tendance à disparaître au profit du clan. Or appartenir à un clan est souvent un phénomène qui mêle naissance, religion, ethnie. La personne est un élément d’un tout, mais n’est pas un individu autonome. Elle doit réagir selon les règles du clan et elle n’est protégée que dans la mesure où elle est l’une des expressions de la loi du clan.
Or la société démocratique ne peut fonctionner que sur la logique de la citoyenneté, pas du clan, puisqu’elle repose sur l’idée que d’une dispute rationnelle entre individus libres peut émerger une loi commune. Pour cela, le citoyen doit être autonome, ni membre d’un clan, ni porte-drapeau de ses obsessions personnelles. Il doit être capable de distinguer la sphère privée, où il exprime ses particularismes et la sphère publique où il en rabat sur lui-même pour permettre l’émergence du commun. Mais déjà, pour comprendre cela, il faut un certain niveau d’éducation, là où être membre d’un clan ou nombril sur patte ne nécessite aucune formation élaborée.
Le tout identitaire est une conséquence de l’absence d’exigence éducative. Le fait de ne pas porter des personnes à un certain niveau de compréhension intellectuelle alors qu’on leur a accordé la citoyenneté, fait qu’elles retombent dans des formes d’organisation primitives : le clan, la tribu. La démocratie est un effort et une exigence car elle allie liberté et responsabilité. Elle parie sur l’intelligence humaine. Les autres modèles, et particulièrement le modèle théocratique, sont définis par leur proximité avec le règne animal. Elles voient la société comme un troupeau. Le troupeau peut être limité intellectuellement et peu éduqué puisque seul compte le berger.
Pour le reste, ceux qui le composent se réduisent à des nombres. Plus il y en a, plus le chef compte. Pour une élite qui n’a pas en tête le développement de son pays, mais le service de sa propre image et de sa propre puissance, le modèle démocratique est difficile à gérer et instable. Il implique de prendre sa perte, d’accepter de ne pas garder le pouvoir. Chez les identitaires, les choses sont plus simples, on vit dans la dialectique de l’ennemi. L’identité n’est pas choix mais appartenance et cette appartenance est la seule protection existante. La remettre en cause, c’est devenir une proie.
Il est difficile de renvoyer dos à dos le RN et LFI
Selon vous, est-ce justifié de renvoyer dos à dos RN et LFI ?
À moins d’être malhonnête intellectuellement, il est difficile de renvoyer dos à dos le RN et LFI et même de renvoyer à dos les électeurs du RN et ceux de LFI. Mais j’irai plus loin : aujourd’hui je trouve que le Nouveau Front Populaire est une honte et je ne fais pas de distinction dans ses composantes. À partir du moment où le PS et EELV ont choisi de cautionner un parti à la dérive antisémite avérée, ils ont trahi tous leurs idéaux, leurs principes et leurs devoirs. Et cela juste pour garder leur poste.
Car aucun d’entre eux ne croit réellement que le RN est un parti fasciste. Mais comme ils n’ont rien à proposer à la France et aux Français, ils ont besoin d’agiter le spectre de la bête immonde. Pour cela, ils ont sacrifié une partie de leurs compatriotes, les Juifs de France. Pour cela, ils ont refusé de combattre de fait l’antisémitisme et se sont alliés avec d’authentiques fascistes, les islamistes. Ils ont donc vite enterré l’antisémitisme pour mettre en avant l’islamophobie, faisant la promotion, au pays de la liberté d’expression, du délit de blasphème. Rétablir le blasphème en France est une des grandes obsessions des Frères musulmans et des salafistes. Avec le Nouveau Front populaire, ils ont trouvé des relais efficaces et sans scrupule.
Mais passons aux électeurs. Ils ont vu la campagne des Européennes, le drapeau français remplacé par le drapeau palestinien, la haine des Juifs scandée dans la rue devant Sciences-Po, la justification de la violence politique et la tentative de faire disparaître le crime contre l’humanité du 7 octobre au profit de fausses accusations de génocide. Ces gens qui se disent antifascistes ne voient donc aucun inconvénient à servir l’agenda et le discours des islamistes. Enfin, au vu de la situation de certains de mes anciens camarades de gauche, je comprends que parfois le plat de lentilles s’appelle « garder les moyens de nourrir sa famille ». Et cela nous pouvons tous le comprendre. Mais dans ce cas-là, on ne la ramène pas. On boit sa honte et on n’essaie pas de se poser en modèle de vertu combattant vaillamment le retour du nazisme.
En ce qui concerne le RN, le parti a une histoire chargée, mais il faut reconnaître que la comparaison entre son attitude au parlement et celle des LFI montre que le respect de la démocratie et du parlementarisme est plutôt au RN qu’à l’extrême-gauche. Dans la mesure où les Français n’ont pas changé dans leurs attentes depuis des années, le succès du RN ne s’explique pas par la droitisation des esprits, mais par l’évolution vers une position politique plus centrale et plus républicaine du parti. Si on peut douter de sa compétence et trouver qu’il manque d’expérience, le renvoyer au fascisme est outrancier et fonctionne de moins en moins. Le problème c’est que l’on vient d’assister à un crime nazi, le 7 octobre 2023. Le RN l’a dénoncé clairement. LFI a soutenu ceux qui l’avaient commis et la gauche entière a choisi de fermer les yeux. Ça, c’est la réalité, pas un discours et ce fait-là invalide totalement le Nouveau Front populaire.
*Céline Pina est journaliste à « Causeur », essayiste et militante. Fondatrice de Viv (r) e la République, elle a notamment publié « Silence coupable » (Kero, 2016) et « Ces biens essentiels » (Bouquins, 2021).
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Publish date : 2024-06-19 10:00:09
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