Dans la ville audoise, les électeurs RN, en force, sont décomplexés et le Nouveau Front populaire se mobilise pour faire voter les abstentionnistes.
« Vous avez réussi à trouver un macroniste ? Ah ben, ça doit être le seul des halles ! », s’esclaffe une poissonnière aux yeux rieurs.
La pique fera hurler les soutiens du Président, mais elle révèle aussi sa part de vérité, à la lecture du score de Valérie Hayer obtenu à Narbonne, aux européennes : à peine 12,5 % des voix pour la tête de liste Macron et un butin famélique de 2 400 voix.
Dans ce poumon économique d’une ville de 56 000 habitants, transparaît la sociologie d’une France fracturée en deux blocs que tout oppose, sauf le rejet du Président. D’un côté l’extrême droite décomplexée : 45 % glanés dans la cité audoise, entre Bardella et Maréchal, en nette progression.
« Il faut que ça change, on n’a pas peur de nos opinions »
« Il faut tout essayer, il faut que ça change et on n’a pas peur de nos opinions », assènent Jean et Franck, l’un cadre chez EDF, le second son employé.
Ils déclinent pourtant la photo et partagent une bouteille de rosé et une tranche de bœuf. Leur motivation ? Même s’ils n’ont jamais eu de souci, c’est « la sécurité. Il y a les agressions des retraités, les dealers au centre-ville. Et la justice : des amis dans la police le disent, ils les chopent le matin, le soir ils sont sortis. »
Comme beaucoup, dimanche, ils voteront RN contre « tous ceux qui n’ont rien à faire en France et qui touchent plus en aides qu’un retraité qui a travaillé toute sa vie. »
« Les idées du RN ne sont pas racistes ou homophobes »
Pour eux comme pour Damien, 35 ans, vendeur de légumes, le RN s’est normalisé. « Pour moi, les idées ne sont pas racistes ou homophobes. À l’époque, avec Jean-Marie Le Pen, oui, maintenant, non. Aujourd’hui, c’est juste la droite », avance-t-il.
« C’est très compliqué pour nous, les PME. On en a marre ! À chaque fois on entend : “C’est pas l’immigration”, mais ça coûte des milliards. »
La sécurité encore, revient dans la bouche de la poissonnière, issue d’une famille historique de gaulliste qui la déçoit désormais. Son employée, 35 ans, mère de quatre enfants, n’en peut plus des « factures » et votera « officiellement blanc », dit-elle avec un sourire qui laisse peu de doute sur la couleur finale du bulletin.
« Nos ancêtres se sont battus pour éviter ça »
De l’autre, le Nouveau Front populaire fait aussi des émules. Par conviction et beaucoup par réaction. Comme Émilie, vendeuse d’olives, qui, le 30 juin, sera à l’étranger, mais a fait sa procuration.
« Il faut y aller parce qu’il y a le Rassemblement national qui va passer, sinon. Nos ancêtres se sont battus pour éviter tout ça », analyse-t-elle.
Idem pour Marie, 48 ans, cliente des halles, qui presse ses proches de lui donner des pouvoirs de représentation, « contre les fascistes, l’extrême dangereuse, c’est l’extrême droite », assène-t-elle, avant de fredonner La jeunesse emmerde le Front national, le tube des Béruriers Noirs, hérauts du rock alternatif français, sorti en… 1989.
Devant les étals de fruits, on retrouve aussi Éric, 45 ans, bien décidé, lui, à renvoyer les extrêmes dos à dos : « Il faut voter efficace, ce sera pour Macron. C’est terrible de penser que rien ne peut changer. » Combien seront-ils à penser comme lui ?
« Si le vote servait à quelque chose, il serait interdit »
Des fruits encore, avec « des belles oranges en promotion » et des salades à 1 €, mais cette fois-ci au marché de la cité populaire de Razimbaud, autre lieu emblématique de la ville. La gauche y est surreprésentée, mais la mosaïque des électeurs éclatée. Beaucoup sont écœurés, lassés, blasés et gonflent le premier parti de France : l’abstention.
« M. Macron, le petit enfant gâté, est vexé, on a un peu peur de sa réaction… Comme du RN et de Mélenchon… Avec tout ce foin, on est dans une impasse », se désole Marinette, ancienne secrétaire dactylo comptable.
Cagette de légumes en main, bleu de travail, Laurent, 33 ans, intérimaire dans le BTP, se revendique « apolitique », tête haute.
« Apolitique »
« Si voter servait à quelque chose, ça fait longtemps que ça serait interdit ! », lance-t-il, bravache, mais sans argumenter. « C’est du théâtre, du cinéma, j’ai voté et quand j’ai compris que ça ne servait à rien, j’ai arrêté. »
Marcel, ferrailleur, entend faire « barrage à Macron » et voudrait l’augmentation des salaires et que le prix de l’électricité baisse : « Elle a bon dos l’Ukraine ! » Pour autant, le 30 juin, il enverra tout le monde balader pour se consacrer à sa famille…
« J’ai préparé mes valises »
Cette fracture, cette colère, Amar, 53 ans, ne la comprend pas. Chez lui, dans les rues touristiques de Narbonne, près de la cathédrale, à côté d’une synagogue et d’un kebab turc, « où tout se passe bien », il s’interroge sur le sens de l’histoire qui s’écrit.
Né à Narbonne de parents algériens, il ressent un profond malaise : « J’ai préparé mes valises, j’ai un arrière-goût des années 1980, grince celui qui, plus jeune, a souffert des contrôles de police à répétition. Je sens l’ambiance, les gens se lâchent, j’ai la crainte de devoir avaler ma salive, comme à 15 ans. »
Au boulot, cet éducateur spécialisé dans l’hébergement voit les reproches pleuvoir : « On nous dit : “Vous aidez les Syriens, les Ukrainiens. Et les autres ?” Dans ma tête d’enfant d’immigrés, ça me rappelle que rien n’est acquis, tu as beau être né en France… »
Alors, il se mobilise pour le Nouveau Front populaire et croise les doigts.
« CNews c’est en gros la télé du RN non ? »
Dans la cité populaire et le marché de Razimbaud, des citoyens et soutiens du Front populaire s’emploient, depuis l’annonce de la dissolution, à lutter contre la forte abstention et la peur de voir le RN accéder au pouvoir.
« Je suis d’un âge qui a connu des gens qui ont vécu avec le nazisme. Cette haine, je sais ce qu’elle amène », témoigne Robert, sympathisant écolo. « On essaye de convaincre ceux qui n’ont pas voté, beaucoup de gens vont être en vacances. »
La loi leur a permis, pendant dix jours, de consulter en préfecture les listes électorales et noter celles et ceux qui ne s’étaient pas déplacés le 9 juin pour les élections européennes. « On regarde si on les connaît, pour les appeler », détaille Robert.
Sur le marché, Laurent, candidat de gauche dans une autre vie, s’y essaye également, inlassablement, comme auprès de cette retraitée qui ne sait pas trop si elle va aller jusqu’à l’urne : « Quelle télé vous écoutez ? » « La 15. » « CNews, c’est quand même en gros la télé du RN, non ? » « La 16 aussi. » « BFM ? C’est l’inverse, ça complète. »
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Publish date : 2024-06-24 04:31:00
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