Gouverner par décret, la stratégie difficilement réalisable du Nouveau Front populaire

Dès la victoire du NFP aux élections législatives annoncée, Jean-Luc Mélenchon s

Gouverner sans vote, par décret. Telle est la stratégie qu’a défendue Jean-Luc Mélenchon à la suite de la victoire du Nouveau Front populaire (NFP), dimanche 7 juillet. « Dès cet été, les mesures prévues par ce programme (du NFP, N.D.L.R) peuvent être prises par décret, sans vote. L’abrogation de la retraite à 64 ans, le blocage des prix, l’augmentation du Smic… », a énuméré le chef de file de la France insoumise (LFI). En l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale, et donc en probable incapacité à faire voter des lois, le NFP entend appliquer son programme par décret, une prérogative du premier ministre. Une volonté politique qui pourrait cependant se heurter au cadre juridique. Car Bertrand-Léo Combrade, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Poitiers, rappelle qu’en réalité, la « marge de manœuvre d’une gouvernance par décret est très limitée ».

Un premier ministre loin d’être désigné

Tout d’abord, pour que le NFP puisse espérer gouverner par décret, il faudrait qu’un membre de son camp soit nommé premier ministre. Une condition qui pouvait s’apparenter à une formalité au lendemain de l’annonce des résultats du second tour des législatives, mais qui semble se compliquer. Une semaine après la victoire de la gauche, aucune proposition de chef de gouvernement officielle et coordonnée de la part du NFP n’a été formulée. Dans le même temps, Emmanuel Macron semble tout faire pour éviter de nommer un membre de la coalition arrivée en tête aux élections législatives à la tête du gouvernement.

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Autre obstacle aux desseins du NFP relevant du cadre général de la loi : l’étroit champ d’application des décrets. En effet, l’article 34 de la Constitution dispose que la loi, elle, s’applique sur des sujets tels que les droits civiques, la nationalité, le Code pénal, la sécurité sociale ou encore les lois de financement. En somme, les plus importants. Les décrets, eux, n’ont un pouvoir d’action que sur ce qui ne relève pas de la loi, précise l’article 37. Des prérogatives limitées, donc.

Un décret ne peut abroger une loi

En droit, la règle du parallélisme des compétences prévoit que seule une loi peut en abroger une autre. Ainsi, « la loi sur réforme des retraites, ne pourrait être abrogée par un décret », résume Pascal Caillaud, chargé de recherche au CNRS en droit social à Nantes université.

Toutefois, le NFP entend jouer sur les décrets d’application qui découlent de cette loi. Comme celui sur le report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, en en signant un nouveau qui abrogerait ce dernier. Mais là encore, le spécialiste décrypte qu’« un décret ne peut dire le contraire du contenu de la loi ». En l’occurrence, signer un décret qui abrogerait le report de l’âge légal alors que la loi le prévoit, « serait annulé par le Conseil d’Etat si un contentieux était déposé, notamment par la majorité présidentielle ».

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De surcroît, le blocage des prix sur les produits de première nécessité paraît lui aussi impossible. Bien que celui-ci soit faisable par décret, Bertrand-Léo Combrade rappelle que le Code de commerce envisage que cette mesure puisse être enclenchée « soit en situation de monopole ou de difficulté d’approvisionnement ou alors en situation de crise avec une hausse ou une baisse excessive des prix ». Or, aucune de ces hypothèses ne paraît valide aujourd’hui. En juin dernier, l’Insee rapportait même « le ralentissement sur un an des prix de l’alimentation et de l’énergie ».

Emmanuel Macron pourrait s’opposer aux décrets

Parmi les mesures phares prévues par le programme du NFP : la revalorisation du SMIC à 1 600 euros nets par mois. Une proposition pouvant paraître à première vue réalisable cette fois-ci, le salaire minimum étant revalorisé chaque année par décret.

Pour autant, Bertrand-Léo Combrade analyse que le président pourrait s’y opposer, en vertu de l’article 13 de la Constitution. Car celui-ci dispose que le chef de l’Etat « signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres ». Il pourrait ainsi demander que le décret visant à augmenter le Smic soit mis à l’ordre du jour en conseil des ministres. Sa signature serait alors exigée, en plus de celle du premier ministre, d’ordinaire suffisante. Emmanuel Macron n’aurait donc plus qu’à refuser de signer la revalorisation.

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Le président pourrait ainsi user de cette « captation du pouvoir », légale selon le Conseil d’Etat, pour s’opposer à tout décret ne lui convenant pas. Il en irait donc de même pour les moratoires sur les méga-bassines, sur les plans de gestion de l’eau ou encore sur les grandes infrastructures autoroutières, généralise le constitutionnaliste.

Face à ces obstacles juridiques, en cas de constitution d’un gouvernement NFP, le premier ministre issu de ses rangs pourrait se résoudre à user de l’article 49.3. Mais cette stratégie, prisée par la majorité présidentielle ces deux dernières années en raison de sa majorité relative, ne fait pas l’unanimité à gauche. Dans une interview accordée au Nouvel Obs ce mercredi, Raphaël Glucksmann a estimé que son groupe ne « pourra gouverner par des décrets et des 49.3 ». Avant d’ajouter que cela constituerait « une faute démocratique et une erreur stratégique totale ».

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Publish date : 2024-07-12 15:46:00

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