un document trompeur, et illégal ?

un document trompeur, et illégal ?

Des tracts du candidat du Rassemblement national aux élections législatives françaises, Julien Odoul, distribués le 23 juin ont suscité de nombreuses critiques sur les réseaux sociaux. Ce dernier est accusé d’avoir attribué au Nouveau Front populaire plusieurs propositions trompeuses, voire fausses, et d’utiliser ainsi des méthodes « illégales ». Si les propos attribués sont largement exagérés et trompeurs, des experts en droit électoral nuancent l’illégalité de tels procédés.

La vérification, en bref : 

Le candidat du Rassemblement national dans l’Yonne Julien Odoul a été critiqué pour avoir distribué des tracts dénonçant le Nouveau Front populaire à l’aide d’arguments faux ou caricaturaux. Des internautes y ont aussi vu une manœuvre « illégale » de la part du candidat.

Plusieurs des propos attribués à l’alliance de gauche sont en effet trompeurs et absents du programme commun sur lesquels les partis se sont mis d’accord.

Difficile toutefois de se prononcer sur l’illégalité supposée de tels tracts : les trois experts interrogés par la rédaction des Observateurs indiquent que le régime juridique de la liberté d’expression en matière électorale est plus souple et permet « l’exagération ». Ce type de sanctions s’applique en pratique surtout en cas d’élections très serrées.

La vérification en détails

À une semaine du premier tour des élections législatives, le candidat du Rassemblement national Julien Odoul a fait campagne à Pont-sur-Yonne le 23 juin, commune de la 3e circonscription de l’Yonne, dont il est député sortant et où il se représente.

Le candidat y a distribué des tracts, dans lesquels il oppose les programmes de l’alliance des différents partis de la gauche, le Nouveau Front populaire, avec celui de son parti. 

Un document critiqué par de nombreux internautes, qui ont dénoncé des intox partagées contre le Nouveau Front populaire.

« Désarmement de la police », « fermeture de CNews », « soutien aux squatteurs » : sur ces flyers sont en effet présentées des supposées promesses électorales du Nouveau Front populaire face aux mesures annoncées par le Rassemblement national.

« Viol de la propriété privée » « Censure de tous les journalistes qui ne sont pas de gauche » « Fermeture de CNews » « Soutien aux islamistes » : voilà le programme du NFP, selon le député RN Julien Odoul candidat dans l’Yonne. C’est légal d’écrire ça dans un tract électoral ?! pic.twitter.com/Zk8cQlsA42

— Victoire Tuaillon (@vtuaillon) June 23, 2024

Tweet de la journaliste Victoire Tuaillon du 23 juin 2024, dénonçant le tract distribué par le candidat du RN Julien Odoul.

Police, médias, « soutien aux squatteurs » : de fausses affirmations sur le programme du Nouveau Front populaire

Cette série de mesures ne résiste en effet pas à la comparaison avec le contrat de législature présenté par le Nouveau Front populaire le 14 juin. Beaucoup des supposées mesures présentées dans le tract de Julien Odoul ne se retrouvent pas dans ce document synthétisant le programme des quatre partis de gauche regroupés sous la bannière du Nouveau Front populaire (La France insoumise, le Parti socialiste, Europe Écologie les Verts, le Parti communiste français). 

Le tract distribué par Julien Odoul exagère largement la portée des mesures avancées par le Nouveau Front populaire en matière de police en mettant en avant un “désarmement de la police » et la « suppression de la brigade anti-criminalité ». 

Dans leur programme commun, les quatre partis proposent uniquement la suppression des LBD et des grenades mutilantes. La France est l’un des seuls pays européens où les lanceurs de balles de défense sont utilisés massivement par les forces de l’ordre. 

Par ailleurs, le programme ne propose pas le démantèlement de la brigade anticriminalité, mais uniquement le démantèlement des BRAV-M – les brigades de répression de l’action violente motorisée créées durant le mouvement des Gilets jaunes en mars 2019.

La “suppression de la brigade anti-criminalité” annoncée par le tract du député RN était l’une des promesses de Jean-Luc Mélenchon lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2022, mais elle n’a pas été ajoutée au programme du Nouveau Front populaire. 

Sur le tract, on peut également lire que le Nouveau Front populaire compte fermer “CNews et censure[r] tous les journalistes qui ne sont pas de gauche.” CNews est une chaîne française d’information en continu, propriété de Vincent Bolloré, et classée très à droite. Rien de tel n’est écrit dans le programme de la gauche. 

Le document n’évoque le paysage médiatique que dans sa partie sur la lutte contre les discriminations et l’islamophobie qui “découle notamment de l’omniprésence des discours islamophobes dans certains médias, de presse écrite ou audiovisuelle.”

