Dans un entretien exclusif accordé à Midi Libre ce mardi 18 juin, le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, décrypte le programme des partis extrêmes, le RN et le Nouveau Front populaire, et pointe les coûts excessifs de leur application.
Comment le ministre de l’Économie, que vous êtes, analyse les programmes économiques proposés par le RN et le Nouveau Front populaire, dans le cadre des élections législatives ?
J’observe cela avec effarement. Ces programmes nient la réalité économique et financière du pays. Vous avez, du côté de l’extrême gauche, des centaines de milliards d’euros de dépenses supplémentaires, qui vont conduire inéluctablement à une augmentation massive des impôts. Et, du côté du Rassemblement national, vous avez un reniement perpétuel, puisque toutes les propositions du RN sont en train de disparaître les unes après les autres et de fondre comme neige au soleil.
Je rappelle que la proposition phare du Rassemblement national, c’était la baisse de la TVA, sur les produits alimentaires, sur l’électricité, sur le gaz, sur l’essence. Au bout du compte, il ne reste plus rien, puisque M.Bardella a annoncé dans Le Parisien ce matin (ce mardi, NDLR), qu’il ne ferait pas de baisse de TVA. Donc, ma question est simple : qu’est-ce que le RN compte faire pour le pouvoir d’achat des Français ? J’ai peur que la réponse soit « rien ». La première attente de nos compatriotes, c’est le pouvoir d’achat. Le premier reniement du Rassemblement national, c’est le pouvoir d’achat.
M.Bardella a annoncé que les premières mesures qu’il prendrait, s’il était Premier ministre, dès cet été, portaient justement sur le pouvoir d’achat. Avec, un deuxième temps, à l’automne, la réforme des retraites.
On a un peu de mal à comprendre la position du Rassemblement national. Elle change de jour en jour et elle change de responsable du RN en responsable du RN. Je n’ai toujours pas très bien compris ce que, finalement, ils allaient faire sur la retraite. C’est tout de même un enjeu à 17 milliards d’euros et surtout un enjeu qui concerne directement les retraités, les retraités les plus modestes et les gens qui travaillent. Avoir autant de flou sur un sujet aussi majeur, c’est tout de même sacrément préoccupant.
En même temps, il explique qu’il veut rétablir les comptes publics tout en supprimant la réforme des retraites, c’est-à-dire tout en renonçant à 17 milliards d’euros de recettes pour l’État. Tout cela est totalement incohérent et c’est cette incohérence qui suscite ma profonde préoccupation et mon effarement. On ne sait plus où on habite, ni avec le Rassemblement national, ni avec le Nouveau Front populaire.
Le Premier ministre a parlé de nouvelles mesures économiques. Pourquoi ne pas les avoir appliquées plus tôt ?
Nous, notre ligne est claire, et c’est, je pense, la grande force de la majorité. Nous voulons que le travail paye. C’est le cœur de notre politique pour le pouvoir d’achat, que le travail paye. Nous créons du travail, 2 millions d’emplois, nous avons commencé à faire en sorte qu’il paye plus : la prime Macron et la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous voulons aller plus loin, avec une prime Macron, dont le seuil serait relevé à 10 000 euros par an, et avec un allègement de charges, qui doit être revu de A à Z, pour permettre de recréer de la dynamique salariale et sortir les salariés du niveau du SMIC.
Quand M.Bardella dit qu’il va faire un audit des comptes publics et qu’à partir de là, il prendra les mesures économiques nécessaires, cela permettrait-il d’apporter de la clarté ?
Mais la clarté est déjà là. Toutes les informations sont sur la table. Que M.Bardella ne perde pas de temps à proposer un audit, il est déjà là. Il est fait par la commission des finances de l’Assemblée nationale, où siège déjà le Rassemblement national. Tout est sur la table, tout est connu et toute personne responsable sait qu’aujourd’hui, la seule chose qui compte, c’est de rétablir nos comptes publics, de faire les économies nécessaires pour redresser les comptes et nous permettre de faire face à toute nouvelle crise ou toute nouvelle difficulté. Cela permettrait d’investir dans l’avenir, notamment dans les nouvelles technologies ou la décarbonation de notre économie.
Je voudrais aussi rappeler par ailleurs que tous ces programmes sont extrêmement coûteux. De l’extrême droite comme de l’extrême gauche. Ils auraient une conséquence immédiate pour nos compatriotes, pour les ménages, pour les PME, les TPE, les artisans, les indépendants. C’est l’augmentation des taux d’intérêt. Dès aujourd’hui, il est plus cher pour les ménages, comme pour les entreprises, d’emprunter. Pourquoi ? Parce que les marchés sont inquiets des propositions de l’extrême gauche et de l’extrême droite. On ne peut pas dire qu’on veut défendre le pouvoir d’achat et présenter des programmes qui font flamber les taux d’intérêt français et qui donc renchérissent le coût de l’emprunt pour un ménage, quand il veut acheter sa maison ou son appartement, et le coût de l’emprunt pour une PME ou une TPE, quand elle veut investir. C’est totalement incohérent, c’est dangereux pour l’avenir économique du pays et c’est dangereux pour le pouvoir d’achat des ménages.
