Ils étaient tous là ou presque. Lundi 17 juin 2024 à Montreuil, des représentants des socialistes, des écologistes, des communistes et de la France insoumise ont participé à un rassemblement commun pour le Nouveau Front populaire. Mais derrière cette union, des tensions ont émergé notamment entre élus Insoumis, signe du rapport de force qui se joue à gauche.
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Olivier Pérou, journaliste à L’Express, spécialiste de la gauche et auteur d’Autopsie du cadavre (Fayard, 2022) sur la chute du Parti socialiste, décrypte la situation à quelques jours des élections législatives.
Comment expliquer la purge dont ont été victimes plusieurs députés LFI sortants comme Raquel Garrido ou Alexis Corbière ?
Cette décision acte ce que Jean-Luc Mélenchon avait entamé au lendemain de l’affaire Quatennens. À l’époque, le tweet de Jean-Luc Mélenchon ne passe pas du tout, beaucoup de députés LFI contredisent ouvertement les mots du chef. Ce n’était jamais arrivé. Il comprend qu’il n’a pas la main sur les 75 députés du groupe LFI comme il pouvait l’avoir dans le groupe de 17, sous la précédente législature. C’est alors qu’il choisit de mettre au ban des députés comme Clémentine Autain, Raquel Garrido, Alexis Corbière ou François Ruffin. Et il le refera avec d’autres, dont le député rennais Frédéric Mathieu, qui a exprimé beaucoup de réserves, en interne, après le communiqué du 7 octobre de LFI qui ne condamnait pas clairement l’attaque du Hamas. Jean-Luc Mélenchon a gardé des restes de sa jeunesse chez les trotskistes, un mouvement où l’on voit des complots partout et on renouvelle les cadres vieillissants pour des plus jeunes, et ainsi garder la main.
Les frondeurs, et François Ruffin le premier, considèrent qu’il faut faire différemment, « faire mieux »
Est-ce seulement une question d’inimitié personnelle ou y a-t-il aussi une fracture sur la ligne ?
Victor Hugo disait que la forme, c’est le fond qui remonte à la surface. Au fil des mois, les frondeurs ont exprimé des doutes sur la stratégie du parti, en particulier pendant la réforme des retraites. Alors que Jean-Luc Mélenchon voulait importer la colère de la rue au sein de l’hémicycle, certains se sont rendu compte que cette stratégie de la « bordellisation » ne passait plus au sein d’une partie de la société. Les frondeurs, et François Ruffin le premier, considèrent qu’il faut faire différemment, « faire mieux ».
Jean-Luc Mélenchon est-il toujours la figure tutélaire de La France insoumise ?
De toute évidence, la figure tutélaire qu’il a été pendant des années est abîmée. Il y a beaucoup de doutes au sein des troupes insoumises. Des remises en question anonymes et publiques. C’est ce qui explique aussi les purges. Avec cette décision, Jean-Luc Mélenchon envoie un message à ce qu’on appelle « le ventre mou », soit les futurs députés LFI, peu habitués à la joute politique, de ce qui pourrait leur arriver s’ils prenaient la parole contre lui.
Après le meeting de lundi, Alexis Corbière a dénoncé une campagne de fake news contre lui. Que peut-on dire des méthodes de LFI ?
Jean-Luc Mélenchon a renforcé sa citadelle. Il s’appuie sur une armée de comptes anonymes sur les réseaux sociaux pour mettre la pression sur les frondeurs ou certains socialistes. Il y a cette peur du complot qui est très présente chez Jean-Luc Mélenchon. Il a compris qu’un rapport de force était en train de s’opérer, que ce n’était pas seulement les législatives qui se jouaient mais aussi la prochaine présidentielle et son avenir à la tête de la gauche.
Pourrait-il encore être candidat ?
C’est un Molière de la politique, il veut mourir sur scène. Il vit par et pour la politique. Il est de plus en plus légitime de penser qu’il refuse d’être remplacé et qu’il fait tout pour être candidat en 2027. Pendant longtemps, il a profité du fait qu’il n’existait pas d’alternative à gauche à sa candidature, personne capable d’offrir un autre débouché politique que le sien. D’où son score en 2017 et en 2022. Mais François Ruffin est arrivé et s’installe petit à petit comme l’alternative à Mélenchon, comme son remplaçant.
