Par souci d’objectivité, nous nous sommes appuyés sur les programmes officiels et non pas sur les déclarations publiques qui peuvent évoluer et sont moins engageantes pour les partis.
En synthèse, le programme d’Ensemble (majorité présidentielle) traite le climat et la transition juste par pointillés, avec quelques mesures ponctuelles, mais sans vision globale et en laissant de nombreux pans d’actions totalement vides. Ainsi, sur les transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France, Ensemble propose 100 000 véhicules électriques en leasing social, mais n’évoque pas l’orientation de la construction automobile vers la fabrication de petits véhicules électriques abordables, ni les autres solutions de mobilité comme les transports en commun ou le train dont l’offre et les prix sont pourtant des sujets de préoccupation des Français.
Le Nouveau Front populaire en revanche traite la plupart des leviers à activer pour une transition écologique et juste, et ceci à toutes les échelles (locale, nationale, européenne et internationale). Par ailleurs, cette coalition propose un financement nouveau de ses propositions en faveur du climat avec le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique.
Enfin, si le mot “climat” n’apparaît pas dans le programme du Rassemblement national, ses mesures visant à poursuivre notre dépendance aux importations d’énergies fossiles auraient des impacts graves sur le changement climatique (et sur le pouvoir d’achat des Français) : l’abrogation de la fin de vente des véhicules neuf essence ou diesel en 2035 (au lieu de donner accès à des solutions de mobilité alternatives), les reculs proposés sur la rénovation énergétique des logements ou encore le coup de frein sur le développement des énergies renouvelables, obligeant au recours au charbon et au gaz fossile.
Par ailleurs, les programmes étant pour la plupart peu précis sur les politiques européennes, nous vous invitons à vous référer à notre décryptage des programmes pour les élections européennes.
Le Réseau Action Climat rappelle que la solidarité internationale doit être le fondement de toute politique efficace de lutte contre le changement climatique. A ce titre, le Rassemblement national, en faisant de la préférence nationale l’une des pierres angulaires de son programme, défend un positionnement incompatible avec les valeurs défendues par le Réseau Action Climat.
Donner accès à tous à une mobilité moins polluante
Le programme d’Ensemble se concentre seulement sur la voiture avec une proposition unique : donner accès chaque année à 100 000 véhicules électriques en leasing social. C’est une mesure intéressante, mais totalement insuffisante pour décarboner les transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France, et offrir des solutions de mobilité au plus grand nombre possible de ménages.
De son côté, le Nouveau front populaire propose un plan cohérent pour favoriser le passage de la voiture individuelle à d’autres modes de transport moins polluants (train, vélo, autopartage…), et renforcer une filière industrielle française de véhicules électriques, lorsque les alternatives à la voiture ne sont pas pertinentes. Il suggère ainsi de mettre en place un plan rail et fret, créer des services express régionaux, adopter un moratoire sur la fermeture des petites lignes et les rouvrir dès que possible. Il intègre l’enjeu du prix avec des tarifs accessibles et des mesures de gratuité ciblée (jeunes, précaires, etc) dans les transports publics et une baisse de la TVA sur la tarification des transports en commun à 5,5 % Il souhaite aussi créer un dispositif de billet unique ouvert aux jeunes permettant d’accéder à l’ensemble des trains, transports en commun ainsi qu’aux vélos et voitures en libre service du territoire français. Il propose d’engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques, dont les voitures électriques. Enfin, il annonce un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières, permettant ainsi de stopper l’appel d’air à une hausse du trafic routier.
Le Rassemblement national propose de renoncer à l’interdiction de la vente des voitures neuves à moteur thermique à l’horizon 2035, ce qui enfermerait encore plus longtemps les Français dans une dépendance aux énergies fossiles, avec des conséquences néfastes pour le climat, mais aussi pour le budget des ménages avec des prix du pétrole très volatiles. Le RN veut par ailleurs inciter les constructeurs français à développer des véhicules propres abordables. Mais il ne définit pas ce qu’est un véhicule propre. S’il s’agit d’un véhicule à essence ou diesel consommant un peu moins de carburant, ce n’est absolument pas propre.
Aucun des programmes ne traite du transport aérien alors que le trafic aérien international a explosé en 2023, engendrant une hausse de 16 % de ses émissions de gaz à effet de serre.
Engager la relocalisation et la décarbonation de l’industrie
Ensemble indique son souhait, d’ici 2027, de créer 200 000 emplois industriels et 400 usines supplémentaires en restant le pays le plus attractif d’Europe pour les investissements, mais sans préciser les moyens pour y arriver, ni évoquer la décarbonation de l’industrie.
