Il y a de nombreuses raisons d’être critique de la participation de LFI à l’alliance de la gauche. Mais pour le journaliste Guillaume Duval, l’antisémitisme n’est pas la première.
De nombreuses raisons plaideraient contre une alliance de toute la gauche incluant la France Insoumise. Mais cette force politique a su gagner la confiance d’une part significative de la jeunesse et des habitants des quartiers populaires et son apport est indispensable pour que la gauche puisse figurer au second tour face au Rassemblement national dans le contexte imposé par le mode de scrutin majoritaire. Face au risque mortel encouru par le pays avec la victoire potentielle de l’extrême droite, ces divergences bien réelles deviennent nécessairement secondaires pour l’instant.
Quand on est de gauche et démocrate, les raisons ne manquent pas en effet d’être très critiques à l’égard de la France Insoumise et de Jean-Luc Mélenchon. On peut légitimement leur reprocher de mettre en avant des propositions économiques irréalistes, de défendre une conception dangereuse, très verticale et « sauveur suprême », du changement politique indispensable, d’entretenir des rapports pour le moins problématiques à la démocratie, notamment sur le plan interne, de soutenir des régimes peu recommandables comme le Venezuela de Maduro ou la Syrie d’Assad et bien sûr de faire preuve d’une complaisance coupable à l’égard de Vladimir Poutine…
Mais, aux yeux de la plupart des commentateurs, ce ne sont pas tant ces sujets-là qui rendraient aujourd’hui l’alliance électorale entre les socialistes, les Verts et LFI impossible, indigne, déshonorante… et toute la litanie des superlatifs dépréciatifs possibles et imaginables… Le péché capital de LFI serait aujourd’hui son supposé antisémitisme, aggravé notamment depuis les évènements du 7 octobre dernier.
En refusant de qualifier les actes du Hamas d’attaques terroristes, le communiqué officiel de la France Insoumise qui avait suivi le 7 octobre était honteux et cela a été une erreur majeure de la part de LFI de ne pas avoir eu le courage de le reconnaître depuis. Elle vient cependant de finir enfin par accepter de le faire dans le cadre de la négociation du programme du Nouveau Front Populaire. Pour autant, la tendance croissante dans le débat public français, sous l’impulsion de la bollorisation de la scène médiatique, à assimiler toute forme de critique à l’égard d’Israël et de son gouvernement à de l’antisémitisme relève d’un amalgame insupportable.
Ce qui a été surtout choquant depuis huit mois de la part de la plupart des forces politiques françaises cela a été d’abord l’absence d’empathie à l’égard des victimes palestiniennes de Gaza et la faiblesse de leur opposition à l’action manifestement contraire au droit international menée par le gouvernement d’extrême droite raciste et suprémaciste de Benjamin Netanyahu. Dans cette affaire, le double langage a été patent et le contraste saisissant entre un appel constant aux grands principes du droit international au sujet de l’Ukraine et le silence et la faiblesse de leur réaction vis-à-vis de sa violation systématique à Gaza et en Cisjordanie. Ce double langage a beaucoup affaibli la position de la France et de l’Europe dans le monde en donnant du grain à moudre à la propagande de Vladimir Poutine. Il a contribué à dresser les peuples du « Sud Global » contre nous, et pas seulement dans les pays musulmans, mais aussi à aggraver les divisions au sein de nos propres sociétés, en particulier au sein de la jeunesse.
Massivement discriminés
Dans ce contexte tendu, il ne fait évidemment aucun doute que l’antisémitisme a été ravivé en France depuis le 7 octobre. Cette plaie doit être combattue sans aucune faiblesse et les actes antisémites qui se sont multipliés, dont une partie est visiblement imputable à des manipulations poutiniennes, doivent être condamnés sans ambigüité et leurs auteurs poursuivis et jugés sans délai. Mais il n’y a et il n’y aura aucune difficulté à ce que l’ensemble de la gauche, y compris LFI, l’affirme ensemble très clairement. C’est d’ailleurs ce qu’ils viennent de faire dans le cadre de la rédaction du programme du Nouveau Front Populaire.
