Pour le Nouveau Front populaire, la double contrainte de l’exercice du chiffrage économique

Pour le Nouveau Front populaire, la double contrainte de l'exercice du chiffrage économique

Depuis la publication de son programme, le Nouveau Front populaire est sommé d’expliquer combien ses importantes dépenses vont coûter à l’État et de détailler comment il compte les financer. Un exercice périlleux pour une gauche qui doit se battre contre un ordre économique établi et qui est la seule à devoir s’y plier avec autant de précisions. Une conférence de presse spécifique est prévue vendredi.

Les tirs de barrage ont fusé. « Des cadeaux non-financés », un « risque majeur » de « décrochage durable » de l’économie française, « un délire total », des propositions « dangereuses »… Qu’ils proviennent du président Emmanuel Macron, du Premier ministre Gabriel Attal, du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, du Medef ou des éditorialistes des chaînes d’info en continu, une bonne partie du monde politico-médiatique fustige depuis plusieurs jours le programme économique du Nouveau Front populaire (NFP).

Une situation déjà vue en 2022 au moment de la publication du programme de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), avec des qualificatifs identiques et des mises en garde répétées. En résumé, parce qu’il propose notamment d’augmenter le Smic à 1 600 euros net, de bloquer les prix des biens de première nécessité (alimentation, énergie, carburants), d’abroger la réforme des retraites ou encore d’investir massivement dans la bifurcation écologique et les services publics, le programme de l’alliance de gauche est jugé beaucoup trop coûteux par ses opposants et est, au choix, accusé d’être non financé ou de représenter un « matracage fiscal » à venir pour les Français, selon la formule prononcée par Gabriel Attal, jeudi 20 juin, lors de la présentation du programme de la coalition Ensemble (Renaissance-MoDem-Horizons-UDI).

« C’est une stratégie qui vise à faire peur. Quand la gauche est en capacité de gouverner le pays, on ne compte plus les calomnies. C’est un grand classique : ce fut le cas en 1981 [victoire de François Mitterrand] quand on disait que les chars russes allaient envahir Paris, ce fut le cas en 1997 [victoire de la « gauche plurielle » aux législatives et cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin] avec des attaques très violentes du patron du Medef de l’époque, et là c’est pareil. On assiste à une accumulation de fake news et des caricatures de ce que l’on propose », regrette Éric Coquerel (La France insoumise), ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

Il faut dire qu’en proposant un « programme de rupture », le Nouveau Front populaire s’attaque à un ordre établi. Ainsi, la vision des économistes orthodoxes ou néolibéraux s’est imposée depuis une quarantaine d’années dans la plupart des pays du monde occidental. L’idée que les politiques prônant la maîtrise des dépenses publiques, le soutien aux entreprises, la flexibilisation du marché du travail et la concurrence seraient sérieuses, quand celles visant à augmenter la dépense publique, les salaires et investir dans les services publics seraient utopistes s’est peu à peu ancrée dans les esprits. Une victoire idéologique symbolisée par la célèbre tirade de l’ancienne Première ministre britannique Margaret Thatcher : « There is no alternative » (« Il n’y a pas d’alternative »).

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« La difficulté est là. En plusieurs décennies le rouleau-compresseur idéologique a travaillé les esprits. Il faut même parfois convaincre que ce que nous proposons est possible ceux qui ont, pourtant, tout intérêt à voir notre programme l’emporter », constate Éric Coquerel, qui a été auditionné avec le socialiste Boris Vallaud, jeudi 20 juin, par le Medef.

Un projet financé « en prenant l’argent dans la poche de ceux qui ont les moyens »

En face, les partis au pouvoir comme Renaissance ou le MoDem, ou l’ayant exercé comme Les Républicains, se réclament de la « raison » et qualifient leurs adversaires ayant des propositions alternatives comme « déraisonnables ». « La marge de manœuvre budgétaire de la France, elle est nulle », a ainsi lancé Bruno Le Maire, lors du grand oral des partis politiques devant le Medef, qualifiant les propositions du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national (RN) de « programmes délirants et à contretemps de la situation des finances publiques ». « À un moment, il faut économiser et rétablir les comptes, comme nous avons commencé à le faire », a-t-il ajouté.