De son côté, le Nouveau front populaire propose d’engager un plan de reconstruction industrielle pour mettre fin à la dépendance de la France et de l’Europe dans les domaines stratégiques (semi-conducteurs, médicaments, technologies de pointe, voitures électriques, panneaux solaires, etc). Il intègre les enjeux environnementaux et sociaux avec un diagnostic préalable des ressources naturelles avant implantation industrielle et un conditionnement des aides aux entreprises au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise. Le remboursement des aides serait exigé en cas de non-respect des contreparties. Enfin, le Nouveau front populaire prend en compte le rôle des salariés en proposant d’en faire de véritables acteurs de la vie économique, en leur réservant au moins un tiers des sièges dans les Conseils d’Administration et en élargissant leur droit d’intervention dans l’entreprise.
Le Rassemblement national regarde l’industrie au prisme de sa préférence nationale : s’il souhaite soutenir les relocalisations industrielles et favoriser les acteurs locaux dans la commande publique, il ne dit rien de la décarbonation des filières. Pourtant, privilégier le local ne signifie pas nécessairement privilégier le plus vertueux pour l’environnement dans le cas d’industries émettrices de gaz à effet de serre ; pour de nombreux matériaux et produits, les émissions proviennent de la production et non pas du transport. Il faudra donc conserver les normes environnementales actuelles, notamment celles prises dans le cadre du Pacte vert européen, contre lequel s’est positionné le Rassemblement National.
Aucun des programmes ne traite d’économie circulaire, ni de la place de la sobriété dans la transition de l’industrie.
Transformer l’agriculture pour une alimentation de qualité pour tous et un revenu décent pour les agriculteurs
Le programme d’Ensemble contient deux mesures concernant l’agriculture faisant écho aux annonces faites en début d’année lors de la mobilisation agricole : la revalorisation des retraites des agriculteurs et la mise en place de prix plancher par filière. Cependant, à noter que les groupes composant la majorité présidentielle ont voté contre deux propositions de loi visant à introduire un tel mécanisme lors de la précédente législature, en novembre 2023 et en avril 2024. Il n’évoque en revanche pas de mesure permettant de baisser les émissions de gaz à effet de serre du 2ème secteur émetteur au niveau national, ni d’engager la transition agroécologique, si ce n’est la réaffirmation de l’objectif de réduire l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2030.
Le Nouveau front populaire propose le plus de mesures sur l’agriculture, qu’il souhaite “écologique et paysanne”. Il prévoit de lutter contre l’accaparement des terres et de permettre à chaque agriculteur qui souhaite s’installer d’accéder à une exploitation pour préserver le modèle agricole familial. Il propose de soutenir la filière du bio et l’agroécologie, encourager la conversion en bio des exploitations en reprenant leur dette dans une caisse nationale et garantir un débouché aux produits bio dans la restauration collective. Il met en avant la sortie des fermes-usines, l’amélioration du bien-être animal et l’interdiction de l’élevage en cages d’ici la fin de mandature. Le programme évoque la mise en place de règles de partage de l’eau et un moratoire contre les mégabassines. Son programme comprend également la mise en place de prix plancher et rémunérateurs et de taxer les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution. Il prévoit aussi la gratuité des cantines scolaires. Au niveau européen, le Nouveau Front Populaire souhaite engager des discussions pour une réforme de la Politique agricole commune (PAC). Enfin, il prévoit d’annuler l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (CETA), ainsi que de renoncer à celui avec le Mercosur, tout en protégeant les agriculteurs de la concurrence déloyale via l’interdiction de l’importation de toute production agricole ne respectant pas nos normes sociales et environnementales.
Le Rassemblement national veut lancer un grand plan « Manger français » obligeant les cantines à utiliser 80 % de produits agricoles français à l’horizon 2027. Cette mesure favorise le local, mais sans critère sur les modes de production plus durables, l’impact sur le climat et la biodiversité sera limité. Il propose également de “généraliser l’étiquetage sur l’origine et la qualité des produits alimentaires”, sans préciser néanmoins les produits (bruts ou transformés) et les circuits de vente concernés. La mention d’un étiquetage “sur la qualité” pose question étant donné l’opposition du parti d’extrême-droite à la généralisation du Nutri-score, unique étiquetage portant sur la qualité nutritionnelle des aliments actuellement en vigueur. Le Rassemblement national souhaite par ailleurs renforcer les contrôles des importations pour mettre fin à la vente de produits étrangers ne respectant pas les normes françaises et garantir des prix rémunérateurs pour les agriculteurs. Il fait complètement l’impasse sur le volet environnemental.