L’antisémitisme n’est cependant pas la seule forme de racisme. Et aujourd’hui ce ne sont pas seulement les juifs et les juives de France qui doivent vivre avec souvent la peur au ventre. C’est aussi le cas de beaucoup de celles et ceux qui ont la peau trop brune ou un nom qui montre qu’ils et elles ne sont pas français depuis 15 générations. Ce sont surtout ces derniers qui sont massivement discriminés dans l’emploi, le logement etc… et font l’objet de constants contrôles au faciès par les forces de l’ordre. Et ce sont surtout eux qui ont à redouter le plus l’arrivée au pouvoir des racistes et des xénophobes du Rassemblement National.
Mais la plupart de celles et ceux qui dénoncent bruyamment l’antisémitisme supposé de LFI restent généralement très discrets sur ces questions-là, y compris quand ils sont de gauche… Dans ces conditions, il n’est guère surprenant non plus que LFI récolte beaucoup plus de voix qu’eux dans les quartiers populaires où se concentrent ces personnes massivement discriminées…
Bref, parmi les nombreux sujets qui pourraient pousser à douter de la pertinence d’une alliance à gauche avec la FI, il n’y a guère de raisons de considérer que l’antisémitisme puisse être réellement le premier. Si on aborde les questions de politique étrangère, l’attitude de LFI à l’égard de Vladimir Poutine est évidemment bien plus problématique que son action au sujet de la guerre à Gaza. Mais sur ce point le programme du Nouveau Front Populaire est très clair pour réaffirmer le soutien, y compris militaire, de la France à l’Ukraine et un appui total au respect de son intégrité territoriale.
Purge
En refusant de reconduire les députés sortants Raquel Garrido, Alexis Corbière, Danièle Simonnet et Hendrik Davi, la direction de LFI a rappelé ces derniers jours une autre des raisons majeures de douter de la pertinence d’une alliance avec cette force politique : son rapport très problématique à la démocratie. Le fonctionnement hypercentralisé et autoritaire de ce mouvement se situe en effet à l’exact opposé de ce que la gauche, et LFI elle-même d’ailleurs, défendent pour le pays en critiquant le bonapartisme d’Emmanuel Macron et les institutions de la cinquième République.
Ce constat n’est pas nouveau mais l’affaire n’en est pas moins sérieuse. En menant cette purge contraire à l’esprit de l’accord conclu, basé notamment sur la reconduction des élus sortants, LFI prend le risque d’affaiblir l’alliance nouvelle-née au moment même où celle-ci a besoin de convaincre et d’agréger. Les sortants écartés ont décidé de se présenter malgré tout dans leurs circonscriptions. Il faudra bien entendu les soutenir face aux candidats officiels de LFI.
Pour autant LFI n’est cependant — heureusement – pas (du tout) aux portes du pouvoir en France, avec moins de 10 % des électeurs qui la suivent. Elle est minoritaire en nombre de candidats au sein du Nouveau Front Populaire et le sera très probablement aussi au sein de ses élus le 7 juillet. Et s’il y avait encore un doute à ce sujet après les élections du 9 juin dernier, elle vient de perdre avec cette purge toute crédibilité pour revendiquer de conduire le Nouveau Front Populaire, notamment à Matignon s’il devait être victorieux.
Mais face au danger mortel, et bien réel lui, que représente la victoire potentielle de l’extrême droite, ces divergences, pour importantes qu’elles soient, doivent passer au second plan pour l’instant.
C’est d’ailleurs la logique qui avait déjà prévalu lors du Front Populaire dans les années 1930. On entend beaucoup dire aujourd’hui que « Leon Blum doit se retourner dans sa tombe ». Celles et ceux qui répètent en boucle ce mantra sur les plateaux télés devraient se rappeler que, pour faire barrage au fascisme, Leon Blum et les socialistes mais aussi à l’époque les radicaux, en gros l’équivalent des macronistes aujourd’hui, n’avaient pas hésiter à s’allier à l’époque à des staliniens purs et durs, prenant leurs ordres à Moscou et justifiant les procès de Moscou et le goulag… A côté de Maurice Thorez, Jean-Luc Mélenchon est vraiment un enfant de choeur en matière de rapport problématique à la démocratie et aux libertés. Comme le disait Paul Eluard, « Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat ». Face au RN, pas une voix démocrate ne doit manquer au Nouveau Front Populaire ni le 30 juin ni le 7 Juillet prochains. ..
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Publish date : 2024-06-17 06:30:13
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