M.Bardella dit qu’il veut négocier avec Bruxelles une baisse de 2 milliards d’euros de contribution de la France au budget de l’Union européenne, mais aussi les règles autour du prix de l’électricité. Cela peut-il être une solution ?
On aura du mal à négocier avec l’Union européenne si on ne respecte déjà pas les règles de l’Union européenne. Or, toutes les propositions du RN ont un point commun : elles ne les respectent pas, ni budgétaires, puisqu’elles accroissent le déficit de la France, ni réglementaires, puisque chacun sait que ces baisses de taux de TVA ne sont pas réglementaires au regard du droit européen. On ne peut donc pas à la fois demander quelque chose à l’Europe et ne pas respecter ses règles.
Côté Nouveau Front Populaire, il y a des propositions comme blocage des prix de l’énergie, des prix des biens de première nécessité, revalorisation du SMIC, des aides sociales, hausse des salaires des fonctionnaires à 1 600 euros nets, retraite à 60 ans. Tout cela peut-il être crédible économiquement ?
Tout cela est absurde, incohérent et dangereux. On ne peut pas proposer à la fois le blocage des prix alimentaires et l’augmentation du revenu des agriculteurs. Franchement, c’est se moquer du monde. De plus, dire qu’on va augmenter le pouvoir d’achat des gens, tout en promettant de revenir à la retraite à 60 ans, c’est un coût de 1 800 euros par an, pour chaque citoyen français. Il faudra bien que quelqu’un paye. Et ceux qui vont payer, ce sont, comme toujours, les plus modestes, dont les pensions baisseront, et c’est l’ensemble des contribuables, dont les impôts augmenteront.
On ne peut pas promettre l’augmentation brutale du SMIC de 200 euros nets, en le passant de 1 400 à 1 600 euros nets, sans savoir que cela entraînera des licenciements massifs de la part d’entreprises, qui ne pourront pas payer ces salaires-là. Ce sera le retour au cauchemar du chômage de masse, dont on est sorti depuis maintenant plusieurs années. Il faut maintenant mettre les points sur les « i » : le programme du Front Populaire n’est pas un programme populaire, c’est un programme d’appauvrissement généralisé de la population française.
Pourtant, les élections européennes ont montré combien les électeurs, et notamment de plus en plus de chefs d’entreprise, sont sensibles aux propositions du RN.
Je fais confiance aux chefs d’entreprise pour prendre le temps de lire les projets et dénoncer les incohérences et les impacts du programme du Rassemblement national. Le retour à la retraite à 62 ans, cela veut dire l’appauvrissement de tous les Français. Le renoncement à notre politique fiscale, que nous avons conduite depuis 2017, c’est renoncer à la compétitivité des entreprises, à leur capacité à créer des emplois et de la prospérité partout sur le territoire. Je note que l’Afep, la CPME, l’U2P, le Medef (toutes les organisations patronales, NDLR), ont unanimement dit que ces propositions étaient dangereuses. Je salue cette mobilisation du monde économique, parce qu’il ne faudra pas pleurer le 8 juillet, après les élections, quand on s’apercevra que ce programme du Rassemblement national est tout simplement une impasse pour la France.
Rétablir l’ISF, comme le souhaite le Nouveau Front Populaire, rapporterait-il aux ressources fiscales de l’État ?
Les dépenses proposées par le Front dit populaire c’est, en réalité, délétère. C’est plus de 300 milliards d’euros. L’ISF rapporte à peine 4 milliards d’euros. Vous voyez bien que le compte n’y est pas et que, par ailleurs, à nouveau la France se singulariserait, en Europe, par la taxation des plus riches, alors même que, je le rappelle, l’impôt aujourd’hui est très concentré. Sur tous ceux qui travaillent et tous ceux qui ont des revenus moyens ou élevés. En effet, 70 % de l’impôt sur le revenu est payé par 10 % des contribuables. Nous avons instauré une taxation supplémentaire en 2011. Elle devait être transitoire, elle a été définitive. Je ne pense pas que la solution se trouve dans davantage de taxations. C’est exactement le contraire.
Une question politique pour terminer : la dissolution était-elle nécessaire ?
La dissolution, c’est la prérogative du Président de la République. Il l’a exercée. C’est la décision du seul Président de la République.
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Publish date : 2024-06-18 16:01:00
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