Mais si le RN n’explique pas comment il compte financer son programme, le NFP ne se cache pas : « Nous ferons en sorte de financer tout ce projet très ambitieux en prenant l’argent dans la poche de ceux qui ont les moyens de le donner », a affirmé le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, vendredi 14 juin, appelant à un « réarmement civique » de « toutes celles et ceux qui peuvent contribuer ».

Ainsi, l’alliance de gauche promet pour l’été une loi de finances rectificative permettant de refonder le système fiscal en passant de 5 à 14 tranches pour l’impôt sur le revenu, de passer d’un taux de CSG identique à tous les revenus du travail à une CSG progressive, de rétablir un impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de supprimer la « flat tax », de supprimer de nombreuses niches fiscales et d’instaurer un héritage maximum.

« Le programme du Nouveau Front populaire trace des perspectives pour de nouvelles recettes. Il met notamment l’accent sur la taxation des très hauts patrimoines, qui est quelque chose qu’on n’a pas encore fait en France et qui s’inscrit dans une dynamique mondiale », a expliqué l’économiste Michael Zemmour, mardi 18 juin, sur franceinfo.

🔴 Nouveau Front Populaire ➡️  » Le programme du Front Populaire trace des perspectives pour ces nouvelles recettes, notamment, il met l’accent sur la taxation des très hauts patrimoines. C’est quelque chose qu’on n’a pas encore fait en France « , analyse Michaël Zemmour. pic.twitter.com/gGMO37MOUa

— franceinfo (@franceinfo) June 18, 2024

Ces propositions ne suffisent toutefois pas pour convaincre le monde politico-médiatique, qui a repris des estimations de Bercy publiées dès le 14 juin. Celles-ci ont évalué le coût des mesures du Nouveau Front populaire à 286 milliards d’euros de dépenses par an, ce que conteste le NFP. « Évidemment l’équilibre n’y est pas », commentait quelques jours plus tard l’éditorialiste économique de BFMTV Nicolas Doze.

« Bizarre qu’on nous demande autant de précisions et rien aux autres »

De là découle pour l’alliance de gauche une seconde contrainte : devoir chiffrer dans le détail chaque proposition, côté recettes et côté dépenses. Un exercice long et fastidieux dans une campagne limitée à deux semaines et qui peut donner lieu à des couacs.

Alors que le chiffrage définitif n’était pas encore acté, la socialiste Valérie Rabault a évalué, dans un entretien au journal Les Échos mardi 18 juin, le coût du programme commun de la gauche à 106 milliards d’euros de dépenses sur trois ans.

Quelques heures après la publication de cette interview, un communiqué de La France insoumise précisait qu’il s’agissait de la « vision personnelle » de Valérie Rabault, mais que le chiffrage avancé « ne correspond[ait] pas au chiffrage du programme du Nouveau Front populaire », qui « sera présenté dans les jours qui viennent en conférence de presse commune ». Cette conférence de presse doit se tenir vendredi 21 juin à midi.

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« Le traitement qui nous est réservé est injuste. C’est quand même bizarre qu’on nous demande autant de précisions et rien aux autres, même si je comprends bien qu’on nous demande des éléments puisque nous sommes les seuls à proposer un nouveau logiciel », juge Éric Coquerel.

Les propositions du Nouveau Front populaire soulèvent en effet des questions légitimes. Comment feront les petites et moyennes entreprises (PME) pour payer un Smic à 1 600 euros ? Comment éviter une éventuelle spirale inflationniste liée à la hausse des salaires ? Et puis enfin et surtout, comment être certain que l’ensemble des acteurs économiques accepteront de telles mesures sans opposer la moindre résistance ?

Mais les programmes présentés par ses opposants soulèvent eux aussi leur lot de questions. Le Rassemblement national, qui propose dans son discours de faire davantage de dépenses mais sans augmenter les recettes, ne cesse de reculer sur certaines de ses mesures-phares – retraites, baisse de la TVA – et n’a toujours pas présenté l’intégralité de son programme. Quant à la coalition présidentielle Ensemble, elle est comptable d’une mauvaise gestion budgétaire qui vient d’être doublement pointée du doigt. La Commission européenne a annoncé, mercredi 19 juin, l’ouverture prochaine d’une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France. De son côté, l’agence de notation Standard & Poor’s a abaissé la note souveraine de la France, le 31 mai, de AA à AA-, sanctionnant la « détérioration de la position budgétaire » du pays.

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Publish date : 2024-06-20 17:57:55

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