J’attendais que les propositions et leur chiffrage se stabilisent un petit peu avant de pouvoir en parler plus posément. J’en profite pour dire que contrairement à ce que j’ai lu dans le journal, je n’ai pas contribué au programme du Front populaire, et je ne l’ai pas non plus “validé” en bloc, parce que ce n’est pas vraiment ma place de le faire, surtout en tant que présidente d’une école d’économie où les professeurs (de Thomas Piketty à Olivier Blanchard) ont des choses très différentes à en dire.
C’est au crédit du Front Populaire d’avoir permis à la conversation de pivoter de sujets d’identité aux sujets économiques
J’ai trouvé très intéressant que le débat se soit très largement concentré sur les propositions économiques de la gauche, et dans une certaine mesure sur celles du RN. C’est au crédit du Front Populaire d’avoir permis à la conversation de pivoter de sujets d’identité, dont personne ne sort grandi, aux sujets économiques qui sont au cœur des préoccupations des électeurs. Ils l’ont fait en assemblant en un temps record un programme détaillé. C’est une stratégie courageuse et risquée, puisqu’ils se sont donnés les armes pour se faire battre, mais cela a eu un effet salutaire sur le débat politique.
La clarification que le président appelait de ses vœux s’est en effet réalisée, mais pas forcément comme il l’avait espéré. Elle a eu lieu par un réalignement gauche/droite. Il n’y a plus vraiment de “populistes” de droite, dans le sens d’une force qui combine une vision traditionaliste et xénophobe de la société avec des programmes économiques favorables aux classes populaires ; ni de populisme de gauche qui promet la lune sans expliquer comment fabriquer la fusée.
Le RN a abandonné l’idée de l’abrogation de la réforme des retraites, et essaie de rassurer le patronat en étant le plus vague possible sur ses mesures potentiellement déstabilisantes. Il émerge donc comme une force de droite cohérente sur le plan économique et idéologique, et en profite pour avaler une partie des républicains. Le Front populaire, dont les composantes ont des sensibilités très différentes, a réussi à s’unir dans un programme commun, clairement orienté à gauche, mais qui s’efforce de mettre des recettes en face des dépenses.
Et dans tout cela, le parti présidentiel, qui occupe le centre, n’a pas l’air d’avoir grand-chose de nouveau à proposer, ce qui n’est pas étonnant puisqu’il exerce le pouvoir. Il en est réduit à la position plus habituelle de renvoyer les “extrêmes” dos à dos, ce qui est rhétoriquement compliqué, quand ces soi-disant extrêmes combinées représentent largement plus de la moitié de l’électorat.
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Programme économique flou au RN et pragmatique au Front populaire
Tout d’abord, je pense qu’il est bon de prendre un peu de recul pour comprendre son inspiration. La démocratie occidentale libérale était censée assurer une prospérité partagée, mais la machine s’est grippée. Partout, les inégalités ont explosé. Aux États-Unis, les salaires réels de la moitié de la population stagnent depuis plus de 30 ans. En Europe, de même, en partie parce que la productivité est faiblarde depuis longtemps. L’emploi est un problème lancinant. La confiance dans la capacité des technocrates bienveillants à mettre en place des politiques efficaces et justes a fini de s’éroder avec la crise financière de 2008 et le covid, d’autant plus que les plus riches ont fini par se sortir mieux de ces deux crises. Les économistes se pressent pour apporter leur blanc-seing ou leur condamnation, mais il y a bien longtemps que les électeurs ne font confiance ni aux politiciens ni aux économistes. Il est temps de proposer autre chose…
Donc en réponse, le RN présente un programme encore flou, mais où le cœur des économies proposées se fait aux dépens des allocations sociales pour les pauvres et des immigrés, pour financer les réductions d’impôts sur les successions et la cotisation foncière des entreprises. Leur proposition aux électeurs, essentiellement, c’est “essayez nous, on est les seuls qui restent”, et aux patrons, de télégraphier qu’ils ne feront rien de radical, mais couperont dans la dépense publique.
Le front populaire, joue le jeu du pragmatisme : il y a une liste précise de mesures échelonnées, un chiffrage des recettes et des dépenses, qui sont plus ou moins en phase. La proposition fiscale s’appuie sur des constats qui sont largement partagés, notamment celle que le système fiscal en place n’est pas assez redistributif. Mais il ne faut pas se faire d’illusion sur les détails, le programme s’est fait (par force) en trois jours.
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Des programmes économiques aux effets incertains, mais qui reflètent des valeurs
Au-delà des milliards, il n’y a rien dans la discussion qui porte sur l’impact attendu des différentes mesures. Je me pose des milliers de questions. Pour donner quelques exemples, quel serait l’effet d’indexer les bas salaires sur l’inflation sur la résilience de l’emploi face aux chocs ? Une fois la réforme des retraites abrogée, va-t-on remettre à plat le système des caisses multiples, pour le refondre de manière plus juste et plus efficace ? Les cantines gratuites et les classes à 19 pour tous sont-elles vraiment des mesures égalitaires ? Quels effets de relance peut-on raisonnablement attendre ?
Mais la bonne façon de réfléchir à cette opposition n’est pas sur les détails, qui de toute façon sera contrainte par le jeu démocratique et les règles européennes. Elle doit se placer sur le plan des valeurs. Le programme du Front populaire reflète les valeurs fondamentales de la gauche de gouvernement : un équilibre entre production, redistribution et écologie. Celui du RN reflète ses valeurs de droite identitaire : contrôle de l’immigration, refus de l’écologie, réduction de la voilure de l’État.
Dans un cas comme dans l’autre, les nuances de la mise en œuvre et de l’équilibre entre ces piliers sont encore inconnues, et elles feront toute la différence. Mais à ce stade, il ne faut pas se tromper de question.
France Culture va plus loin (l’Invité(e) des Matins) Écouter plus tard
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Publish date : 2024-06-24 05:57:37
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