Un cap clair et assumé. Les nouvelles dépenses publiques sont certes nombreuses dans le programme du Nouveau Front populaire (NFP), pour répondre à la fois aux défis sociaux et écologiques, mais les nouvelles recettes le sont également. Le NFP revendique ainsi un sérieux budgétaire.
Eric Berr, économiste à l’université de Bordeaux et coresponsable du département Economie à l’Institut La Boétie (proche de la France insoumise) détaille pour Alternatives Economiques la trajectoire et la philosophie de ce programme.
Le programme du Nouveau Front populaire est attaqué sur son manque de sérieux budgétaire et financier. Dans quel cadre d’évolution des finances publiques s’inscrit-il ? Quelle évolution de la dette et du déficit public ?
Eric Berr : La volonté de sérieux budgétaire est clairement affichée. Les mesures impliquent effectivement une augmentation des dépenses publiques, mais contiennent également davantage de recettes fiscales.
L’idée n’est pas de faire augmenter la dette ni le déficit. Il y aura certes une dégradation temporaire du déficit public qui est inévitable car les dépenses vont précéder les recettes, mais cela ne sera que transitoire. Le programme n’est pas financé par la dette mais par les impôts.
Nous sommes dans la même logique que Joe Biden aux Etats-Unis en instaurant un choc de dépense
Nous sommes dans la même logique que Joe Biden aux Etats-Unis en instaurant un choc de dépense. Celui-ci répond à plusieurs objectifs.
Une urgence sociale tout d’abord, avec des mesures qui devraient être prises dans les quinze premiers jours : abrogation de la réforme des retraites et de celle de l’assurance chômage, hausse des APL, augmentation de 10 % du point d’indice des fonctionnaires, élévation du Smic à 1 600 euros. Ces mesures d’urgence ont pour ambition d’envoyer un signal fort pour redonner de la confiance à la population.
Ensuite, les dépenses viennent également répondre à une urgence écologique. Ce sont des investissements pour réaliser la bifurcation écologique. Elles visent à redonner confiance aux entreprises, remplir leurs carnets de commandes et les associer à la bifurcation en leur donnant de la visibilité et de la stabilité.
Mais l’idée n’est pas de juste aligner des dépenses qui ne sont pas financées, comme le fait le Rassemblement national (RN), ce qui serait irresponsable. Ce choc des dépenses s’inscrit dans une plus forte redistribution avec une fiscalité davantage progressive qui permet de le financer.
Selon les estimations, les mesures prises dans les quinze premiers jours coûteront 25 milliards d’euros en année pleine, mais la mise en place de nouveaux prélèvements comme la taxe sur les superprofits et l’instauration d’un ISF climatique rapporteront 30 milliards.
La trajectoire budgétaire envisagée respecte-t-elle les critères du pacte de stabilité européen ?
E. B. : Dans le programme est inscrit le refus du pacte de stabilité budgétaire européen [instaurant pour les Etats un plafond d’endettement à 60 % du PIB et de déficit public à 3 % du PIB, NDLR]. Ce n’est pas pour faire un caprice, mais c’est un cadre qui nous bloque dans un carcan austéritaire et nous empêche de mener une politique ambitieuse, notamment en matière d’investissement.
A travers ce refus, il y a une confrontation assumée mais surtout la volonté de proposer à nos partenaires européens un pacte qui permette de réagir à l’urgence écologique et sociale.
Suppression de la flat tax, rétablissement de l’ISF, nouveau barème de l’impôt sur le revenu, nouvelle fiscalité sur l’héritage, quelle est la philosophie de ces mesures fiscales ?
E. B. : Une philosophie de justice sociale tout simplement. L’ambition est de rediriger une épargne très abondante vers de l’investissement productif.
Il y a aujourd’hui énormément de liquidités dans l’économie, mais qui alimentent principalement la sphère financière. L’idée est d’en récupérer une partie et de les réorienter vers des mesures d’urgence sociale et vers la bifurcation écologique.
Le programme assume clairement d’instaurer davantage d’impôts et de taxer les riches
Le programme assume clairement d’instaurer davantage d’impôts et de taxer les riches. Pendant la campagne présidentielle de 2022 et concernant la proposition de passage de 5 à 14 tranches pour l’impôt sur le revenu, nous avions tablé qu’en dessous de 4 000 euros nets par mois et par personne, les contribuables ne verraient pas leurs impôts augmenter.
En dessous de ce seuil, les prélèvements resteraient les mêmes ou diminueraient. Mais au-delà de 4 000 euros, plus les revenus augmentent plus le taux de prélèvement serait important. Cette progressivité de l’impôt sur le revenu et de la CSG devrait rapporter 5,5 milliards d’euros. C’est aussi une mesure symbolique pour réinstaurer une plus grande justice fiscale.