Concernant le logement, le Rassemblement national oppose ses propres mesures à un “soutien aux squatteurs” du Nouveau Front populaire. Les partis de gauche proposent, sur le sujet de l’occupation illégale de logement, l’abrogation de la loi Kasbarian parue en juillet 2023.

Cette loi avait durci la peine encourue en cas de violation de domicile, la faisant passer d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. L’abrogation de cette loi entraînerait un retour aux peines précédentes, mais ne constituerait pas un “soutien aux squatteurs” comme l’affirme le tract de Julien Odoul. 

Des tracts illégaux ? 

Sur X, plusieurs internautes se sont aussi interrogés sur la légalité de telles pratiques en période électorale. « Que des fake news et des mensonges. C’est un procédé illégal. Plainte doit être déposée », a dénoncé sur X le compte proche du Nouveau Front populaire « j’dis ça j’dis rien ».

Tweet du compte « j’dis ça j’dis rien », qui affirme que ce procédé est « illégal », publié le 23 juin 2024. © X

Plusieurs comptes ont aussi affirmé que ce type de tract était illégal sur la base de l’article L.97 du code électoral. Ce dernier dispose que « ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages » ou poussé des « électeurs à s’abstenir de voter » peuvent être punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 euros. 

Un point nuancé par plusieurs spécialistes du droit électoral contactés par la rédaction des Observateurs. « Le régime juridique de la liberté d’expression en matière électorale est plus souple et permet l’exagération », indique Romain Rambaud, professeur de droit public, Université Grenoble-Alpes, spécialiste de droit électoral. 

« Le tract du Rassemblement national caricaturant les positions du Front populaire est grossièrement inexact voire mensonger, destiné à faire peur à l’électeur », explique de son côté Jean-Pierre Camby, constitutionnaliste et professeur associé à l’université de Versailles Saint-Quentin. « Mais de tels dévoiements font partie de la liberté d’expression, renforcée pendant les campagnes électorales. Le juge électoral ne retient pas  de telles manœuvres, sauf si elles sont diffamatoires, injurieuses ou destinées à tromper les électeurs. Sinon l’adversaire peut répondre. »

« Tout cela n’est pas considéré comme une manœuvre frauduleuse, ni au sens du code électoral, ni même au sens des dispositions pénales de ce code, qui n’empêchent pas la caricature, le mensonge, les propos déformés, du moment qu’il n’y a pas d’imputation personnelle et que l’on est dans la période électorale », précise-t-il. 

À ses yeux, l’article L97 mentionné en ligne ne vaut en effet « qu’en cas d’infraction caractérisée en droit pénal », si un tract est par exemple injurieux ou propage des calomnies. 

Des précédents cas d’élections invalidées 

« Je vois mal un juge électoral annuler l’élection pour ce tract, à moins qu’il y ait très peu de voix d’écart, souligne aussi Romain Rambaud. Sachant que ce tractage a eu lieu avant même le premier tour, il y a une chance pour que ce ne soit pas considéré comme fondamental sur le résultat de l’élection. »

De son côté, l’avocat spécialisé en droit électoral Louis le Foyer de Costil précise que ce type de condamnation a tout de même lieu lorsqu’a été prouvé l’impact sur le scrutin, notamment en cas de résultats très serrés entre les candidats. « Si on a un écart de voix faible, que le tract a été massivement diffusé et qu’il est grossièrement mensonger, cela peut entraîner l’annulation de l’élection. »

Plusieurs cas d’invalidations d’élections liés à des tracts ont bien eu lieu ces dernières années. Mais le caractère trompeur était plus avéré : en 2017, le député du Territoire de Belfort Ian Boucard (Les Républicains) avait vu son élection invalidée après avoir trompé les électeurs avec de faux tracts du Front national et de la France insoumise appelant à voter contre le candidat du parti présidentiel.

Faux tract de Jean-Luc Mélenchon distribué en 2017 par l’équipe du candidat LR du territoire de Belfort Ian Boucard. © France 3 Bourgogne Franche Comté

Même chose en 1993 : l’ancien ministre de la santé Claude Évin, alors candidat en Loire-Atlantique, avait fait invalider les résultats d’une élection à la suite d’un tract diffusé « massivement » par son opposant, et contenant des « allégations particulièrement violentes et mensongères » à son encontre sur le scandale du sang contaminé. 

La diffusion de ce tract, « auquel M. Évin n’avait plus la possibilité de répondre », avait été considérée par le Conseil constitutionnel comme « constitutive d’une manœuvre de nature à avoir, compte tenu du faible écart de voix, exercé une influence suffisante pour modifier le résultat du scrutin ».

Source link : https://observers.france24.com/fr/france/20240624-tract-du-rn-contre-le-front-populaire-un-document-trompeur-et-ill%C3%A9gal

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Publish date : 2024-06-24 17:05:00

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