Selon certains à l’extrême droite, le principe de «régulation carcérale» conduirait à la libération de 20 % des prisonniers en cas de victoire de l’union de la gauche le 7 juin. Un principe mal compris et un chiffre sorti de nulle part.
C’est l’élément de langage qui monte du côté du RN. Sur les plateaux ou sur les réseaux, les représentants de l’extrême droite l’assurent : en cas de victoire du Nouveau Front populaire, des milliers de détenus seraient immédiatement libérés. Ce bruit de fond ne date pas d’hier. Au micro d’Europe 1, Alexandre Avril, maire LR-RN de Salbris déclarait ainsi son angoisse à Cyril Hanouna, dans son émission du 19 juin : «Je n’ai pas dormi de la nuit après avoir lu le programme du Nouveau Front populaire.» Et de s’alarmer : «20 % des détenus peuvent être libérés dans les prochaines semaines, avec ce que le programme appelle la régulation carcérale.»
Ce chiffre de 20 % repose sur l’analyse du juriste Pierre-Marie Sève, directeur du think tank Institut pour la justice, classé très à droite. Dans une publication sur Twitter visionnée 350 000 fois et relayé par le blog d’extrême droite Fdesouche, le juriste affirme que le Nouveau Front populaire souhaite appliquer «la régulation carcérale». Selon lui, il s’agit du principe selon lequel «si un juge veut mettre un délinquant en prison, il doit en faire sortir un autre».
Du fait de ce principe, il affirme que «20 % des détenus de France seraient libérés en quelques semaines». On peut deviner le calcul. Avec une population carcérale de 76 766 personnes détenues au 1er mars 2024, on parviendrait à 15 353 prisonniers qui devraient être libérés, si 20 % d’entre eux devaient l’être selon le raisonnement du juriste. Chiffre qu’il arrondit à 16 000 prisonniers dans la suite de son fil Twitter.
Mais ce chiffre n’apparaît nulle part dans le programme du Nouveau Front populaire, pas plus que le principe de la «régulation carcérale».
Des peines alternatives à la prison
Dans le chapitre dédié à la «Sûreté, Sécurité et Justice», le programme du Nouveau Front populaire prévoit plus largement «d’agir contre la surpopulation carcérale, d’assurer des conditions dignes de détention et de donner les moyens à l’administration pénitentiaire et judiciaire de réaliser sa mission en toute sécurité». Aucune mention non plus de la régulation carcérale dans le programme de la Nupes en 2022.
«Je ne sais pas d’où sort ce chiffre», s’étonne auprès de CheckNews Aminata Niakate, porte-parole d’Europe Ecologie-les Verts (EELV). «Il ne s’agit pas de libérer des détenus de manière fantasmée mais plutôt de proposer, en amont de la détention, des peines alternatives à la prison et pendant la détention, des aménagements pour les personnes prêtes à être réinsérées», explique-t-elle.
Même si la libération de prisonniers n’apparaît pas dans le programme du Nouveau Front populaire, il ne s’agit pas d’une perspective repoussoir pour Aminata Niakate qui cite l’exemple de la diminution de plus de 12 000 détenus pendant la crise sanitaire de 2020. Par voie d’ordonnance et du fait du ralentissement de l’activité des juridictions, un taux d’occupation des cellules de 98 % avait été atteint en mai 2020, contre 119 % trois mois plus tôt. Il atteint 125 % aujourd’hui. La diminution avait été saluée par l’ensemble de l’écosystème pénitentiaire : syndicats de surveillants, ceux de directeurs d’établissement, les associations de magistrats.
Condamnation par la CEDH
De fait, la lutte contre la surpopulation carcérale fait consensus au sein de secteur pénitentiaire et de la justice. La France a été condamnée à ce sujet deux fois par la Cour Européenne des droits de l’Homme, en 2020 et en 2023.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme a rendu un avis favorable à un mécanisme de régulation carcérale contraignant. La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté a demandé à plusieurs reprises la mise en place d’une régulation carcérale. La Cour des Comptes a rendu en 2023 un rapport favorable au développement de la régulation carcérale qu’elle définit comme «différents mécanismes visant à limiter le nombre des détenus incarcérés afin de ne pas excéder les capacités d’accueil des établissements pénitentiaires. Cette notion, plus large que celle de numerus clausus, peut comporter des mécanismes intervenant à l’entrée comme à la sortie de détention».
Le principe d’une régulation carcérale a ainsi été défendu par des députés de la Nupes jusqu’à des élus de la majorité, comme lors d’une mission d’information sur le sujet, portée par Elsa Faucillon (PCF) et Caroline Abadie (Renaissance). La régulation carcérale, sous des modalités différentes, a même été défendue par le garde des sceaux Eric Dupond-Moretti.
Le principe ne choque donc pas la porte-parole d’EELV. «Le tout répressif n’a jamais fonctionné, les gouvernements successifs s’entêtent dans cette direction, nous voulons changer d’approche.» Même son de cloche pour Christian Picquet, responsable du PCF interrogé par CheckNews, pour qui «il faut réfléchir à des alternatives à la prison».
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Publish date : 2024-07-01 10:06:00
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