Lyon (Rhône), reportage
Boris Tavernier presse le pas sous les averses. Une pluie dense tombe dans l’air tiède du quartier de La Duchère, perché sur les hauteurs à l’ouest de Lyon. L’orage guette et le cofondateur de l’association Vrac (Vers un réseau d’achat en commun) manque de temps. Lui qui lutte depuis vingt ans contre la précarité alimentaire n’a que quelques jours pour se faire élire député de la 2e circonscription du Rhône sous la bannière du Nouveau Front populaire (NFP).
Le quadra est un novice en politique. Il a appris sur le tas à tracter sur les marchés et sort tout juste d’une session de media training (formation aux médias) pour préparer un débat avec les candidats Loïc Terrenes (Renaissance) et Maryll Guilloteau (Les Républicains), eux-mêmes politiciens aguerris. « Je n’ai pas toute cette connaissance du monde politique. Moi je fais de la popote, pas de la popol [politique politicienne] », plaisante-t-il. Cette après-midi, il profite d’un court répit pour passer une tête à La Duchère où sa quête de justice sociale a porté ses fruits. C’est ici qu’il a fondé il y a dix ans l’un des premiers groupements d’achat de Vrac, désormais présent dans plus de 100 banlieues françaises.
Si Boris Tavernier est élu député, l’alimentation restera son cheval de bataille.
© Moran Kerinec / Reporterre
Nichée entre un jardin partagé et des barres d’immeubles grises et fatiguées, une halle en contreplaquée accueille les mamans en abaya et les grands-mères en k-way venues faire leur marché à Vrac. Beurre de l’Ain, œufs de Chaponnay, rigotte de chèvre de Condrieu… Les salades, abricots, rhubarbes et cerises des étals viennent de l’Auvergne-Rhône-Alpes. Des produits bio et locaux vendus à prix coûtant et rétribués justement, promet Boris Tavernier : « On rend les bons produits accessibles sans se faire d’argent sur le dos des paysans. »
« Donner accès à une alimentation de qualité est un choix politique »
Le groupement d’achat travaille en direct et en gros volume auprès de ses producteurs pour obtenir des tarifs abordables. Vrac propose à ses adhérents une triple tarification sociale pour que chacun paie selon ses moyens. L’association est financée par des fondations, des entreprises et les collectivités locales. « Donner accès à une alimentation de qualité est un choix politique, pointe Boris Tavernier. Tu ne peux pas prioriser la lutte contre la précarité alimentaire sans la financer. »
Fils d’ouvriers du Nord-Pas-de-Calais, Boris Tavernier a débarqué dans la capitale du Rhône au début des années 2000. « On avait les cheveux longs, des bonnets péruviens et les Kickers aux pieds », se souvient celui qui fait aujourd’hui campagne en t-shirt et veste de costume. À l’époque, la figure de José Bové et le rassemblement au Larzac ont inspiré un vent de changement. Il a alors fondé avec un duo d’amis un bar-restaurant-Amap nommé De l’Autre côté du pont, à La Guillotière, un quartier populaire au cœur de Lyon. Avec ses camarades, il a mis un point d’honneur à rémunérer dignement les musiciens et les producteurs locaux qui faisaient vivre ce lieu de culture.
Boris Tavernier avec les bénévoles de l’association.
© Moran Kerinec / Reporterre
En 2013, Boris Tavernier est passé du bar à la cuisine en concoctant Vrac avec Marc Uhry, le délégué de la Fondation Abbé-Pierre en Rhône-Alpes, et Cédric Van Styvendael, alors directeur général du bailleur Est Métropole Habitat devenu maire de Villeurbanne en 2020. Les trois hommes ont cherché la recette pour lier les luttes contre l’exclusion sociale et la précarité alimentaire dans les quartiers populaires sans affecter le portefeuille de leurs habitants.
