Le Smic à 1.600 euros net est-il une « machine à détruire de l’emploi », comme l’a affirmé Gabriel Attal lors du débat face à Jordan Bardella et Manuel Bompard sur TF1, mardi dernier ? Le Nouveau Front populaire propose dans son programme de rehausser le montant du salaire minimum, actuellement fixé à 1.398,70 euros. Or, selon le Premier ministre, une telle mesure détruirait « 500.000 emplois » en France, a-t-il mis en garde lors de la conférence de presse de présentation de son programme jeudi dernier.
Concrètement, une telle décision se traduirait par une augmentation de 14,4% par rapport au montant fixé aujourd’hui (12,4% en déduisant la hausse mécanique de 2% attendue en août du fait de l’inflation), indique Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
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Déjà, la mesure fait grincer des dents les milieux économiques, à commencer par les TPE-PME, qui représentent près de 4,5 millions d’entreprises et 6,9 millions de salariés en France selon les chiffres de l’Insee. Le Smic à 1.600 euros net par mois génère « une hausse pour l’entreprise de 530 à 550 euros » par salarié, déplore Marc Sanchez, secrétaire Général du Syndicat des Indépendants et des TPE (SDI).
« Si l’entreprise compte trois salariés au Smic, cela monte à 1.500 euros par mois et 18.000 euros par an », dénonce-t-il, rappelant dans le même temps que « dans les TPE de moins de cinq ou un salariés, la moitié des dirigeants touchent moins d’un Smic ».
Selon une enquête publiée ce jeudi par la CPME, 14% des dirigeants disent, en effet, qu’ils cesseraient leur activité dans l’hypothèse d’une hausse du salaire minimum à 1.600 euros net, 27% qu’ils licencieraient et 50% qu’ils répercuteraient ces hausses salariales sur leurs prix de vente. « Seul un dirigeant sur 10 (10%) serait en capacité d’absorber ce surcoût dans ses marges », indique la CPME dans un communiqué.
Des centaines de milliers d’emplois détruits
Pour Éric Heyer, le Smic à 1.600 euros net engendrerait « trois effets sur l’emploi ». Le premier sur le coût du travail au niveau du Smic : « Quand le Smic augmente, le coût du travail augmente et cela détruit des emplois », explique l’économiste. Cet effet direct entraînerait 322.000 emplois détruits, selon son modèle, dont il reconnaît lui-même certaines limites face à une hausse du Smic aussi importante. Deuxième effet ? Une hausse de la consommation.
« Les salaires auront augmenté donc ça va faire de la demande supplémentaire. Cet effet « demande » crée 142.000 emplois » en plus, selon Eric Heyer.
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Troisième effet sur l’emploi, une baisse du coût du travail pour les salaires supérieurs au Smic.
« Les exonérations de cotisations sociales dépendent du niveau du Smic. Quand le Smic augmente et qu’il n’y a pas une diffusion complète de ce Smic sur les autres salaires, davantage de personnes bénéficient de ces exonérations. Cela engendre une baisse du coût du travail pour les entreprises qui crée 151.000 emplois », détaille Eric Heyer.
En clair, si le Smic augmente mais pas les salaires juste au-dessus, la réduction générale des cotisations patronales, qui permet aux employeurs de baisser les charges pour les salaires ne dépassant pas 1,6 Smic par an, concernera plus de salariés. Cela entraînera une baisse du coût du travail et donc des embauches pour les entreprises.
Au total, l’économiste anticipe donc la destruction nette de 29.000 emplois. Auquel il faut ajouter, selon lui, un coût de « 0,3% de PIB » pour finances publiques, résultant de la hausse des allègements de cotisations sociales.
Pour résorber ce déficit, des mesures comme la hausse de la TVA, la hausse des impôts sur le revenu ou la baisse des dépenses publiques pourraient « redétruire » des emplois pour atteindre 50.000 destructions d’emplois au total. En résumé, « cela détruit de l’emploi, mais ce n’est pas monstrueux », analyse l’économiste à l’OFCE.
« Ce n’est pas la catastrophe de 500.000 destructions d’emploi annoncées par le gouvernement. »
Risque de « trappe à bas salaires »
Un point de vue qui n’est pas partagé unanimement. Stéphane Carcillo, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po, est moins optimiste. Il anticipe la destruction de « plusieurs centaines de milliers d’emplois en net ».
« Le Smic est déjà protégé de l’inflation, il n’a pas baissé en pouvoir d’achat et a augmenté plus vite que les autres salaires. Il a donc déjà provoqué une compression des salaires assez forte dans notre pays. L’augmenter encore de 200 euros comporte des risques non-négligeables pour l’emploi », avertit le spécialiste de l’emploi, qui redoute notamment « un risque de trappe à bas salaires assez important ».
Pour Michaël Zemmour, maître de conférence en économie à l’université Lyon II et soutien du Nouveau Front populaire, le chiffre de 500.000 emplois détruits par l’instauration du Smic à 1.600 euros net, avancé par la majorité présidentielle, « ne paraît pas sérieux ». L’économiste s’attend à ce que la baisse du coût du travail pour les salaires au-dessus du Smic serve d’« amortisseur » à la destruction d’emplois. « Si l’ordre de grandeur est celui de 29.000 emplois détruits de l’OFCE, cela représente moins de 0,1 point de taux de chômage », relativise-t-il. Pour lui, la proposition du Nouveau Front populaire n’est donc « pas si terrifiante que ça ».
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Interrogé sur le risque pour la compétitivité des entreprises au niveau international, Michaël Zemmour estime que « le Smic concerne assez peu des secteurs exposés », citant « le nettoyage, la restauration, les services à la personne ». « Les secteurs exportateurs sont peu concernés par les plus bas salaires », ajoute-t-il. L’économiste précise que « la mesure est difficile à envisager autrement que par un calendrier sur plusieurs mois ».
« Si le Smic est revalorisé assez vivement, le but est que les salaires au-dessus du Smic soient renégociés aussi. Il faut leur laisser le temps de le faire ».
Des effets limités sur l’inflation et la pauvreté
Sur l’inflation, les économistes s’accordent à dire que le Smic à 1.600 euros net aurait peu d’effets. « Quand le Smic augmente de 1%, les autres salaires augmentent de 0,11%. Quand il augmente de 12%, les autres de 1,4%. Et quand les salaires augmentent de 1%, les prix n’augmentent pas de 1% mais aux alentours de 0,55%, donc l’inflation va augmenter de 0,7%-0,8% », avance Eric Heyer.
« Cela dépend de combien les entreprises vont passer les effets coûts sur les prix. En général, ces effets sont très négligeables, donc je pense pas que ça ait d’effets majeurs », acquiesce Stéphane Carcillo.
Le professeur affilié au département d’économie de Sciences Po s’attend également à un effet « très marginal sur la pauvreté ». « Souvent, les salariés au Smic ne sont pas dans des familles pauvres, contrairement à ce qu’on pourrait penser intuitivement. Ils peuvent vivre avec une personne qui a des revenus nettement supérieurs », indique-t-il.
« Augmenter le Smic fait assez peu baisser le taux de pauvreté, contrairement à d’autres mesures comme la prime d’activité qui sont très bien ciblées parce qu’elles dépendent de la situation familiale, du nombre d’enfants, etc. » Selon l’Insee, le seuil de pauvreté correspond à un revenu disponible de 1.158 euros par mois pour une personne seule, et de 2.432 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans.
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Publish date : 2024-06-27 15:17:00
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