C’est un nom lancé par le député sortant LFI/Picardie debout François Ruffin dès l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier : le « Front populaire ». Toute la gauche française, du Parti socialiste au NPA, en passant par le Parti communiste, les Écologistes ou La France Insoumise, s’est ralliée à cette bannière.
Avec le nom de « Nouveau Front populaire », cette coalition renvoie à l’héritage de la Gauche en France. Mais à quoi renvoie exactement ce nom chargé d’histoire ? Réponse avec l’historien Jean Vigreux, auteur de Le Front Populaire 1934-1938, aux éditions Que Sais-Je.
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Dans quel contexte historique naît le Front populaire ?
Jean Vigreux. Le Front populaire s’inscrit dans un moment court : 1934-1938. Il faut bien comprendre la logique et les enjeux qui se mettent en place dans ce qui va se jouer et le replacer dans le contexte de la crise économique de 1929. La France est touchée tardivement, en 1931-1932, mais connaît de nombreuses faillites d’entreprises, la plus connue étant celle des usines Citroën. C’est une crise économique, sociale, avec près de 900 000 chômeurs…
L’autre aspect qu’il faut bien considérer est que, à ce même moment, Hitler accède au pouvoir, et l’onde de choc de l’arrivée d’Hitler au pouvoir permet à certains de demander des solutions de type autoritaire, de type fasciste. Et c’est le développement aussi des ligues d’extrême droite en France qui rejettent le chômage, tout ce qui ne va pas en fait, sur les étrangers. La xénophobie est très forte, et il y a un antisémitisme important du fait que la France accueille les premiers réfugiés exilés d’Europe centrale, orientale et d’Allemagne entre 1933 et 1934.
Dans ce contexte, plusieurs affaires, comme l’affaire Stavisky, font que les ligues d’extrême droite vont appeler à une manifestation, le 6 février 1934, et vont marcher sur le symbole de la République qu’est le Palais Bourbon, à savoir la Chambre des députés.
Cette marche sur le Palais Bourbon va agir comme un “coup de fouet” qui va permettre l’union des Gauches en un “Front populaire”.
En juillet 1936, les ligues d’extrême droite se réunissent sur les Champs Elysées. © Getty – Keystone-France
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Ces manifestations lancées par les ligues d’extrême droite, notamment l’Action française et la Croix de Feu, contre les institutions de la IIIe République, vont avoir des conséquences sanglantes : 19 morts et plus de 1 000 blessés dès le premier soir. Quelle est la réaction politique ?
Cette marche sur le Palais Bourbon est perçue par les gauches comme un coup de force fasciste, rappelant la Marche sur Rome ou ce que les SA (les milices autonomes d’Hitler, ndlr) ont fait en Allemagne en 1932 et 1933. Du point de vue historique, on sait bien aujourd’hui que ce n’était pas un coup de force fasciste. Mais c’est l’interprétation qui en est faite par les gauches qui, jusqu’alors, étaient désunies !
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Au mois d’octobre, 1936, des représentants du PCF appellent à la création d’un “large front populaire”. Quel est l’état des forces, à gauche, qui vont composer ce Front populaire ?
Il ne faut pas oublier que le parti radical-socialiste gouvernait au centre comme parti pivot de la IIIe République, tantôt au centre gauche, tantôt au centre droit. La SFIO et la CFTC, le jeune Parti Communiste, sont des frères ennemis depuis le congrès de Tours en 1920. Et avec, en plus, les enjeux de la ligne classe contre classe de l’Internationale communiste qui dénonçait les sociaux traîtres et les socialistes qui eux dénonçaient les mousquetaires. Les forces de gauche sont divisées.