Pour trouver les bons ingrédients, Boris Tavernier a écumé pendant trois mois les centres sociaux de La Duchère, ses associations, sa mosquée, son temple protestant… Avec une question : « Vous voulez pas qu’on fasse nos courses ensemble ? On pourrait avoir de meilleurs produits et les payer moins cher. » Il a organisé des dégustations au pied des immeubles pour convaincre par le goût. Étranger au milieu des quartiers, il y a retrouvé l’isolement et la précarité de sa campagne du Pas-de-Calais. « Il n’y a que la taille des tours qui change », observe-t-il.
L’objectif de l’association, lutter contre la précarité alimentaire sans affecter le portefeuille.
© Moran Kerinec / Reporterre
« Quel soulagement quand on a appris sa candidature ! »
Vrac a crû et prospéré au fil des ans. Le réseau d’associations compte désormais 18 branches locales en France et en Belgique, 100 groupements d’achats, 80 salariés, 800 bénévoles et touche plus de 20 000 adhérents. Les structures se sont diversifiées : Vrac Univ’ s’adresse aux étudiants précaires et aux tiers lieux, comme l’épicerie-restaurant solidaire la Mesa. Elles permettent de renouer du lien social autour de la cuisine.
C’est presque par accident que Boris Tavernier est tombé dans la marmite politique. Empêtré dans des soupçons d’ingérences étrangères à l’Assemblée nationale, l’ex-écologiste et député sortant Hubert Julien-Laferrière a quitté la politique pour se consacrer à sa nouvelle passion : la défense des grands singes. Chaque parti de gauche convoitait ce territoire qui leur est favorable. Candidat de la société civile, travaillant de concert avec Bruno Bernard, le président écologiste de la métropole, et Cédric Van Styvendael, le maire socialiste de Villeurbanne, le profil de Boris Tavernier a fait consensus.
« Quel soulagement quand on a appris sa candidature ! s’exclame Béatrice Charmier, retraitée de La Duchère et bénévole à Vrac qui a passé de nombreuses après-midi à tenir le marché avec le candidat. Boris a les mêmes valeurs de partage et de respect que nous. Surtout, lui n’a pas de casserole ! »
Celles et ceux qui ont croisé sa route ne tarissent pas d’éloges sur le candidat, tour à tour décrit « drôle », « charmeur », « sensible », « intense ». « Boris est capable d’embarquer tout le monde avec lui dans son enthousiasme, confie Lorana Vincent, coordinatrice de Vrac France, la voix emplie d’émotion à l’idée de perdre son collègue. Son élection va faire du bien en politique, on a besoin de renouveler l’origine sociale de nos décideurs. Lui vient de la ruralité pauvre du bassin minier et représente cette dimension populaire au sens noble du terme. »
Boris Tavernier avec son vieil ami Omar Safri.
© Moran Kerinec / Reporterre
Sur le marché de Vrac, Omar Safri ne doute pas. « Boris est déjà un bon député, il a réussi à toucher les différentes couches sociales de La Duchère, assure l’homme qui l’a rencontré il y a dix ans au centre social. On ne va pas oublier ce qu’il a fait pour nous. Il a commencé à la caisse et fait grandir le groupement d’achat sans changer ou prendre la grosse tête. Il est constant. »
Une assiduité qu’il poursuivra à l’Assemblée. Lui député, l’alimentation restera son cheval de bataille. Un sujet « universel, qui touche à l’agriculture, l’écologie, la santé… », énumère-t-il. Il connaît sa priorité si le Nouveau Front populaire obtient le pouvoir : bloquer les prix des denrées de première nécessité. « C’est une solution d’urgence, parce que les gens ne s’en sortent plus, constate le candidat. On est le septième pays le plus riche du monde, pourtant nous avons 12 millions de personnes en précarité alimentaire et 1 étudiant sur 3 qui ne mange pas à sa faim. »
À long terme, il espère tisser le texte d’une Sécurité sociale de l’alimentation qui permettrait aux ménages les plus précaires d’accéder à des produits de qualité. Promis juré : « Ils vont en entendre parler à l’Assemblée pendant de longs mois ! »
Nous avons eu tort.
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Législatives
Le programme du Front populaire dessine un avenir écologique
26 juin 2024 à 09h42
Durée de lecture : 7 minutes
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Publish date : 2024-06-26 07:42:00
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