Aucun des partis ne fait de proposition pour réduire l’usage des engrais azotés de synthèse, en dehors du soutien à l’agriculture biologique proposé par le Nouveau front populaire, qui est une réponse partielle.
Accélérer la rénovation performante des logements
Ensemble propose de créer un fonds de rénovation énergétique des logements des classes moyennes et populaires financé par une taxe sur les rachats d’actions afin de rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici 2027 et d’accompagner les foyers concernés par le retrait/gonflement des argiles.
Le Nouveau front populaire vise l’isolation complète des logements, en renforçant les aides pour tous les ménages et garantissant leur prise en charge complète pour les ménages modestes.
Le Rassemblement national veut abroger toutes les interdictions et obligations liées aux DPE (travaux, mise en location…). Cette mesure laisserait de nombreux ménages vivre dans des passoires énergétiques pour longtemps, avec des factures de chauffage exorbitantes.
Aucun des programmes ne fait de proposition sur la formation pour les métiers du bâtiment. La hausse significative des rénovations globales de logements prévue dans le cadre de la planification écologique permettrait pourtant la création de près de 200 000 emplois, ce qui suppose une réelle politique publique d’accompagnement de la filière.
S’orienter vers le 100 % énergies renouvelables
Ensemble fait une impasse sur les énergies renouvelables qu’il ne cite pas dans son programme. En revanche, il propose de mettre en chantier 14 nouveaux réacteurs nucléaires qui ne produiront pas d’électricité avec 2035 voire 2040, pour un coût très important et encore incertain.
Le Nouveau front populaire souhaite renforcer la structuration de filières françaises et européennes de production d’énergies renouvelables (de la fabrication à la production) et faire de la France le leader européen des énergies marines notamment avec l’éolien en mer.. Dans les secteurs des énergies renouvelables, près de 100 000 emplois pourraient en effet être créés partout en France dans le cadre d’une réelle ambition partagée. Par ailleurs, il propose de faire voter une loi énergie-climat permettant de définir les orientations nationales sur le mix énergétique et électrique.
Le Rassemblement national fait reposer son programme sur une quantité irréaliste de nouveau nucléaire, et sur des technologies encore immatures, comme l’hydrogène. A l’inverse, les énergies renouvelables ne sont pas mentionnées, mais les prises de paroles des semaines précédentes montrent une claire hostilité du RN. La filière des énergies renouvelables électriques a créé aujourd’hui 44 000 emplois sur tout le territoire. Ces emplois pourraient être directement menacés.
Aucun des programmes n’évoque d’objectif pour la baisse de la consommation d’énergies fossiles ou pour la part d’énergies renouvelables en 2030, ni le soutien aux énergies renouvelables citoyennes, locales et respectueuses de la biodiversité, pourtant les plus à mêmes d’être soutenues par la population.
En matière d’emploi, dans les secteurs économiques liés aux énergies fossiles, une stratégie claire et résolue est nécessaire pour engager collectivement les reconversions indispensables dans les filières et les territoires concernés, dans une logique de transition juste.
Adopter une politique climatique internationale en faveur de la justice climatique
Ensemble ne fait aucune proposition concernant sa politique climatique internationale.
Le Nouveau front populaire veut faire respecter l’engagement de la France d’attribuer 0,7 % de son RNB à l’aide publique au développement. Par ailleurs, il soutiendra, une diplomatie qui préserve notre environnement avec : un pacte européen pour le climat et l’urgence sociale, la reconnaissance du crime d’écocide, la création d’un tribunal international de justice climatique et environnementale, la protection des fonds marins, la défense de la gestion des pôles comme biens communs de l’humanité et enfin propose de garantir un accueil digne notamment par la création d’un statut de déplacé climatique. À cette diplomatie environnementale se couple une diplomatie féministe avec notamment l’augmentation des financements internationaux pour les droits des femmes et la proposition d’adopter la clause de la législation la plus favorisée en Europe qui permettrait à toutes les citoyennes européennes de bénéficier des lois les plus avancées en matière de défense des droits des femmes.
Le Rassemblement national ne fait aucune proposition pour la politique climatique internationale.
Aucun des programmes ne propose explicitement d’augmenter les financements internationaux pour le climat afin d’accompagner les pays vulnérables dans leur décarbonation, mais aussi de financer les politiques d’adaptation et de réponse aux pertes et dommages causées par le changement climatique. Cependant, le programme du NFP prévoit de “taxer les plus riches pour augmenter les ressources propres du budget de l’Union européenne” et de “généraliser la taxation des superprofits”, qui pourraient servir à l’augmentation des financements climat destinés à l’international.