Avec le Nouveau Front populaire, le Parti socialiste comprend qu’il ne saurait faire sans ses sociaux-démocrates.
François Ruffin justement a évoqué les législatives comme « une primaire de la gauche ». Est-il entré dans une confrontation avec Jean-Luc Mélenchon ?
La confrontation entre les deux avait commencé quand Jean-Luc Mélenchon avait posté un tweet disant : « François est prêt. » C’était une façon de le jeter trop tôt dans le ravin de la présidentielle et de l’éliminer. À ce moment-là, Ruffin comprend qu’il fallait faire sans Mélenchon.
Malgré tout, la gauche a réussi à s’unir. Alors que la Nupes était très favorable à LFI, le Parti socialiste a réussi à récupérer plusieurs circonscriptions. Les cartes sont-elles en train d’être rebattues à gauche ?
Oui, un nouveau rapport de force est en train de s’installer. Le PS estime qu’il pourrait remporter entre 50 et 90 sièges (contre 31 actuellement). Si Les Écologistes sont tombés dans les bras de LFI eux, c’est par peur de perdre des circonscriptions. On a donc vu les communistes, le PS et Place publique résister aux Insoumis parce qu’ils estiment qu’une fenêtre s’ouvre pour reprendre en main la gauche. Ils ne veulent plus être ceux qui font barrage dans un duel entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
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Pourquoi le PS investit d’anciens dissidents ? Cela rentre-t-il dans la réflexion de faire évoluer le centre de gravité de l’alliance ?
Lors de l’accord de la Nupes en 2022, quand il s’est allié à LFI, le PS avait le couteau sous la gorge après son très mauvais score à la présidentielle. Avec le Nouveau Front populaire, le Parti socialiste comprend qu’il ne saurait faire sans ses sociaux-démocrates s’il veut incarner une alternative à Mélenchon, battre Macron et l’extrême droite. On assiste donc à un rééquilibrage où cohabitent une ligne sociale-démocrate et une ligne plus radicale. Il faut se rappeler que le Front populaire de 1936 s’est construit non pas sur sa base radicale qu’était le PCF mais sur sa base centrale, les Radicaux. C’est cela qu’ils espèrent refaire.
Comment interpréter la candidature de François Hollande dans ce contexte ?
Il ne faut pas sous-estimer le fait que la menace de l’extrême droite fait prendre des risques aux personnalités politiques. Cela peut expliquer l’accord de Raphaël Glucksmann ou le retour de François Hollande. Il n’est pas anodin qu’un ancien président de la République accepte de reprendre son cartable de député. À gauche, qu’importe l’étiquette, l’engagement contre l’extrême droite a toujours été un moteur. Mais si François Hollande s’engage c’est aussi pour empêcher le Parti socialiste de retourner dans les bras de Jean-Luc Mélenchon. À l’inverse, les Insoumis acceptent le retour des sociaux-démocrates pour les empêcher de retourner trop facilement dans les bras de la macronie.
Si le Nouveau Front populaire obtenait une majorité à l’Assemblée, qui pourrait être Premier ministre ?
Cette conversation est piégeuse pour la gauche. Face à l’excès d’incarnation du RN avec Jordan Bardella ou de la macronie avec Gabriel Attal, la stratégie de dire qu’on avance groupé peut être intéressante. Jean-Luc Mélenchon a dit lui-même qu’il ne voulait pas être un obstacle. Mais en même temps, il est compliqué de faire une campagne en ne sachant pas qui on va mettre à Matignon. Les cinq noms qui reviennent le plus sont ceux de Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Boris Vallaud, Clémentine Autain et Valérie Rabault. Quoi qu’il en soit, ce qui va se passer à partir du 8 juillet sera une nouvelle étape dans la recomposition de la gauche.
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Publish date : 2024-06-19 17:49:06
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