Je rappelle que nous avons connu des exemples historiques avec des taux marginaux d’imposition très élevés, comme aux Etats-Unis après-guerre. Certes, nous étions dans un contexte de reconstruction avec des gains de productivité important, mais aujourd’hui nous voulons répondre à une déformation du partage de la valeur ajoutée qui a été faite au bénéfice du capital.
Il faut rééquilibrer ce partage. Il ne s’agit donc pas de matraquer le capital ou les entreprises, mais de dire qu’elles doivent contribuer au financement de la santé, de la protection sociale, de l’éducation et de toutes ces choses dont elles bénéficient par ailleurs.
Les nouvelles tranches d’impôt sur le revenu, la progressivité de la CSG, la suppression de la flat tax, le renforcement de l’impôt sur les successions des hauts patrimoines, ou encore la suppression de certaines niches fiscales, c’est-à-dire l’ensemble des mesures qui viendront s’ajouter à celles prises dans les premiers jours, devraient rapporter aux finances publiques 100 milliards d’euros supplémentaires pour l’année 2025.
Le programme comporte de nombreuses dépenses publiques supplémentaires ainsi que des hausses de salaire. S’agit-il d’une relance keynésienne classique ?
E. B. : Ça dépend ce qu’on entend par relance keynésienne classique. La relance selon Keynes n’est pas la relance via la consommation mais via l’investissement public. Les mesures concernant les minima sociaux et les bas salaires sont là pour répondre à une urgence sociale et mettre l’économie au service des plus fragiles.
Au-delà d’une philosophie keynésienne, du chiffrage d’un programme, il existe une dimension humaine. Comment améliorer concrètement la vie des gens et éviter que certains se retrouvent à sec le 10 du mois ?
La partie véritablement keynésienne du programme est celle concernant le volet de la politique d’investissement en direction de la bifurcation écologique. A certains égards, elle se situe dans la même veine que le programme mis en œuvre par Joe Biden.
A propos des mesures de pouvoir d’achat, comme la hausse du Smic à 1 600 euros ou l’indexation des salaires, n’y a-t-il pas un risque de fragiliser certains secteurs ou entreprises aux marges faibles ?
E. B. : J’entends dire qu’augmenter le salaire minimum à 1 600 euros va détruire de l’emploi. Mais il faut regarder les autres effets : ça participe à remplir les carnets de commandes, donc même si le coût du travail augmente, l’activité sera poussée à la hausse.
Changeons de logique et arrêtons de signer des chèques en blanc à tout le monde sans aucune contrepartie
Par ailleurs, le blocage des prix sur l’énergie est aussi de nature à compenser la hausse du coût du travail pour les entreprises. Ensuite, nous dépensons chaque année environ 200 milliards d’euros d’aide aux entreprises.
Nous souhaitons réorienter cette manne vers les plus petites entreprises, TPE et PME, et en particulier vers celles qui auraient du mal à absorber la hausse du Smic, tout en conditionnant ces aides à la réalisation d’objectifs sociaux, comme le maintien de l’emploi, et l’engagement vers la bifurcation écologique.
Changeons de logique et arrêtons de signer des chèques en blanc à tout le monde sans aucune contrepartie.
Le programme mentionne la taxation des superprofits, mais que reste-t-il des superprofits ? Les marges de l’industrie agroalimentaire, après avoir monté en flèche en 2023 sont redescendues. Les profits de CMA-CGM ont largement diminué, etc. Que peut-on espérer comme rentrées fiscales de ce côté ?
E. B. : Ce sont des mesures aussi à portée symbolique avec l’objectif de lutter contre les superprofits. Ça ne rapportera pas forcément beaucoup dans les premières années, mais si les superprofits reviennent, l’impôt sera déjà-là. Cela limitera la possibilité pour certaines entreprises dans des secteurs monopolistiques ou oligopolistiques de profiter de la situation.
Rappelons que l’épisode inflationniste que nous avons connu ces dernières années a été alimenté par ce phénomène. Taxer les superprofits permettra de limiter cet effet pour la prochaine fois et de participer à la justice fiscale.
Sur la réindustrialisation, qu’est-ce que qui vous différencie du gouvernement ? Les différents exécutifs sous la présidence d’Emmanuel Macron en ont aussi fait un point important, ont aussi mis de l’argent sur la table, ont ciblé les mêmes secteurs (semi-conducteurs, médicaments, énergie, etc.) ?
E. B. : La différence est notamment de ne pas uniquement compter sur les investissements étrangers. Bruno Le Maire se vante sans cesse que la France est le champion d’Europe des investissements directs étrangers (IDE). Les IDE c’est bien, mais actuellement ils permettent plutôt de racheter des entreprises françaises et non de les financer. Ce n’est pas comme cela que l’on va réindustrialiser le pays.
Nous souhaitons retrouver une puissance publique qui est actrice dans ce processus de réindustrialisation, sans penser comme Emmanuel Macron que tout provient de l’initiative privée. Cela passe donc par la réorientation des subventions et la conditionnalité des aides.
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Publish date : 2024-06-24 09:03:00
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