Mais voyant cette poussée des ligues, du nationalisme, de la xénophobie, des enjeux de repli identitaire et nationaliste, ils en appellent à défendre la République. Et c’est véritablement la riposte au 6 février 1934 qui se joue dans le pays. C’est la création du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, qui apparaît en mars 1934, et ensuite l’émergence des comités de rassemblement populaire, et l’unification avec la Ligue des droits de l’homme, avec les syndicats de la CGT et la CGT-U (qui vont se réunifier en mars 1936 dans ce processus global d’unification) et avec plus d’une centaine d’associations. On pense souvent à des partis politiques, mais il faut penser aussi à l’éducation populaire, au sport ouvrier, au théâtre, bref, à la culture !
En 1936, des ouvriers posent devant le chantier où ils ont fait grève. © Getty – Keystone-France
Tout cela amène dans un premier temps à une alliance entre la SFIO, donc le Parti socialiste, et la SFIC, le Parti communiste en juillet 1934. À l’automne, ils sont rejoints par les radicaux socialistes. Puis, en 1935, ils commencent à mener des campagnes communes pour les municipales, pour les cantonales.
Tout cela culmine le 14 juillet 1935 : le « Front populaire » est fondé…
Oui, partout ils appellent à manifester pour un rassemblement populaire ! Dans cette fête nationale importante, le 14 juillet, plusieurs orateurs en appellent à la dissolution des ligues factieuses. Ils reprennent toute une symbolique, toute une gestuelle, liée à la Révolution française. C’est, en quelque sorte, une réponse à la patrie en danger. Et en même temps, ce n’est pas seulement un barrage, c’est aussi proposer des solutions à la crise économique et sociale.
On a beaucoup entendu parler de Léon Blum, figure du Front populaire. Selon Emmanuel Macron, ce dernier doit “se retourner dans sa tombe”. Quel rôle a-t-il dans le « Front populaire » ?
Ce qui fait que Léon Blum a un rôle important, c’est qu’il est le le député du groupe parlementaire le plus nombreux puisque, pour la première fois en 1936, les socialistes dépassent les radicaux. C’est aussi la figure la plus abhorrée de l’extrême droite : en février 1936, il y a un attentat contre sa personne par des camelots du roi. Il va incarner, de fait, l’union et les espoirs du Front populaire.
Léon Blum, en janvier 1936, lors d’une manifestation en faveur de la paix. © Getty – Bettmann
Pourquoi le nom de « Front populaire » a-t-il encore aujourd’hui une telle aura à gauche ?
Le Front populaire est un événement mythique dans les gauches. C’est l’union ! Les gauches, il ne faut pas l’oublier, ont été longtemps divisées, au XXᵉ et XXIᵉ siècle. Il y a bien eu quelques moments d’union et d’unité, qui renvoient à des victoires, à des conquêtes sociales. Mais de ce point de vue là, le Front populaire, au-delà des élections et du politique, reste un mouvement social sans précédent !
[Après les élections législatives], il y a des grèves importantes, plus de 2 millions de grévistes. Ces grèves, avec occupations d’usines, débouchent très vite – puisque Léon Blum est investi le 6 juin 1936 – sur les accords Matignon. C’est fondamental, parce que pour la première fois, l’État met à la même table les représentants du patronat et les représentants des ouvriers. Léon Blum va s’engager à légiférer sur les 40 heures, sur les conventions collectives, sur les délégués ouvriers et ouvrières, sur les congés payés… Finalement, la démocratie libérale s’élargit à la démocratie sociale. C’est pour cela que c’est une référence importante dans les gauches françaises, encore de nos jours.
En tant qu’historien du Front populaire, trouvez-vous que le parallèle fait, aujourd’hui, entre cette ancienne coalition et le Nouveau Front Populaire, fait sens ?
Le nom est finalement assez légitime. Il est dans une logique d’alliance large, et pas uniquement d’alliance politique : des associations et des syndicats y répondent. Il ne s’agit pas uniquement d’un effet de nostalgie, c’est plutôt un réflexe face à ce qui est perçu comme un danger imminent : l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
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Publish date : 2024-06-15 00:07:08
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