La trajectoire budgétaire inattendue du Nouveau Front populaire

La trajectoire budgétaire inattendue du Nouveau Front populaire

« Nous sommes sur une trajectoire de réduction des déficits budgétaires. » Dans les jardins de la Maison de la chimie où vient d’être présenté le programme du Nouveau Front populaire (NFP) ce 14 juin, l’économiste et députée LFI Aurélie Trouvé est claire.

Et pourtant, ce n’est pas tout à fait le discours économique auquel on s’attendait ! Comment les experts du rassemblement de la gauche sont-ils arrivés à ce résultat ? Pour le comprendre, il faut entrer dans le contenu du programme.

Si les négociations ont duré plusieurs nuits, de l’avis de plusieurs participants, ce n’est pas la partie économique qui a posé le plus de souci, tant les points de vue de toutes les forces politiques en présence étaient déjà proches. Il y a bien eu quelques points de débat (faut-il nationaliser Engie ou Sanofi ? Réponse finale, non), mais la philosophie générale n’a pas donné lieu aux affrontements.

La partie économique n’a pas posé de souci, tant les points de vue de toutes les forces politiques en présence étaient déjà proches

Elle apparaît finalement assez proche de celle de Joe Biden et repose sur plusieurs piliers : soutien au pouvoir d’achat, investissement public, politique de résistance aux risques économiques et écologiques et politique fiscale orientée vers la justice sociale et l’équilibre budgétaire. S’y ajoute la réponse à un problème de l’économie française, la chute de la productivité du travail.

Côté soutien au pouvoir d’achat, on trouve une hausse du Smic (1 600 euros nets), le minimum contributif (retraite pour celles et ceux qui ont contribué sur la base de faibles salaires) au niveau du Smic, une revalorisation des APL de 10 %, une hausse de 10 % du point d’indice des fonctionnaires, un blocage des prix de l’énergie et de l’alimentation, une indexation des salaires sur l’inflation (nettement plus supportable désormais que les années passées), sans que l’on sache à ce stade si la mesure porte sur les bas salaires ou sur tous les salaires.

Une « politique de l’offre moderne »

L’investissement public apporte également sa contribution au soutien de la demande. Un grand plan de rénovation des bâtiments publics (écoles, hôpitaux, etc.) est annoncé. Sans oublier la relance de la construction de logements sociaux, un soutien à une structuration française et européenne de production d’énergies renouvelables, et à la limite de l’investissement et du développement des services publics, l’embauche de fonctionnaires à l’école, à l’hôpital, dans la justice.

Si les libéraux entendent par « politique de l’offre » la baisse des impôts sur les entreprises, Janet Yellen, la ministre des Finances de Joe Biden avait défini une « politique de l’offre moderne » dans laquelle s’inscrit le programme du NFP.

D’un côté, le programme du NFP prévoit une protection contre le risque de dépendance de produits stratégiques avec un plan de reconstruction industrielle dans les semi-conducteurs, les médicaments, les voitures électriques, etc. Sans autre précision pour l’instant sur la manière dont ces mesures se différencieraient concrètement de celles mises en œuvre par le gouvernement Macron.

En revanche, la rupture viendrait des modalités des multiples aides aux entreprises : elles ne seraient pas supprimées, mais conditionnées au respect de critères sociaux et environnementaux.

D’un autre côté, la réponse du NFP au risque climatique marquerait là aussi une rupture avec l’ère Macron. En marge de la rénovation des bâtiments publics et du développement de filières industrielles vertes, l’éolien en mer est mis en avant, l’objectif de neutralité carbone en 2050 reste présent, etc.

Retour de la politique fiscale et sociale

La politique fiscale rompt cette fois entièrement avec le chemin suivi depuis sept ans par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire. Le Nouveau Front populaire n’a pas de pudeur pour taxer les plus aisés.

Il remet de la progressivité de l’impôt sur le revenu (14 tranches au lieu de quatre), la CSG devient progressive. Un impôt de solidarité sur la fortune est prévu sans que ses modalités soient précisées. On sait que l’ancien ISF était mité et rapportait peu. On peut expliquer pourquoi et comment corriger la situation, mais les détails manquent à ce stade.

La politique fiscale rompt entièrement avec le chemin suivi depuis sept ans par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire

Répondant à une étude récente de l’OCDE soulignant combien le capital est bien moins taxé que le travail, notamment en France, la fiscalité du capital est accrue par la suppression de la flat tax et le rétablissement de l’exit tax payée par les contribuables qui ont fait leur fortune en France, mais partent s’installer à l’étranger en n’étant plus fiscalisés. Là aussi, les détails concrets manquent. L’impôt sur l’héritage est également rendu plus progressif.

Enfin, la France souffre d’un effondrement de sa productivité du travail. Les travaux universitaires montrent que l’une des raisons tient à un mauvais management à la française : des patrons qui refusent de l’autonomie aux salariés et de leur laisser la parole.

En réponse, une grande conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la qualification serait organisée et une autre sur le travail et la pénibilité, une question clé en matière de productivité. Les salariés se verraient attribuer au moins un tiers des sièges aux conseils d’administration et leur droit d’intervention dans l’entreprise sera élargi.

Quid de la dette ?

Un point clé n’est pas abordé dans le programme, celui des déficits et de la dette. A ce stade, le chiffrage reste peu précis : difficile de caler celui des 300 mesures de la Nupes de 2022 sur la centaine de mesures d’aujourd’hui. Aurélie Trouvé précise :

« Nous ne sommes pas des irresponsables budgétaires. Les recettes seront là et l’impact de nos mesures sur la demande auront un effet de relance. Nous travaillons à partir d’un modèle identique à celui de la Banque de France. »

Et de préciser, « les travaux de la Cour des comptes ont bien montré le poids des baisses d’impôts dans la dégradation des comptes publics. Et c’est bien parce que le RN ne les augmente pas que son programme ne tient pas ! ».

Quelle sera in fine la trajectoire budgétaire précise ?

« Le chiffrage est en cours mais après quatre nuits sans dormir, laissez-nous le temps de le terminer ! », sourit Clémence Guetté, coprésidente de l’Institut la Boétie et députée LFI.

Le travail paraît cependant assez avancé car les experts et expertes du NFP travaillent déjà sur le contenu concret d’un projet de loi de finances rectificatif. Comme l’a déclaré Marine Tondelier, la patronne d’Europe Ecologie les Verts, lors de la conférence de presse, « Nous sommes prêts ! ». C’est assurément le message que veut faire passer le Nouveau Front populaire.

Source link : https://www.alternatives-economiques.fr/nouveau-front-populaire-sommes-une-trajectoire-de-reduction/00111468

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Publish date : 2024-06-14 12:59:00

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