Comprendre le mythe du Front populaire

Comprendre le mythe du Front populaire

Affrontements entre manifestants et forces de l’ordre place de la Concorde, à Paris, le 6 février 1934.
BnF

Dès lors, les gauches se rapprochent et entament un rassemblement populaire avec les manifestations des 9 et 12 février 1934 à Paris. La riposte au coup de force connaît un élan dans tout le pays, qui est renforcé par l’engagement des intellectuels. Ainsi on recense plus de 450 manifestations dans plus de 350 localités entre le 7 et le 12 février 1934 : un sursaut républicain.

Là aussi, les clivages sont importants ; différentes plumes sont fascinées par le fascisme ou l’Action française comme Pierre Gaxotte, mais d’autres intellectuels ont un rôle moteur dans la mobilisation antifasciste.

Le 5 mars 1934, le philosophe Alain, l’ethnologue Paul Rivet et le physicien Paul Langevin, respectivement proches du parti radical (centre gauche), de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) et du Parti communiste français, lancent le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA).

En animant des conférences, des débats, en publiant des articles, des brochures et des pétitions, ils mettent leurs talents au service de la défense de la République. Les intellectuels ont alors constitué un laboratoire de mobilisation antifasciste, à côté des organisations traditionnelles d’encadrement des masses (partis, syndicats et associations), mais aussi et surtout, une véritable passerelle entre ces organisations.

« Printemps des comités »

L’impulsion du mouvement rencontre d’autres formes de mobilisation à l’échelle locale, le « printemps des comités » (février-juin 1934) selon la belle formule de l’historien Gilles Vergnon. Dès lors, l’élan ne vient pas seulement de la riposte parisienne (des 9 et 12 février), mais bien d’une dynamique province/Paris qui souligne avec force la peur que suscite l’action des ligues qui est rapprochée des manifestations de rue des fascistes, des nationaux-socialistes…

L’antifascisme prend alors un contour particulier ; il s’agit de dénoncer la violence des ligues, leur antiparlementarisme. Après l’accord SFIO-PCF en juillet 1934 (le pacte d’unité d’action est signé officiellement le 27 juillet), les radicaux rejoignent l’alliance à l’automne 1934. C’est le début du rassemblement populaire.

Ce mouvement s’étend et le 14 juillet 1935 scelle véritablement le « baptême » du Front populaire. La fête nationale permet aux organisateurs de mobiliser les masses. Des centaines de milliers de participants, aussi bien à Paris qu’en province, affichent leur adhésion au Front populaire.

Partout en France des cortèges se forment. À la fin du parcours, on prête serment, à l’image des révolutionnaires de 1789, on inscrit ainsi la solennité du mouvement dans le panthéon républicain : « Nous faisons le serment solennel de rester unis, pour défendre la démocratie, pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses, pour mettre nos libertés hors d’atteinte du fascisme. Nous jurons, en cette journée qui fait revivre la première victoire de la République, de défendre les libertés démocratiques conquises par le peuple de France, de donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et au monde entier la grande paix humaine. »

Manifestation du 14 juillet 1935, Paris, place de la Bastille.
Agence Meurisse/Gallica/BnF)

Dans l’euphorie du mouvement, on commence alors l’élaboration d’un programme du Rassemblement populaire constitué par les organisations ayant participé à la manifestation. L’élan du 14 juillet 1935 est transporté à Moscou au VIIe Congrès de l’Internationale communiste (25 juillet–30 août 1935), où la délégation française donne le ton et le nouveau dirigeant Georges Dimitrov lance alors officiellement la ligne de front populaire antifasciste.

Au sein de ce moment « Front populaire », la réunification de la CGT caractérise la première réussite du mouvement ouvrier et sans doute l’élément le plus déterminant pour comprendre sa mise en œuvre. Ce fut un long chemin qui se concrétise au congrès de l’unité à Toulouse, du 2 au 5 mars 1936. Ce moment marque la réunification des deux branches rivales nées de la scission de 1921 entre CGT (réformiste) et CGTU (U pour unitaire).

« Pain, Paix, Liberté »

L’autre réussite est la victoire électorale. Pour les élections législatives du printemps 1936 (avril-mai), chaque formation de la coalition présente ses candidats sur un programme « Pain, Paix, Liberté » et la discipline républicaine joue très largement au second tour.

Le candidat du Rassemblement populaire arrivé en tête au 1er tour est soutenu par ses alliés et les désistements accentuent la dynamique. Le Comité national du Rassemblement populaire et les directions des partis appellent à un report de toutes les voix du Front populaire sur le candidat le mieux placé. Le mode de scrutin (uninominal à deux tours) amplifie la victoire de la gauche, avec une nette victoire de la SFIO. Sur les 608 sièges, celle-ci en obtient 146 (+ 49 par rapport à 1932), devançant les radicaux (116 sièges) et le PCF gagne 62 sièges par rapport à 1932 (72 députés) : la coalition rassemble au total 369 députés avec les autres petites formations.

Il faut ajouter également les députés des petites formations ; à la gauche de la SFIO, 10 députés du Parti d’unité prolétarienne et à la droite de la SFIO, 26 députés de l’Union socialiste républicaine. Toutefois, les droites, avec 222 sièges, se maintiennent ; la majorité dépend de l’attitude de l’USR (Union socialiste républicaine) et des radicaux, dont l’ancrage à cette alliance de gauche est récent : quelques semaines auparavant, ils gouvernaient avec les droites…

C’est le rôle pivot du parti radical tout au long de la IIIe République (1875 à juillet 1940). D’autre part, entre les deux tours (26 avril et 3 mai), la CGT avait mobilisé lors du 1er mai, et de nombreux syndicalistes ont été licenciés, conduisant à un mouvement de grève sans précédent, avec occupation d’usines, en soutien au gouvernement de Léon Blum.

L’expérience gouvernementale de Léon Blum est une nouveauté : c’est la première fois qu’un socialiste est chef de gouvernement et surtout, il accélère le calendrier parlementaire.

Congés payés et semaine de 40 heures

N’oublions pas que dès son arrivée au pouvoir, le 6 juin 1936, il entame les négociations entre son gouvernement, le patronat et la CGT pour déboucher sur les accords Matignon.

Ces accords historiques permettent l’instauration du délégué du personnel, les libertés syndicales, une augmentation généralisée des salaires la mise en place d’un salaire minimum. La mise en œuvre des congés payés, mais également la semaine des 40 heures changent la vie des ouvriers participant au mythe vivant du Front populaire.

Les Français racontent leurs premières vacances en 1936 (Archive INA).

Un État régulateur et interventionniste

En montrant comment le gouvernement intervient dans la vie quotidienne – en proposant la concertation entre patronat et syndicats au moment des grèves, ce qui est une nouveauté –, le Front populaire donne un rôle régulateur et interventionniste à l’État, ce qui ouvre une ère nouvelle.

C’est bien un moment fondateur du modèle républicain, ce qui ne dépolitise en rien son message et son héritage. Reste que le ciment du Front populaire, c’est l’antifascisme, même si la non-intervention dans la guerre civile espagnole reste une plaie béante dans le bilan politique du gouvernement.

Au printemps 1938, les radicaux abandonnent l’alliance pour gouverner au centre droit, marquant la fin du Front populaire. Ce court moment a toutefois largement changé la vie du peuple de France.

Source link : https://theconversation.com/comprendre-le-mythe-du-front-populaire-232605

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Publish date : 2024-06-20 14:17:43

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