Verdir le budget de l’Etat
Ensemble propose une taxe sur les rachats d’actions afin de rénover 300 000 logements supplémentaires d’ici 2027 et d’accompagner les foyers concernés par le retrait/gonflement des argiles. Cette coalition souhaite poursuivre le soutien à l’investissement local pour la transition écologique à travers le « Fonds vert », mais n’en précise par le montant. Elle s’engage à ne pas baisser les dotations de fonctionnement aux collectivités locales, mais ne propose pas de moyens supplémentaires afin que les collectivités puissent financer la transition écologique et juste. Enfin, Ensemble ne propose aucune mesure pour réduire les dépenses néfastes pour le climat et l’environnement dans le budget de l’Etat.
Le Nouveau front populaire propose de son côté une source de financement importante et pérenne pour la transition écologique et juste avec le rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique. Par ailleurs, s’il souhaite supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes et polluantes, il propose paradoxalement de bloquer les prix des carburants par décret. Pour rappel, cette mesure serait bien plus favorable aux ménages aisés qui consomment davantage de carburant (véhicules plus gros, davantage de kilomètres parcourus) qu’à ceux qui en ont vraiment besoin. Le Réseau Action Climat recommande une aide ciblée en fonction des revenus, associée à d’autres dispositifs permettant d’accéder à une mobilité moins polluante.
Le Rassemblement national ne fait aucune proposition pour augmenter les financements pour la transition écologique ou pour réduire les dépenses néfastes pour le climat et l’environnement. En revanche, il propose de simplifier drastiquement le millefeuille territorial pour réduire la dépense et rendre du pouvoir aux élus de proximité, ce qui peut laisser craindre une baisse des dotations aux collectivités pour la transition écologique. Par ailleurs, il propose une baisse de la TVA sur l’ensemble des produits énergétiques, ce qui aurait un coût élevé, bénéficierait le plus au ménages les plus aisés et aurait un effet néfaste pour le climat, tout en apportant aucune réponse aux ménages pour réduire durablement leurs facture d’énergie (rénovation énergétique des logements, etc…).
Aucun parti n’évoque une trajectoire de financement pluriannuelle de la transition écologique et juste, pourtant indispensable pour assurer la mise en œuvre de la planification écologique et donner de la visibilité aux différents acteurs.
Accompagner les collectivités territoriales dans la transition écologique et juste
Ensemble promet de continuer à soutenir les élus locaux dans les crises notamment via le fonds vert mais n’en précise par le montant. Cette coalition s’engage à ne pas baisser les dotations de fonctionnement aux collectivités locales, mais ne propose pas de moyens supplémentaires afin que celles-ci puissent financer la transition écologique et juste. Elle propose de “simplifier le millefeuille territorial”, ce qui peut laisser entendre que la suppression d’un échelon est à nouveau à l’étude, malgré les conclusions des rapports Woerth et Ravignon rendus au Président au mois de mai. Par ailleurs, le programme promet d’ouvrir une maison France Services dans chaque canton, en reprenant le concept de “commune du quart d’heure”.
Le Nouveau Front Populaire souhaite défendre la décentralisation et renforcer la démocratie locale. Cette ligne laisse à penser à de nouveaux partages de compétences en faveur des collectivités, sans en préciser la teneur. Le programme propose aussi un plan d’investissement pour l’accès aux services publics, en proposant un maillage renforcé des services publics de proximité. Il s’agit du seul programme qui entre dans le détail des politiques locales à soutenir par l’Etat, par exemple en passant la gestion de l’eau dans sa totalité en régie publique locale, ou en renforçant les sanctions contre les communes hors-la-loi dans leur offre de logements sociaux. Enfin, le programme cite trois types d’espaces auxquels apporter une attention particulière : les quartiers populaires, les espaces ruraux, et les territoires éloignés et insulaires.
Le Rassemblement National compte une mesure concernant le local dans son programme : la simplification “drastique” du millefeuille territorial pour réduire la dépense et rendre “du pouvoir aux élus de proximité”. Il peut également s’agir de supprimer un échelon, dans le cadre où le Rassemblement National s’est récemment positionné en faveur de la suppression des régions.
Source link : https://reseauactionclimat.org/que-proposent-les-programmes-aux-legislatives-2024-pour-le-climat-et-la-transition-juste/
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Publish date : 2024-06-26 09:16:26
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